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mardi 26 juin 2018

« Les troubles du neurodéveloppement concernent 5 % à 7 % des enfants »

Dans un entretien au « Monde », le pédopsychiatre Richard Delorme et le neuropédiatre David Germanaud expliquent pourquoi la « stratégie pour l’autisme » doit profiter à tous les enfants atteints de troubles du neurodéveloppement.
LE MONDE |  |    Propos recueillis par 

Après trois plans nationaux ­consacrés à l’autisme depuis 2005, le premier ministre Edouard Philippe a annoncé le 6 avril une « stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement (TND) ». Une formulation qui marque une volonté de décloisonnement. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Entretien avec deux cliniciens et chercheurs impliqués dans la ­concertation à l’origine de cette stratégie, le professeur Richard Delorme, chef du service de pédopsychiatrie, et le docteur David ­Germanaud, neuropédiatre, à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP, Paris).
Pourquoi introduire la notion « d’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement » ?
Richard Delorme C’est devenu une évidence clinique et scientifique. Plus on avance dans la compréhension des TND, plus il ­s’impose que l’autisme n’est pas une entité isolée. Dans 30 % à 40 % des cas, les difficultés de communication sociale s’accompagnent d’une déficience intellectuelle ; dans 40 % à 60 % des cas, d’un déficit de l’attention, des coordinations ou du langage ; dans 10 % à 15 % des cas d’une épilepsie…

David Germanaud Ces troubles de sévérité variable correspondent à un défaut de mise en place d’une ou plusieurs compétences attendues lors du développement cognitif et affectif de l’enfant. Ils sont fréquemment associés ­entre eux, constituant parfois un trouble complexe, et partagent leurs facteurs de risque ­génétiques ou environnementaux : prématurité, infection anténatale… Ils concernent 5 % à 7 % des personnes à travers le monde.
Une étude récente confirme que le risque de TND est multiplié par 4 chez les enfants exposés in utero à la Dépakine (valproate). Comment autant de femmes enceintes ­ont-elles pu prendre cet antiépileptique dont les risques étaient en partie connus ?
D. G. Le fait qu’on n’ait pas pris la mesure de la dangerosité de cette molécule chez la femme enceinte, en dehors du risque de malformation, est très illustratif de la méconnaissance des TND. La logique est pourtant la même que pour l’alcoolisation fœtale : les conséquences de l’exposition au valproate varient selon la ­période de la grossesse, la dose, le profil génétique… Certains enfants présentent un syndrome malformatif spécifique, d’autres un TND isolé de nature très variée, le lien avec ­l’exposition étant probabiliste une fois éliminées les autres causes fréquentes.
Pour revenir à la stratégie nationale, que va-t-elle changer pour les patients ?
R. D. Jusqu’à maintenant, la politique de santé a clairement travaillé des parcours spécifiques autisme. Des efforts ont été faits pour mieux accueillir les jeunes autistes dans des filières de soins, à l’école. Le système laisse cependant de côté des enfants avec des difficultés proches, mais sans diagnostic d’autisme. Les familles ne comprennent pas que leur enfant, qui voit les mêmes professionnels qu’un autiste et a ­besoin de prises en charge assez comparables, ne bénéficie pas des mêmes dispositifs. Pour ces parents, c’est une double peine : leur enfant a un handicap, et ce n’est pas le bon. Ce constat est partagé à l’échelle mondiale.
D. G. Il est clair que le système actuel fonctionne mal, comme l’a montré à nouveau l’évaluation du troisième plan Autisme par l’Inspection générale des affaires sociales de mai 2017. La concertation en amont de la nouvelle stratégie nationale a eu le mérite de prendre de la hauteur pour redonner du sens, sur des bases scientifiques et pragmatiques. Elle dégage un socle de savoirs, d’outils et de moyens communs aux TND, qu’on a tout à gagner à mieux partager et organiser. Le cadre sera ainsi plus efficace et plus juste. Un des besoins communs est le repérage et l’intervention précoce. Un ­diagnostic précis n’est souvent pas possible d’emblée, mais des interventions initialement peu spécifiques sont très utiles. Ces stratégies ­nécessitent des intervenants avec une connaissance et une approche globale des TND.
Les parents d’autistes se battent depuis des années pour combler le retard de la France. Ne risquent-ils pas de perdre des acquis ?
R. D. Je comprends leur inquiétude sur une ­dilution des moyens. Il y a aussi des craintes liées à l’histoire des pratiques en France et à la psychanalyse. Après avoir lutté pour une approche catégorielle, et l’abandon de ce qui était regroupé sous le terme « psychoses infantiles », ils ne veulent pas d’une stratégie qui nierait les spécificités des individus et de l’autisme. L’objectif n’est pas de revenir en arrière mais d’offrir des soins plus cohérents, et personnalisés.
D. G. Une telle approche n’efface en rien les spécificités de chaque trouble et de chaque personne. Comme dans les autres champs de la médecine, on a besoin de mettre en place des dispositifs communs incluant des compétences d’excellence sur des questions spécifiques. Pour prendre une image, on ne peut pas imaginer être efficace sur les maladies infectieuses simplement avec des experts qui ne connaîtraient que les virus.
Les centres médico-psychologiques (CMP), les spécialistes hospitaliers et les centres de référence sont saturés, comment faire mieux dans ce contexte ?
D. G. On a fait de ces problèmes de santé des tabous jusque parmi les professionnels du sanitaire, du médico-social et de l’éducation, qui y sont de facto confrontés régulièrement, en leur disant que c’était du ressort des spécialistes. Au final, des situations diagnostiques simples ­attendent des mois – voire plus – une confirmation par un centre expert, qui peut se révéler ne pas être le bon. Comment ne pas impliquer et responsabiliser l’ensemble des acteurs lorsque 7 % de la population est concernée ? Par exemple, les pédiatres de ville et les médecins de ­famille ou scolaires ont une part active à prendre : interaction avec les professionnels des crèches ou de l’école, mise en place des interventions précoces… Il faut construire des réseaux ­lisibles et fluides entre les différents niveaux de soins et d’accompagnement, à l’instar de ce qui a été fait pour le cancer, par exemple.
R. D. Je crois beaucoup à l’organisation fractale d’un tel dispositif. A tous les niveaux de soins, des compétences multidisciplinaires, le partage de savoirs et d’outils validés, le travail en réseau sont nécessaires, malgré des niveaux d’expertise et de technicité différents.
Est-ce réalisable, alors que ces troubles sont encore si mal connus des professionnels de la petite enfance ?
D. G. Il est vrai qu’il existe un déficit de ­connaissances globales sur le neurodéveloppement, en particulier des avancées scientifiques qui changent la donne. Il faut y répondre par le renforcement des formations initiales mais aussi, car il y a tout de même urgence, par des outils innovants de formation continue sur les territoires.
R. D. C’est indispensable, et en insistant sur la transdisciplinarité. Jusqu’ici le système a ­favorisé le travail en silo, en particulier des spécialistes. Par exemple, les experts de l’autisme et des déficiences intellectuelles (DI) se connaissent mal et interagissent peu. ­Pourtant, les ­concertations récentes dans ces deux domaines – stratégie nationale pour l’autisme d’une part ; Etats généraux de la déficience intellectuelle de l’autre – ont abouti à des constats et des propositions très proches et complémentaires.
La création de80 unités d’enseignement en maternelle (UEM) pour des enfants ­autistes est annoncée. Quid des autres ?
R. D. Effectivement, aujourd’hui, pour avoir accès aux UEM, un diagnostic d’autisme est ­nécessaire. Des unités de diagnostic précoce ont été créées pour les alimenter. Mais, en tant que soignant, la question se pose tous les jours : qu’est-ce qui justifie un dispositif si étroit, voire inéquitable, excluant de fait les enfants avec des besoins comparables mais sans symptômes autistiques ? A terme, l’idéal serait de ­regrouper établissements scolaires et médico-sociaux. Cela permettrait de partager le même environnement et de fluidifier les parcours éducatifs. Cette inclusion est indispensable pour les patients mais aussi pour les familles.
Les moyens alloués sont-ils nettement insuffisants comme le déplorent les associations ?
R. D. Les premières mesures concrètes vont débuter, tels les forfaits intervention précoce pris en charge par l’Assurance-maladie. Ils permettront de débuter des prises en charge (psychomotricité, ergothérapie…) rapidement, sans mettre en difficulté financière les familles. Il y a cependant un gros travail pour les coordonner avec un parcours de soins et d’accompagnement sans rupture, efficace et équitable.
D. G. Il y a urgence à mettre en musique ces orientations. Certes, il existe un décalage entre le nombre de personnes concernées, ce qui leur est proposé aujourd’hui, et ce qu’il faudrait au regard des connaissances actuelles. C’est une ­situation finalement choquante pour notre pays. Dans ce contexte, le budget annoncé de 344 millions d’euros sur cinq ans pourrait paraître insuffisant. Il faut donc aussi se poser la question de l’utilisation des moyens humains et financiers existant dans le domaine de la santé, de l’éducation nationale et de la recherche. Ils doivent être mobilisés et réalloués pour mieux prévenir, limiter et accompagner le handicap d’origine neurodéveloppementale.

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