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Deux événements récents font craindre des utilisations problématiques des données des patients, ainsi que le non-respect du secret médical.
Dominique Pon, responsable de la révolution numérique au ministère de la Santé, le dit avec insistance : «Cette révolution ne marchera que si elle est faite autour et pour le bien du patient. Autrement, cela ne marchera pas. Les big data, comme l’espace numérique de santé pour chaque citoyen, doivent reposer sur ce principe.» Deux événements récents autour de fichiers de patients ne vont pas franchement dans ce sens-là.
D’abord, il y a l’affaire du système d’information pour le suivi des victimes (SI-VIC). Depuis le mois de décembre 2018, dans le cadre des manifestations des gilets jaunes, ce dispositif qui autorise les autorités à «collecter les données en cas de situation sanitaire exceptionnelle» a été déclenché à plusieurs reprises. Permettant de recenser les données des personnes débarquant dans les services hospitaliers d’urgence dans la foulée des manifestations. Au départ, ce fichier mis en place à la suite des attentats terroristes de 2015 avait pour objectif la coordination de la prise en charge des victimes d’événements sanitaires exceptionnels… Mais voilà, cela a dérapé. Utilisé de façon nominative, il peut permettre de procéder par recoupement à l’identification des manifestants. Les ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères y ont accès. «Les possibilités ouvertes par un tel traitement de données en marge des manifestations au cours desquelles de nombreux blessés sont recensés ne répondent à aucune nécessité pour leur prise en charge médicale, a réagi avec virulence le Syndicat des avocats de France (SAF) dans un communiqué récent. Cette prise en charge doit rester la même pour toute personne quelle que soit sa situation sociale, juridique ou son appartenance ou non-appartenance à un mouvement social, syndical ou politique, sans risque d’être fichée.» En clair, ce fichier n’est en rien utile pour le patient ; en plus, on l’a vu dans les hôpitaux de Paris, peuvent s’y glisser des informations en violation complète du secret médical, pierre angulaire du lien entre malade et médecin. France Assos Santé, qui regroupe toutes les associations de malades, a également noté, très en colère, que «les personnes ainsi recensées l’ont été sans donner leur consentement et sans en être informées. Pour nous, viscéralement attachés à la défense des droits des personnes, ce défaut d’information est extrêmement préoccupant».
«Ficher et fliquer»
Plus inquiétant encore est le décret publié le 6 mai dernier, par le gouvernement. Celui-ci permet d’utiliser les données des personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie, en les croisant avec celles dédiées à la prévention et à la lutte contre la radicalisation à caractère terroriste. «Ces mesures constituent clairement un détournement des données de santé des particuliers, non pas pour les soigner mais pour les ficher et les fliquer, note le SAF. Le principe est pourtant clair en la matière : tout traitement de données de santé à caractère personnel ne peut avoir pour objet, ni pour effet de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées.»
Ce décret est d’autant plus préoccupant que dans la loi sur les différents types d’hospitalisations en psychiatrie, les hospitalisations sans consentement relèvent d’une décision médicale et non pas d’ordre public, sauf dans le cas très précis d’hospitalisation à la demande du représentant de l’Etat (SDRE, soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat). Dans ce dernier cas, où il ne s’agit pas d’une prise en charge sanitaire mais de l’ordre public, des recoupements éventuels avec le fichier Hopsyweb à des fins de prévention et de lutte contre la radicalisation à caractère terroriste pourraient s’entendre. Mais autrement, pourquoi diable un patient déprimé, angoissé, ou délirant, qui refuse d’être hospitalisé a quelque chose à voir avec le terrorisme ? Faut-il rappeler, en plus, qu’un certain nombre d’hospitalisations sans consentement se font parce que faute de place et de lits dans un hôpital, le choix d’une hospitalisation sans consentement permet administrativement d’obliger l’hôpital ou le service à l’accueillir. A l’heure où le discours des autorités sanitaires insiste sur la déstigmatisation des maladies mentales, ce type de décret va brutalement dans le sens inverse.
«Possibles dérives»
Médecins comme associations ont, là aussi, vertement réagi. L’Ordre des médecins s’en est ainsi alarmé, rappelant «la nécessité absolue de préserver les principes fondamentaux de l’exercice professionnel, en particulier celui du secret médical». Il est vrai que déjà, dans certaines circonstances exceptionnelles (comme les cas d’agressions sur enfants), la loi permet aux médecins de passer outre le secret médical. L’Ordre préconisant«la pleine application des textes en vigueur, et en particulier ceux du code pénal qui s’adressent à tout citoyen, plutôt que de créer de nouvelles dérogations au sujet desquelles on ne peut mesurer les possibles dérives ultérieures».
C’est bien le moins. On nous disait qu’en matière de big data en santé, tout devait reposer sur le consentement du patient. Ce n’est pas ce qui se dessine.
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