Rassemblée en syndicat depuis dix-huit mois, la profession se réunit pour la première fois à Montpellier, ce vendredi 17 mai.
Créé il y a dix-huit mois, le syndicat national des experts psychiatres et psychologues (Snepp) organise sa première journée de formation en région ce vendredi 17 mai à Montpellier. Seul syndicat d’experts près les tribunaux, présidé par le psychiatre montpelliérain Jean-Claude Pénochet, il représente une activité très marginale mais pourtant essentielle qui mobilise 440 psychiatres en France, confrontés à des difficultés croissantes d’exercice, et à des sujets présentant des personnalités aux profils de plus en plus complexes. Dorothée Passerieux, expert près la cour d’appel de Montpellier, est secrétaire générale du Snepp.
A quelles difficultés s’exposent les experts “psy” auprès des tribunaux qu’ils soient psychologues ou psychiatres, réunis ce vendredi à Montpellier ?
Le syndicat a été créé pour défendre notre exercice et notre statut, notamment améliorer la qualité des pratiques sachant que le travail est contraignant, mal rémunéré, et que les experts se font souvent malmener, notamment lors de procès d’assises, un genre “d’arène” où le coupable est le plus souvent sévèrement sanctionné.
C’est souvent difficile pour le psychiatre de faire entendre, à côté de la potentielle dangerosité du sujet insuffisamment évaluée, l’existence d’une vulnérabilité qui, si elle était prise en compte, atténuerait la peine et entraînerait une prise en charge adaptée.
Les modalités d’exercice de notre travail n’ont pas évolué avec le temps, et se sont même appauvries. Aujourd’hui, on est souvent seul pour faire une expertise, et il y a bien des cas où les situations mériteraient d’avantage que l’examen tel que nous le pratiquons, il faudrait des examens répétés au fil de la procédure, et une observation du sujet sur un temps suffisant.
On intervient au civil ou au pénal, auprès des auteurs et des victimes de crimes et délits, y compris sur des mineurs. Le psychiatre est interrogé sur le diagnostic, les questions de responsabilité et de dangerosité. Le psychologue éclaire la personnalité du sujet. Il est demandé à chacun de faire des hypothèses sur ce qui a pu conduire au passage à l’acte, finalement, d’être criminologue.
Pourquoi avoir choisi, pour cette première journée, la thématique des “Nouveaux aliénés” ?
La grande majorité des sujets que nous expertisons n’a pas de pathologie mentale. Les personnes présentant des troubles psychiatriques représentent seulement 3 % à 5 % des actes de violence et le taux d’homicide est de un à cinq pour 100 000 habitants. La grande majorité des gens que nous expertisons sont atteints de troubles de la personnalité qui ne les irresponsabilise pas.
C’est l’enjeu de l’expertise : savoir si la personne est responsable ou pas, et s’il y a un risque de récidive. Et au fil du temps, on voit que de moins en moins de sujets ont une reconnaissance d’abolition de leur discernement qui permet de les reconnaître irresponsables. Alors, qu’est-ce qui se passe avec des gens qui se mettent à tuer au nom de Dieu ?
Dans la tête des jeunes radicalisés
Dounia Bouzar dirige un cabinet d’expertise spécialisé dans la gestion de la laïcité et le management du fait religieux. Elle présente à Montpellier les conclusions d’entretiens menés avec des jeunes "désengagés", le titre d’un livre blanc sorti en 2018 sous sa direction qui retrace une parole de ceux "qui étaient en lien avec des groupes “jihadistes” et qui ont entamé une “rétro-analyse” pour essayer de comprendre pourquoi ils étaient attirés par cette idéologie totalitaire".
Le phénomène interroge les témoins présents à Montpellier, de l’historien des religions Odon Vallet, au médiatique Roland Coutanceau, psychiatre, expert près la Cour de cassation.
Dorothée Passerieux se réfère aussi à une revue multidisciplinaire de 2018 qui conclut que "les troubles psychotiques sont rares parmi les jeunes radicalisés", mais qu’ils combinent souvent l’exposition à des facteurs de risques "individuels" (vulnérabilité psychologique), "sociétaux" (événements géopolitiques, transformations sociales) et l’environnement (dysfonctionnements familiaux, fréquentation d’individus radicalisés…).
"Les recruteurs utilisent des techniques sectaires afin d’isoler et de déshumaniser le sujet tout en lui offrant un nouveau modèle sociétal", conclut l’étude.
Qu’est-ce qui se passe, justement ?
C’est l’objet de deux conférences de nos rencontres de ce vendredi. Il est question de comment ces jeunes se construisent avec les écrans, avec des images qui ont beaucoup plus d’impacts sur eux que sur des sujets construits, de la fragilité de ces sujets modernes. On va trouver chez eux beaucoup de troubles de la personnalité, pas tous. Et une similitude avec les troubles “classiques” de l’adolescence. Mais il n’y a pas de profil type : il y a chez tous une fragilité narcissique, mais certains vont vouloir s’offrir un destin, d’autres retrouver du collectif…
Donia Bouzar, anthropologue, qui a participé à la création des centres de déradicalisation, aujourd’hui fermés, va présenter les résultats d’une étude menée avec des jeunes qui y avaient été admis.
Un autre champ d’expertise, moins médiatique, mais non moins d’actualité, se déroule pour la justice civile, vous êtes sollicité dans le cadre de contentieux d’ordre familial…
On peut nous demander d’évaluer un système familial pour définir un mode de garde, par exemple. Une communication de cette journée d’étude sera ainsi consacrée à la question de l’aliénation parentale, avec deux points de vue sur la problématique qui surgit lorsque l’enfant pris dans un confit s’allie à un des deux parents.
Et si vous deviez évaluer vos résultats ?
Je dirai qu’au fil du temps, on s’est amélioré, mais qu’on n’a pas tous les outils pour bien évaluer les choses. Alors, on reste prudent. D’autant que les questions qui nous sont posées sont de plus en plus difficiles.
Il y a des pays où les choses sont plus simples : au Canada, par exemple, les “psy” ont des échelles, des outils statistiques qui leur sont propres, car la prise en charge n’est pas la même qu’en France.
En débat, "Les nouveaux aliénés"
La première journée du syndicat national des experts psychiatres et psychologues est organisée à Montpellier sur le thème “Les nouveaux aliénés” se tient de 9 h à 18 h, à l’ancienne faculté de médecine de Montpellier (Theatrum Anatomicum), 2, rue de l’École-de-médecine.
La journée est réservée aux professionnels, gratuite pour les membres du Snepp, sinon payante (de 50 € à 150 €).
Le matin, Claude Aiguevives, psychiatre, intervient sur le thème “Nouvelles aliénations des adolescents”, et Odon Vallet, historien des religions, sur “Extrémisme religieux et passage à l’acte”.
L’après-midi : Donia Bouzar, anthropologue, Roland Coutanceau, psychiatre et Alain Penin, psychologue, sur “Les jeunes terroristes en expertise, facteurs de risque et de protection”. Tous deux sont experts près la Cour de cassation. Puis “L’aliénation parentale en question”, avec les docteurs Paul Bensussan, psychiatre, et Jean-Luc Viaux, psychologue.
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