Dans plusieurs régions, des établissements de soins ne parviennent pas à recruter les personnels dont ils ont besoin. Dans les hôpitaux de l’AP-HP, en Ile-de-France, il manque aujourd’hui 400 infirmiers.
Désaffection pour des métiers de soins jugés éreintant et mal payés, coût de la vie en Ile-de-France, concurrence des pays frontaliers… Pour des motifs divers, depuis quelques mois, dans plusieurs régions, des hôpitaux publics peinent à recruter des infirmiers en soins généraux ou des aides-soignants. Des difficultés qui viennent s’ajouter à celles existant de plus longue date pour embaucher des masseurs-kinésithérapeutes, des manipulateurs en électroradiologie médicale ou des infirmiers anesthésistes ou de bloc opératoire. « Nous n’avons pas d’alerte d’une pénurie majeure mais nous avons des signaux de difficultés que nous n’avions pas avant », explique-t-on à la Fédération hospitalière de France, la structure qui représente les hôpitaux publics.
Premiers touchés par ces difficultés : les trente-neuf établissements – pour la plupart franciliens – de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le plus grand groupe hospitalier du pays. « On voit la courbe des recrutements se creuser depuis le début de l’année et aujourd’hui, ce sont 400 infirmiers, soit environ 3 % des effectifs d’IDE [infirmiers diplômés d’Etat] à l’AP-HP, que l’on souhaiterait recruter et que l’on ne trouve pas », alerte Sylvain Ducroz, le directeur des ressources humaines. Un comble à l’heure où la direction s’est notamment engagée à recruter 61 soignants supplémentaires dans ses vingt-cinq services d’urgences en grève, et à y remplacer systématiquement tous les congés maternité pour mieux faire face à la hausse continue de la fréquentation.
« Il y a deux ou trois ans, il n’y avait pas ces tensions pour recruter. Le phénomène, qui avait déjà été observé dans les années 2000, semble à son début », estime Serge Morel, le directeur d’une structure englobant des établissements parisiens aussi prestigieux que Necker, Cochin ou l’hôpital européen Georges-Pompidou. Dans certains hôpitaux, jusqu’à une trentaine de postes sont vacants, principalement en médecine gériatrique et en médecine générale. « On se mobilise pour attirer les nouveaux formés qui vont sortir d’école en juillet, j’ai bon espoir que nous y arrivions », lance M. Morel.
Postes vacants en gériatrie et médecine générale
Le problème a été jugé suffisamment sérieux pour être évoqué en conseil de surveillance de l’AP-HP le 19 avril. « Les difficultés de recrutement de certaines catégories de personnels médicaux et soignants compliquent inévitablement le fonctionnement des services et l’atteinte des objectifs en matière d’activité », peut-on lire dans le compte rendu de cette réunion. M. Ducroz explique :
« Dans certaines spécialités, on a du mal à maintenir tous nos lits ouverts. On n’arrive pas à trouver des infirmiers intéressés par des CDD pour faire des remplacements de courte durée, et donc pour arriver à remplacer, nous nous appuyons plutôt sur le renforcement des équipes de suppléance internes. »
A ceux qui s’étonneraient de telles difficultés au sein d’un groupe qui a annoncé il y a quelques mois qu’il supprimerait 779 emplois en 2019, dont 240 dans les services de soins, pour raisons budgétaires, le DRH de l’AP-HP répond que « les réductions de postes ont principalement porté sur les métiers administratifs et techniques et pas sur les métiers infirmiers ». Il reconnaît toutefois que l’Assistance publique a « une image – à tort – d’hôpital qui n’a plus besoin de recruter ». Pour inverser la tendance, une grande campagne de communication a été lancée en janvier.
D’autres hôpitaux du pays rencontrent des difficultés similaires. Sous couvert d’anonymat, le directeur d’un hôpital dans l’Est confie ainsi avoir actuellement trente postes d’infirmiers vacants sur 500, et une proportion similaire chez les aides-soignants, soit 6 % à 7 % de l’effectif total de chacune de ces professions. « C’est énorme, cela ne nous est jamais arrivé », dit-il, assurant que ces difficultés, « qui se sont accélérées au cours des huit derniers mois », touchent aujourd’hui « quasiment tout le Grand-Est, hors métropoles ».
« Job dating »
Le responsable des ressources humaines d’un centre hospitalier universitaire (CHU) de l’Ouest (1 500 lits et 7 000 salariés) fait, pour sa part, état de « difficultés très significatives » à recruter des aides-soignants. Face à une baisse, parfois supérieure à 30 %, des inscriptions aux concours de certaines écoles, il n’hésite pas à parler d’un phénomène de « désertion ». Lors d’une opération de « job dating » fin mars destinée à pourvoir des emplois d’été et à constituer un vivier de recrues, il n’a réussi à embaucher que 40 aides-soignants sur 100. « Cela s’était déjà produit l’année dernière mais dans des proportions moindres. Cela nous a mis en difficulté, on a dû réorganiser les services et regrouper des unités pour assurer le bon fonctionnement de l’été », dit-il, préoccupé par la façon dont il devra s’organiser ces prochains mois.
En pratique, les hôpitaux continuent à tourner, parfois au prix de quelques bricolages, comme le recours aux heures supplémentaires ou à moins de personnel. Dans tous les cas, c’est de la fatigue en plus pour ceux qui restent.
Difficile de mesurer l’ampleur exacte du phénomène, qui touchait déjà les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « Les difficultés de recrutement d’infirmiers dans certaines régions, dont l’Ile-de-France, sont plus marquées depuis 2018, où on est passé de plusieurs dizaines de CV reçus par semaine à quelques-uns. Il y a une réduction du vivier », constate Matthieu Girier, le président de l’Adrhess, une structure réunissant les responsables RH des établissements de soins. Mais, pour lui, « on trouve toujours. Au lieu d’avoir des CV d’avance, on met plus de temps à trouver les profils nécessaires ».
A l’AP-HP, la perception est plus sombre. « Cette pénurie risque de s’étendre en dehors de l’AP-HP, pronostique Sylvain Ducroz. On est les premiers à la ressentir mais dans la mesure où il n’y a pas eu d’évolution du quota d’infirmières formées ces dernières années, elle va inévitablement s’étendre car le marché de l’offre et de la demande va se tendre, y compris en dehors de l’Ile-de-France. »
Pour expliquer ces tensions, chacun avance une explication. A l’AP-HP, on attribue d’abord cette désaffection au coût de la vie et du logement à Paris et en première couronne, qui est beaucoup plus élevé qu’en province pour des salaires identiques. Dans les Hauts-de-France, on évoque l’allongement de six mois des études infirmières en Belgique, qui pousserait les cliniques et les hôpitaux belges à démarcher les infirmiers français.
« Désenchantement des hôpitaux »
De façon générale, de nombreux responsables RH soulignent une perte d’attractivité du métier de soignant et constatent les effets de la médiatisation de la dégradation des conditions de travail. « On a un sujet d’attractivité qui est important. Dans les écoles d’infirmières, il reste des places non pourvues alors qu’on avait plutôt jusque-là du surbooking », raconte Nathalie Borgne, la déléguée ressources humaines de la Fédération hospitalière de France dans les Hauts-de-France.
« Cela fait deux années que l’on ne remplit pas notre quota en école d’infirmières, il nous manque dix étudiants sur les 100 attendus, abonde Rémy Chapiron, coordinateur pédagogique d’écoles infirmières et d’aides-soignants dans la Meuse. Et côté aides-soignants, le constat est encore plus marqué, il y a une baisse considérable des candidats, on est à moins 20 % d’étudiants inscrits depuis deux ans. On a de plus en plus de mal à recruter. »
Face à ce qu’un directeur qualifie de « désenchantement des hôpitaux », fruit, selon lui, d’un « hôpital bashing » mené depuis quelque temps dans les médias, les hôpitaux en mal de main-d’œuvre soignante attendent désormais avec fébrilité les prochaines sorties d’écoles au début de l’été.
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