Jacques Toubon en juillet 2016 à Paris. Photo Martin Bureau. AFP
Trois ans après son rapport sur les droits fondamentaux des étrangers en France, le Défenseur des droits s'inquiète d'une forte augmentation des réclamations qui lui sont adressées en matière d'accès à la santé pour les étrangers.
La France, pays où l’accès à la santé est si facile et universel ? Pas pour les étrangers, déplore le Défenseur des droits dans un rapport publié ce lundi. Ces dernières années, les réclamations liées à la santé des personnes étrangères sur le territoire ont même fortement augmenté. «Le degré de protection des droits accordés à une minorité ou à une partie fragilisée de la population révèle en creux l’effectivité des droits de tous et de chacun, écrit Jacques Toubon. Parce que les personnes malades étrangères sont doublement vulnérables, leur situation est particulièrement éclairante.»
Premier constat fait par le Défenseur des droits et son équipe : la réforme de l’assurance maladie de 2016 a débouché, de manière imprévue, sur un recul pour de nombreux étrangers. «Alors que la réforme de l’assurance maladie dite "Puma" s’annonçait à droit constant, l’affiliation à l’assurance maladie des étrangers en situation régulière se heurte encore à des obstacles peu compréhensibles», relate le rapport.
La très grande majorité des étrangers présents en France le sont légalement mais il leur est désormais plus difficile de prouver la régularité de leur statut, nécessaire à l’affiliation à la Sécurité sociale, regrette le Défenseur des droits. Notamment parce que les préfectures ne délivrent pas toutes de récépissé de demande de titre de séjour par exemple. Dans certains cas, les personnes changent également de motif de séjour (par exemple quelqu’un venu pour ses études qui devient le conjoint d’un Français et demande alors un titre «vie privée et familiale»), ce qui peut entraîner momentanément la rupture de leur affiliation.
Confusion des genres
Illustration concrète : la réforme Puma supprime la notion d’ayants droit majeur, chacun a désormais sa propre affiliation. Cela ne pose pas de difficulté pour les Français. Mais un étranger, le temps de prouver qu’il réside bien en France légalement, ne peut être rattaché à la Sécurité sociale de son conjoint. Etant en situation régulière, il ne peut demander non plus à bénéficier dans l’intervalle de l’aide médicale d’Etat (AME). Il suffit alors d’un accident nécessitant une hospitalisation ou d’une complication de grossesse pour se retrouver lesté d’une importante dette hospitalière.
Deuxième constat : l’accès au droit au séjour ou au maintien sur le territoire pour les étrangers malades est, ces dernières années, plus difficile. «Depuis 1998, la loi garantit de plein droit un titre de séjour aux étrangers très gravement malades résidant habituellement en France et qui ne pourraient bénéficier de soins appropriés dans leur pays», rappelle pourtant le rapport. Lorsqu’un étranger demande à bénéficier d’un droit au séjour pour raison médicale, son cas est examiné par des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), rattaché au ministère de l’Intérieur et non de la Santé. Il n’a pas moyen de faire un recours en cas d’avis défavorable, lequel est communiqué au préfet, qui statue sur l’attribution du titre de séjour. Mais le préfet n’est pas contraint par l’avis du comité médical, déplore le Défenseur des droits.
Une drôle de confusion des genres entre politique migratoire et politique de santé publique, juge-t-il. Ainsi, il s’inquiète qu’en 2017, quelque 200 personnes porteuses du VIH et originaires de pays en développement aient reçu un avis défavorable quant à leur maintien sur le territoire, alors même qu’une circulaire de janvier 2017 émanant du ministère de la Santé rappelle que l’on ne peut considérer que les traitements antirétroviraux sont largement accessibles dans ces pays.
Justificatifs fantaisistes
Le Défenseur des droits estime par ailleurs que l’idée que la France soignerait toute la misère du monde est erronée : «Le besoin de soins est une cause d’immigration plutôt marginale et les étrangers déjà malades à leur arrivée en France découvrent, pour la majorité d’entre eux, leur pathologie à l’occasion de bilans de santé réalisés bien après cette entrée.» Ainsi, sur 225 500 titres de séjour délivrés à l’issue d’une première demande en 2018, moins de 2% (4 310) l’étaient pour raisons médicales. Il n’y a donc pas d'«appel d’air»… Ce qui n’empêche pas certaines préfectures de demander des justificatifs plus ou moins fantaisistes, voire complètement illégaux (comme de justifier leur pathologie) aux personnes qui sollicitent un droit au séjour pour raison médicale. Le Défenseur des droits demande donc que le ministère de l’Intérieur dresse une liste exhaustive des pièces nécessaires au dépôt d’une demande de séjour pour raison médicale et qu’elle soit diffusée dans toutes les préfectures.
Enfin, le troisième constat de Jacques Toubon concerne les étrangers en situation irrégulière, et particulièrement ceux placés en centre de rétention administrative (CRA) dans la perspective d’une expulsion. Les conditions de rétention en général, et le manque d’accès aux soins, en particulier psychiatriques, ont été de nombreuses fois dénoncées par des ONG et associations de soutien aux immigrés, ou encore par la contrôleure générale des lieux de privation de liberté. «Trop souvent, l’objectif d’exécution de la mesure d’éloignement prime sur la réelle prise en compte de l’état de santé des étrangers», déplore à son tour le Défenseur des droits.
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