Pour Patrick Berche, ancien doyen de la faculté de Paris-Descartes, la réforme des études de santé, examinée à l’Assemblée à partir de mardi, « ne sort pas de la dictature des concours ».
Le professeur Patrick Berche, ancien doyen de la faculté de médecine Paris-Descartes et ancien directeur de l’Institut Pasteur de Lille, est l’auteur, en 2013, de l’ouvrage Le Savoir vagabond. Histoire de l’enseignement de la médecine (Editions Docis).
A quand remonte la dernière grande réforme des études de médecine ?
Patrick Berche : Il n’y en a eu que deux, tant les blocages sont nombreux dès lors qu’on touche à ce sujet sensible. D’abord, lors de la révolution de 1789. Les études, jusque-là payantes et réservées à une petite élite, sont devenues gratuites et largement ouvertes. Puis, en 1958, Michel Debré a fusionné les écoles de médecine avec l’université et imposé aux médecins, désormais hospitalo-universitaires, le plein-temps. De Gaulle était bien conscient de la difficulté : il a voulu que cette réforme ait lieu par ordonnance pendant la période des pleins pouvoirs, car jamais elle n’aurait pu passer à l’Assemblée, où les médecins réticents étaient nombreux.
Qu’est-ce que cette réforme de 1958 a changé dans la formation des étudiants ?
Elle a introduit les sciences dans la formation médicale, notamment la biologie cellulaire, la biochimie ou encore l’anatomopathologie. Elle a surtout grandement amélioré la formation clinique des étudiants, en instituant par la suite l’externat et l’internat pour tous. Avant 1958, ceux-ci se composaient de 30 % d’externes, qui allaient à l’hôpital tous les matins pendant les quatre dernières années de leur cursus, de 10 % d’internes très bien formés pour devenir des spécialistes.
Les autres étaient stagiaires, sans responsabilités, souvent livrés à eux-mêmes parfois sans assiduité. Quand certains d’entre eux posaient leur plaque de médecin, au bout de sept ans, ils ne savaient pas grand-chose. Aujourd’hui, les médecins sont beaucoup mieux formés, après un cursus de neuf à dix ans, dont plusieurs années de formation clinique à l’hôpital.
Soixante ans plus tard, le gouvernement s’apprête à présenter une nouvelle grande réforme en supprimant le numerus clausus et en modifiant les critères de sélection. Pourquoi la nécessité de revoir cette formation fait-elle désormais l’unanimité ?
On est arrivé au bout d’un système. Il est devenu impératif de trouver un nouveau souffle. Le projet du gouvernement relève plus d’un aménagement courageux que d’une réforme d’une ampleur comparable à celle de 1958, mais il va dans le bon sens. Il s’attaque à la Paces, cette première année d’entrée en médecine terrible et absurde. Ce concours, je l’ai organisé pendant quatorze ans, est de l’abattage. Parmi les 60 000 candidats qui se présentent, vous prenez les 8 000 forts en thème qui ont bachoté nuit et jour, pendant quelques mois, dans un climat d’extrême concurrence, sans aucune prise en compte des qualités humaines que doit avoir un médecin.
Pourquoi estimez-vous malgré tout que cette réforme relève seulement d’un aménagement ?
On reste au milieu du gué, avec une forme de compromis. On ne sort pas de la dictature des concours. Celui-ci va demeurer, sous une autre forme, à l’issue de la première année et de la sixième année. Il existe de fortes résistances des étudiants, des parents et des médecins. On considère que seul ce mode de sélection par concours garantit l’égalité, tout autre système étant accusé d’ouvrir la porte au népotisme ou au piston. Cela n’est pas exact, mais surtout il existe une alternative : recruter les étudiants en médecine au niveau licence. Puis leur permettre de construire leur parcours personnalisé pendant les quatre ans de formation clinique à mi-temps du 2e cycle. C’est ce qui se passe, par exemple, aux Etats-Unis.
Une part d’étudiants venant d’autres licences devrait, via des « mineures », pouvoir rejoindre les études de médecine. Un diplômé de philosophie ne risque-t-il pas d’avoir des lacunes par rapport à un profil scientifique ?
On peut tout à fait admettre que des étudiants venant d’autres cursus non scientifiques rejoignent la médecine, ce qui est impossible actuellement à cause du concours d’entrée de Paces. Cela était autrefois possible. Je viens d’un bac littéraire. On peut envisager des mises à niveau dans certaines disciplines scientifiques indispensables, ce qui n’a rien d’insurmontable. Les études de médecine manquent cruellement de sciences humaines. Point n’est besoin d’être un crack en maths ou en biophysique pour être un bon médecin.
Le gouvernement souhaite introduire un oral dans la sélection à la fin de la première année. C’est une bonne chose pour vous ?
Un oral, c’est formidable, ça révèle la personnalité des gens, en particulier l’empathie, qualité majeure pour exercer la médecine. Pour un praticien généraliste, 80 % du travail repose sur les relations humaines, 20 % sur la technique. Ce ne sont pas forcément les « forts en thème » qui réussissent un oral. J’ai présidé pendant plusieurs années un jury qui admettait les étudiants venant d’autres filières avec un oral. Un jour, un polytechnicien nous a dit : « Je veux faire médecine parce que j’y ai droit »… Il n’a pas été pris.
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