Fentanyl, morphine, tramadol... Quatre personnes meurent chaque semaine des suites d’une overdose de ces antidouleurs pointe l’Agence du médicament.
Plus de morts, plus d’hospitalisations, plus de consommation. Les problèmes liés à la mauvaise utilisation des médicaments antidouleur opioïdes ont fortement augmenté en France ces dernières années. C’est ce que montre un rapport sur l’état des lieux de la consommation publié par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) mercredi 20 février.
Les chiffres sont impressionnants : + 167 % pour le nombre d’hospitalisations liées à la consommation de ce type de médicament qui a presque triplé entre 2000 et 2017, passant de 15 par million d’habitants à 40 par million ; + 146 % pour le nombre de décès entre 2000 et 2015, soit de 1,3 à 3,2 par million. Soit plus de quatre décès par semaine. Un bilan largement sous-estimé en raison de difficulté de collecte des données. Une certitude : ces morts par médicaments constituent désormais la première cause de mortalité par overdose, devant l’héroïne.
Près de dix millions de Français se sont vu prescrire des antalgiques opioïdes en 2015, indique le rapport de l’ANSM. Un chiffre qui atteignait 12 millions en 2017. Deux molécules se détachent : le tramadol (5,8 millions de personnes ont eu une délivrance en 2017) est le plus consommé, avec une hausse de 68 % en dix ans, en partie du fait de l’interdiction du Di-Antalvic à partir de 2011. Il appartient aux opioïdes dits « faibles ». « Le tramadol est la molécule qui pose le plus de problèmes. On peut s’étonner que ce traitement, qui est le moins bien toléré, soit le plus prescrit », constate le professeur Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie et du centre de la douleur du CHU de Clermont-Ferrand, et directeur de l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA).
Parmi les opioïdes dits « forts », une molécule se détache : l’oxycodone, + 738 % de 2006 à 2017. En 2017, un million de Français ont reçu une prescription sécurisée (infalsifiable) d’un antalgique fort (morphine, oxycodone, fentanyl), deux fois plus qu’il y a douze ans, souligne l’OFMA. Faibles ou fortes, ces molécules partagent le même mécanisme d’action sur les récepteurs du cerveau. Le fentanyl est à lui seul 100 fois plus puissant que l’héroïne.
La prise en charge de la douleur s’est améliorée depuis le début des années 2000, mais ces médicaments à base d’opium, utilisés au départ pour atténuer les douleurs cancéreuses, ne sont pas forcément prescrits à bon escient. Il y a par ailleurs trop de prescriptions pour des types de douleurs pour lesquelles ces produits ne sont guère efficaces, comme les migraines, la fibromyalgie, l’arthrose… Or une dépendance peut s’installer très vite, sans que l’on s’en rende compte. Outre la douleur, « ces médicaments agissent aussi sur le psychisme, les émotions, l’anxiété », dit Nicolas Authier.
Certains en prennent jusqu’à plusieurs dizaines par jour, comme en témoigne le reportage diffusé jeudi 21 février dans l’émission « Envoyé spécial ». On est loin du profil classique de l’usager de drogues : les plus touchées par cette dépendance sont des femmes et nombre d’entre elles deviennent accros à leur insu, note l’addictologue Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction. Ces chiffres impressionnants restent toutefois loin de ceux des Etats-Unis, où cette addiction aux opioïdes a causé la mort de près de 48 000 personnes pour la seule année 2017 (130 décès par jour).
Pour autant, « il y a un certain nombre de signaux qui nous incitent à être très vigilants. Cette évolution est inquiétante », reconnaît Nathalie Richard, directrice adjointe des médicaments antalgiques et stupéfiants à l’ANSM. L’agence va donc mettre en place plusieurs actions pour favoriser le bon usage, mieux informer les patients, avant, pendant et après le traitement, mais aussi les professionnels de santé : « Une prescription d’antalgique opioïde doit systématiquement s’accompagner d’une information au patient sur le traitement et sur son arrêt, et d’une surveillance de ces risques même lorsqu’il est initialement prescrit dans le respect des conditions de l’autorisation de mise sur le marché », indique l’ANSM.
Dans les faits, c’est loin d’être le cas. Les notices ne sont pas toujours très claires. Les patients ne sont pas toujours informés par les médecins ou pharmaciens d’un risque de dépendance. Les usagers utilisent trop souvent leur pharmacie familiale… Aujourd’hui, les ordonnances des antalgiques dits « faibles » sont renouvelables sans revoir un médecin, la question est posée de revoir cette disposition. De même, l’agence conseille de fournir aux patients de la naloxone, antidote des overdoses aux opioïdes. Pour l’ANSM, il faut mieux identifier les patients à risques et mieux sécuriser ces produits, sans restreindre leur accès. « Ce n’est pas une crise sanitaire, indique Nicolas Authier, il n’est pas question de bannir les opioïdes, il ne faut pas moins prescrire mais mieux prescrire ».
Opioïdes faibles et forts
Dans la pharmacopée des opioïdes, médicaments antidouleur, on distingue les forts et les faibles. Ces derniers comprennent le tramadol seul (Topalgic, Contramal, génériques) ou associé au paracétamol (Ixprim, Zaldiar…), des médicaments contenant de la codéine en association avec d’autres molécules (Dafalgan codéiné, Codoliprane…) ou de la poudre d’opium (Lamaline, Izalgi). En France, tous les opioïdes faibles sont soumis à prescription médicale depuis juillet 2017. La codéine était en vente libre avant cette date sous forme de sirops contre la toux et de comprimés faiblement dosés. Les opioïdes dits forts sont eux classés comme stupéfiants, ils nécessitent une ordonnance sécurisée (infalsifiable). Ce sont l’oxycodone (Oxycontin et génériques, Oxynorm…), le fentanyl (Durogesic…), les sulfates de morphine (Skenan, Moscontin…).
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