En juillet 2015, dans un hôtel, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) accueillant
des familles ayant fait appel au Samu social. Photo Julien Mignot
«Libération» a eu accès en exclusivité à une étude destinée au Défenseur des droits sur les jeunes logés par le Samu social dans des hôtels. Le texte souligne les «effets délétères» de ce mode de vie sur la scolarité, la santé…
Ils s’appellent Ovik, Sekkura, Kouma, Mirhan, Andrea, ou Zenia. Comme des dizaines de milliers d’enfants et adolescents de leur âge, ils sont «logés» depuis des années dans l’exiguïté d’une chambre d’hôtel avec leurs parents, faute d’un vrai logement adapté aux besoins de leur famille. Une étude, menée par le sociologue Nicolas Oppenchaim de l’université de Tours et Odile Macchi de l’observatoire du Samu Social de Paris, pointe les «effets délétères» de ce type d’hébergement sur les relations familiales, la scolarité et la santé des jeunes qui y grandissent. Pour réaliser leur rapport (1), soutenu et remis au Défenseur des droits Jacques Toubon, les auteurs ont interrogé une quarantaine d’enfants, majoritairement âgés de 11 à 18 ans. Une étude publiée ce lundi à laquelle a eu accès Libération en exclusivité.
Quelles sont les familles logées à l’hôtel ?
C’est un phénomène peu connu : depuis la fin des années 90, des familles«majoritairement étrangères» constituent «une part considérable de la population» sans logement en France. Notamment dans les grandes agglomérations, où l’offre locative est insuffisante et financièrement pas toujours accessible aux foyers très modestes. En 2017 par exemple, outre les ménages accueillis dans des structures comme les centres d’hébergement (CHU, CHRS) ou les centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), plus de 21 000 familles, représentant 58 247 personnes, ont été hébergées dans des hôtels en Ile-de-France.
Qui sont les adolescents hébergés ?
Le rapport constate que ce sont «très majoritairement des enfants migrants, et plus rarement des enfants de migrants». Ce qui veut dire qu’ils sont nés à l’étranger et sont arrivés en France dans le cadre de reconfigurations familiales, pour des motifs économiques ou politiques. Parfois, ils ont fui un conflit armé ou des coutumes ancestrales comme l’excision : «Pour l’ensemble des adolescents qui ont quitté leur pays, la migration se présente comme une nécessité impérieuse, elle ne donne jamais lieu à des regrets».
Après cette migration, commence donc l’hébergement en hôtel. Les adolescents font alors l’expérience d’un incroyable«nomadisme hôtelier». En se basant sur des données du Samu social - qui oriente les familles sans logement vers les hôtels -, «les 30 adolescents franciliens interrogés ont vécu dans 92 hôtels répartis dans 65 communes sur toute l’Ile-de-France». Ils ont majoritairement passé de un à six ans (parfois plus) dans de l’hébergement précaire, alternant hôtels, centres d’hébergement d’urgence, foyers pour demandeurs d’asile, dépannage par des proches. Au gré des places disponibles et des prises en charge par les services sociaux, les familles sont baladées d’un bout à l’autre de l’Ile-de-France.
Quelles sont les causes de ce nomadisme forcé ?
Cette incertitude sur la durée du séjour, ce «nomadisme forcé» empêche le développement de tout projet. «Le récit que [les enfants] font des déménagements, est celui de leur passivité forcée, un récit dont ils sont les objets plus que les sujets, et dans lesquels la capacité d’agir est déléguée à une force anonyme». La décision appartient à un tiers : le Samu social, le travailleur social, le responsable de l’hôtel, l’Ofpra (qui examine les demandes d’asile). Cette «hypermobilité» dixit le rapport, a plusieurs origines : problème de prise en charge financière par les services sociaux, changement de la situation administrative de la famille (refus ou acceptation de la demande d’asile), naissance d’un enfant, litige avec le responsable de l’hôtel…
Quelles conséquences de l’instabilité résidentielle pour les enfants ?
L’instabilité résidentielle des familles logées à l’hôtel rend presque impossible leur«ancrage» dans un territoire, d’autant que certains hôtels sont situés dans des zones très périphériques, dans des zones d’activité parfois inhabitées, situées à proximité de grands axes routiers. «Les sociabilités de quartier sont quasiment inexistantes», constate l’étude. Deux types d’équipement sont tout de même fréquentés par les adolescents : les médiathèques pour faire les devoirs dans un lieux spacieux et calme, ce dont ils manquent dans la chambre d’hôtel, et des parcs ou des squares, pour aller jouer au foot.
Comment se déroule la vie à l’hôtel ?
La vie à l’hôtel est très contrainte. Les visites sont réglementées : «Beaucoup d’adolescents se plaignent de ne pas avoir le droit de sortir de leur chambre.» Pas le droit de faire du bruit, de jouer dans les couloirs ou aux abords de l’établissement. Pas de possibilité d’héberger un(e) ami(e). Bref, impossible de faire de l’hôtel et de la chambre d’hôtel «un chez-soi». «Etre dans un hôtel, c’est un peu comme être enfermé, parce qu’on nous traite un peu comme des prisonniers», a confié, Kouma, 17 ans aux auteurs de l’étude. Se nourrir est aussi très difficile. «La confection des repas est entravée, voire interdite, par une série de règles, pointe le rapport.L’existence d’espaces pour cuisiner dans la chambre est rare. Les cuisines collectives [au bout du couloir, au rez-de-chaussée… ndlr] sont un peu plus fréquentes». Les familles doivent compter sur la tolérance des responsables des hôtels ou se débrouiller autrement pour préparer leur repas. «Les adolescents sont souvent mobilisés [pour garder] les frères et sœurs pendant que la mère s’absente pour faire le repas chez une connaissance ou dans la cuisine collective.»
Quelle intimité à l’hôtel ?
Sur 29 adolescents vivant à l’hôtel interrogés par les auteurs de l’étude,«14 étaient hébergés dans une chambre unique pour toute la famille, comprenant entre deux et cinq personnes». Outre que cette situation contrarie la prise d’autonomie de l’adolescent, au travers de sa chambre qui devient son petit monde, cette situation rend impossible toute intimité.«Tous les moments de changement de tenue, au coucher, au lever, pour la toilette, peuvent être des zones de tension.» La suroccupation et la promiscuité induites par l’espace réduit d’une chambre «entraînent [pour les enfants, ndlr] une plongée permanente au cœur des problèmes familiaux».Parlant de sa cohabitation forcée avec ses frères et sœurs, un garçon a lâché aux enquêteurs : «On s’arrange pour ne pas se disputer.»
Quel niveau de vie pour les adolescents ?
Comme pour tous les enfants, le quotidien des jeunes vivant à l’hôtel est «fortement déterminé par la situation économique des parents»,souligne le rapport. Des parents souvent très pauvres, car sans emploi. Seulement la moitié des enfants interrogés par les auteurs de l’étude indiquent «vivre avec un parent qui travaille». Il s’agit souvent d’emplois à temps partiel, parfois non déclarés. Bref très peu payés. Une situation qui découle de leur statut administratif : demandeur d’asile, famille en voie de régularisation… Ce qui ne permet pas toujours d’accéder à un emploi. Et parfois même à certaines prestations sociales. Le budget très contraint des familles est «dédié en grande partie à l’alimentation […] ainsi qu’aux défenses afférentes à la scolarité des enfants». Dès lors, l’achat d’un vêtement, aller au cinéma, manger au fast-food ou l’acquisition d’un portable sont des dépenses très exceptionnelles pour ces enfants qui «vivent les limitations au quotidien».Les adolescents interrogés racontent qu’ils consacrent beaucoup de temps «à accompagner leurs parents dans des démarches administratives» : à la préfecture pour les papiers, à la CAF pour les allocations familiales, à la Sécu pour la carte Vitale, à Pôle Emploi pour trouver un travail, etc. Les enfants, notamment les adolescents, sont une aide pour surmonter les difficultés linguistiques.
Quelle scolarité pour les enfants des hôtels ?
Parmi les 29 adolescents âgés de moins de 18 ans rencontrés par les enquêteurs, quatre ne vont pas à l’école. Raison : des déménagements fréquents, et des difficultés pour les démarches d’inscription car il faut justifier d’une domiciliation auprès des municipalités concernées. Le rapport souligne «le refus de certaines communes d’accueillir les enfants vivant en hôtel, en arguant du statut provisoire de cet hébergement». Les déménagements d’hôtel en hôtel aboutissent à «une disjonction» entre lieu de résidence et lieu de scolarisation. «Une très faible minorité d’adolescents [sont] scolarisés dans la commune» où ils vivent. Face à l’instabilité résidentielle, pour préserver leurs enfants, les parents choisissent de les maintenir dans le même établissement scolaire, quitte à subir des temps de transport parfois très importants. Il peut ainsi arriver que des familles soient dans un l’hôtel en grande banlieue mais que leurs enfants aillent en classe à Paris. Ce qui a une influence sur les apprentissages et crée des difficultés : retards en cours, absentéisme, temps moindre pour faire les devoirs. Tout cela conjugué à la difficulté d’apprendre dans le chaos de la promiscuité et de la suroccupation d’une chambre d’hôtel. Ces difficultés conduisent «à une très faible maîtrise» par les adolescents de «leur trajectoire scolaire».
Celle-ci se traduit par de nombreuses orientations subies, notamment à la fin de la troisième. Les adolescents sont très majoritairement dirigés vers les lycées professionnels, pointent les auteurs de l’étude. Et souvent dans des filières qu’ils n’ont pas vraiment choisies. Celle-ci est le fait des enseignants et du nombre de places disponibles selon les filières. Qu’apporte l’école aux enfants des hôtels en dépit des parcours scolaires chaotiques ? En dépit des difficultés, «l’école constitue un lieu d’ancrage quotidien et un point fixe pour les adolescents hébergés à l’hôtel. Ils y réalisent les mêmes activités que les autres élèves : aller au théâtre, visiter des expositions, faire des activités sportives ou culturelles au sein de l’établissement», énumère le rapport. C’est aussi un lieu de «sociabilité avec les autres jeunes de leur âge. […] Ce réseau amical des camarades d’école constitue un monde à part de celui de l’hôtel». Au point, que les vacances scolaires représentent une période difficile à vivre pour ces enfants très défavorisés, qui ressentent «un sentiment de vide, de vacuité». Faute de pouvoir faire de la chambre d’hôtel un espace à soi.
(1) «Adolescents sans-logement :grandir en famille dans une chambre d’hôtel».
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