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vendredi 17 mai 2019

L’esthétisme, de Lascaux à la FIAC…

La neuroesthétique nous apprend beaucoup de ce qui se passe dans notre cerveau au moment précis où nous produisons ou jugeons une œuvre d’art, expliquer 

Sylvie Chokron, chercheur en psychologie de la perception. Publié le 15 mai 2019

« Carte blanche ». Tous les matins sauf le mardi, les visiteurs se pressent salle des Etats, au Louvre, pour se perdre dans le regard pénétrant de La Joconde. Leonard de Vinci, mort il y a tout juste cinq cents ans, aurait développé une technique spécifique, le sfumato, « fumée » en italien, spécifiquement pour ce tableau. Pendant des années, il aurait appliqué au doigt, patiemment, délicatement, jusqu’à trente couches de peinture, pour obtenir cet effet translucide et profond.

A quand remonte cette capacité à créer et inventer dans un but artistique ? La plupart des recherches indiquent que les premières traces de génie créatif remonteraient au ­paléolithique supérieur, il y a environ 40 000 ans, et seraient le fruit d’une mutation génétique qui aurait entraîné une véritable révolution sur le plan artistique. Néanmoins, depuis quelques années, on suspecte que cette capacité, favorisée par des facteurs biologiques et sociaux, a émergé bien avant l’apparition d’Homo sapiens, sans doute au moment de la séparation entre la lignée des grands singes et la lignée humaine.
Quels changements au niveau cérébral ont-ils pu être à l’origine de la créativité ? Les paléoneurologues comme Dean Falk, de l’université de Floride, pointent bien entendu l’augmentation constante de la taille du cerveau. Néanmoins, Katerina Semendeferi, de l’université de Californie, a décrit une réorganisation corticale qui pourrait être liée à l’émergence du processus créatif. Au niveau du cortex préfrontal antérieur, en particulier, l’aire 10 de Brodmann, impliquée dans les activités de régulation, de planification, de coordination et de contrôle de l’action, a subi de profondes modifications au cours de l’évolution et présente une différence nette entre les hommes et les primates.

Connectivité du cortex frontal

D’une part, la taille de cette aire est bien plus importante chez l’homme. Mais, de plus, les espaces horizontaux entre les neurones sont 50 % plus grands chez l’homme que chez le primate, permettant de laisser passer axones et dendrites et augmentant ainsi la connectivité au sein du cortex frontal ainsi qu’entre celui-ci et les autres aires cérébrales. L’augmentation des connexions corticales a sans doute permis l’émergence de processus cognitifs complexes comme ceux ­impliqués dans la création artistique et dans le jugement esthétique. Depuis quelques ­années, un nouveau champ de recherche, la neuroesthétique, tente d’ailleurs de percer à jour ce qui se passe dans notre cerveau au moment précis où nous produisons ou jugeons une œuvre d’art.
D’après Francesca Babiloni, de l’université La Sapienza, à Rome, la décision qu’une œuvre est « bonne » ou « mauvaise » se forme très rapidement dans notre cerveau, dans les dix à vingt secondes qui suivent la présentation d’une image. En enregistrant l’activité cérébrale de participants pendant l’observation d’œuvres d’art, ce chercheur a pu montrer que le jugement esthétique ­entraîne une transmission d’information des aires occipitales et pariétales impliquées dans la perception et l’attention jusqu’aux aires préfrontales et frontales, plus concernées par la production d’une appréciation.
Alors que le ­cortex préfrontal dorsolatéral serait sélectivement activé par les œuvres jugées comme belles, l’activité préfrontale globale serait plus liée au jugement esthétique général pour des œuvres jugées comme agréables ou non. De plus, en testant des sujets pendant l’observation du Moïse de Michel-Ange, cette équipe a pu montrer que les émotions et ­l’activité électrique sont maximales lorsque nous sommes bien en face de l’œuvre, que celle-ci est bien éclairée et que nous fixons le visage sculpté. Alors, que vous soyez artiste ou amateur, précipitez-vous, jouez des coudes, installez-vous bien en face de l’œuvre de votre choix, et laissez votre cortex préfrontal faire le reste.

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