Valorisée à 1 milliard d’euros, l’entreprise qui veut simplifier l’accès des Français aux soins est à l’image de son fondateur de 32 ans : on y est ambitieux, acharné du travail, avec l’ambition de créer à terme « un monopole ».
Ce 3 avril au matin règne une certaine euphorie dans les bureaux de Doctolib, le leader français de la prise de rendez-vous médicaux. Fraîchement nommé secrétaire d’Etat au numérique, en remplacement de Mounir Mahjoubi, Cédric Oréserve son premier déplacement à la start-up parisienne. Deux semaines plus tôt, elle a bouclé une nouvelle levée de fonds de 150 millions qui la valorise désormais à plus de 1 milliard d’euros, la faisant ainsi accéder au statut si convoité – et si rare en France – de licorne.
« C’est bien, les licornes, mais ça ne suffit pas, vous n’êtes pas arrivés, ce n’est que le début », prévient le nouveau secrétaire d’Etat, qui n’hésite pas à comparer Stanislas Niox-Chateau, le patron de Doctolib, à Mark Zuckerberg, celui de Facebook, par « sa volonté de changer le monde ». Expliquant avoir été très marqué par sa première rencontre avec l’entrepreneur, M. O en dresse un portrait assez fidèle, à en croire les réactions des salariés présents qui s’esclaffent en l’entendant dire : « Probablement que c’est dur, il est très exigeant, il vous fait travailler beaucoup. »
Stanislas Niox-Chateau assume. La levée de fonds ? « Ce n’est pas une étape pour moi, c’est un moyen pour investir demain. » Lui qui dit attacher peu d’importance à l’argent n’a rien changé à son train de vie. Il ne se cache pas de « demander beaucoup » à ses collaborateurs. À seulement 32 ans, le voilà qui bâtit l’une des plus belles réussites de la tech française, à peine plus de cinq années après avoir lancé son site.
« Une innovation d’organisation »
Ce succès n’avait pourtant rien d’évident. Comme le rappelle Antoine Freysz, qui a connu Stanislas Niox-Chateau à la fin de ses études à HEC, « Doctolib n’est pas une innovation de produit, c’est une innovation d’organisation autour des clients, les médecins ». Quand il arrive sur le marché des logiciels de prise de rendez-vous pour les professionnels de santé, plusieurs autres acteurs se sont déjà lancés sur le territoire français. Stanislas Niox-Chateau mise sur une relation forte avec les praticiens pour faire son trou.
En quelques semaines, il lance sa société. « La première ligne de code a été écrite en octobre 2013, et le site lancé le 15 novembre, se remémore Stanislas Niox-Chateau. Développer son truc seul dans son coin pendant des mois ne sert à rien, ce qu’il faut, c’est comprendre comment les praticiens et les établissements de santé fonctionnent. Il faut travailler avec eux pour faire évoluer en permanence le logiciel. Moi, je suis allé dans des milliers de cabinets pour être secrétaire médical, recopier des rendez-vous, former des praticiens. »
Au bout de neuf mois, un million de Français fréquentaient le site. Aujourd’hui, Doctolib enregistre 35 millions de visiteurs par mois, en France et en Allemagne, et comptabilise 80 000 professionnels et 1 700 établissements de santé ayant adopté sa solution.
Lorsqu’il lance son entreprise, Stanislas Niox-Chateau a déjà une certaine expérience dans le domaine des sites de prise de rendez-vous. En stage à HEC, il a défini le concept de Balinea, un service qui permet de réserver des soins de beauté. Sa conduite du projet lui a valu d’être recruté par le fonds Otium détenu par Pierre-Edouard Stérin (le fondateur de Smartbox). « Il avait une capacité de travail et d’analyse exceptionnelle, et cette faculté à tout travailler, à aller directement dans le détail du sujet », se souvient Antoine Freysz, qui l’a embauché à l’époque. Toujours au sein d’Otium, il sera, selon M. Stérin, « l’un des principaux artisans » de la relance de La Fourchette, site de réservation de restaurants que rachètera en 2014 TripAdvisor.
Comme il l’avait annoncé à ses associés à son arrivée chez Otium, il quitte le fonds, quatre ans après, pour voler de ses propres ailes. « Je me suis dit qu’il y avait deux secteurs dans lesquels j’avais envie de travailler : l’éducation et la santé, explique Stanislas Niox-Chateau. Ce sont des secteurs qui sont des biens communs, des secteurs d’avenir, et des secteurs où les technologies et les services employés sont d’un autre temps. » Lui, le petit-fils, fils et mari d’enseignante se tournera finalement… vers la santé. « Il avait la volonté de réussir dans un domaine qui ne soit pas gadget, et pouvoir dire qu’il a vraiment contribué à améliorer la santé en France », résume M. Freysz, qui a investi dans la société dès ses débuts.
A l’époque, plusieurs concurrents existent déjà, dont certains détenus par des grands groupes, comme RDVMedicaux (Vivendi), ou Mondocteur (Lagardère). Mais aucun n’a réussi à s’imposer. Doctolib, lui, ne compte qu’une dizaine de collaborateurs. Stanislas Niox-Chateau sait que le combat va être difficile et se fixe quinze ans pour parvenir à ses fins : « C’est tellement dur dans la santé que ça doit être un marathon. Si on veut faire bouger les lignes et avoir de l’impact, on ne peut pas le faire sans un plan à long terme. » L’entrepreneur se souvient d’une première année harassante, entouré d’à peine une dizaine de collaborateurs : « On travaillait tous les samedis, tous les dimanches, je répondais aux appels des praticiens, je faisais des installations un peu partout en Ile-de-France puis en France. » « Ça a été un combat commercial cabinet par cabinet, se remémore M. Freysz, aujourd’hui à la tête du fonds Kerala Ventures. Stan s’est épanoui quand il a commencé à sentir qu’il pouvait passer devant les concurrents. »
La suite, c’est l’histoire d’une hypercroissance comme la briguent toutes les start-up, portée par près de 100 millions d’euros de levées de fonds en quatre ans et des effectifs qui explosent. « En deux ans, on a recruté 300 personnes », se souvient Zeïna Peerboccus, arrivée en 2015 pour s’occuper des ressources humaines. Elle a le souvenir d’une période extrêmement intense. « Deux ans chez Doctolib, c’est comme six ans passés dans une autre boîte. C’était à la fois dur, excitant, stimulant de devoir être comme ça tous les jours au top. Il y a une telle ambition, une telle culture de l’excellence. » Elle décrit une entreprise où tous les processus sont « industrialisés ». C’est « une mécanique ultra bien huilée », dirigée vers la volonté de créer « un monopole », confirme, impressionné, un consultant passé récemment par la société.
Mais l’entreprise doit aussi beaucoup à la personnalité de Stanislas Niox-Chateau. « Il est très bon dans sa capacité à embarquer les gens, à les convaincre, se rappelle Mme Peerboccus. Il sait diffuser son envie de réussir. » « Stan, c’est une ambition totale », estime Antoine Freysz. « Le genre de personne contre qui tu n’as pas gagné le match tant que tu n’as pas remporté le dernier point », dit son ami d’enfance, également investisseur dans la société, Maxime Forgeot.
Mental de combattant
La métaphore sportive n’a rien d’anecdotique : dans la famille Niox-Chateau, tout le monde joue au tennis, certains à haut niveau, quelques-uns travaillent pour la fédération. Le jeune Stanislas espérait mener une carrière internationale. En sport-études à partir du CM2, il passe entre quatre et sept heures par jour sur le terrain. « Mon jeu, c’était du fond de court, très défensif. J’avais peu de talent, mais j’étais un énorme travailleur, avec une abnégation et une détermination à toute épreuve », explique-t-il. Les blessures et la conviction qu’il ne parviendra pas finalement à se faire une place dans le top 100 le font renoncer à son rêve. Mais il s’est entouré de sportifs à Doctolib. « Avec les meilleurs collaborateurs, le match sera plus facile à gagner… », décrypte Antoine Freysz.
Si le tennis a forgé chez lui un mental de combattant, c’est plus encore son bégaiement qui a fait de lui un compétiteur hors norme. « Il y a quinze ans je pouvais à peine aller chercher le pain à la boulangerie. Je vomissais avant chaque prise de parole », se souvient-il. Il a transformé ce handicap en atout : « Ma principale force vient de là, c’est ma meilleure école de vie. Ça me fait me remettre en question tous les jours, ça m’oblige à travailler deux fois plus que les autres, et à être à l’écoute. »
Aujourd’hui, le descendant lointain des frères Montgolfier ne compte pas s’arrêter là. Même si quelques critiques ont émergé sur l’immixtion de cet acteur privé dans le secteur de la santé – accusé d’ubériser le métier –, Stanislas Niox-Chateau reste persuadé que Doctolib pourra simplifier dans l’avenir l’accès des Français aux soins. Depuis peu, l’entreprise s’est attaquée au marché de la téléconsultation. Son patron veut également développer son activité à l’international, pour l’instant seulement présente, hors de France, en Allemagne. Son objectif ? Faire de Doctolib un numéro un mondial, et une entreprise où il fait bon vivre.
A en croire son ami Maxime Forgeot, « il a moins [de choses] à se prouver à lui-même, son sujet maintenant, c’est comment faire bénéficier le plus grand nombre » du succès de Doctolib. Et pourquoi pas, aussi, « faire profiter les autres de sa réussite financière » ; ainsi, son ami verrait bien Stanislas Niox-Chateau, catholique convaincu, à la tête d’une fondation philanthropique. L’entrepreneur ne manque pas de ressource : « Il a cette capacité à se fixer toujours de nouveaux objectifs. »
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