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jeudi 28 juin 2018

Faire plus ample méconnaissance

Par Erwan Cario — 
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 Photo Mark Garlick. Science Photo Library. Cosmos


Dans son ouvrage réalisé avec le dessinateur Jorge Cham, «Tout ce que nous ne savons pas encore», le physicien Daniel Whiteson explore avec une certaine jubilation l’étendue de nos lacunes dans la compréhension de l’univers.

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La vulgarisation scientifique consiste généralement à rendre accessibles les connaissances accumulées par une ou plusieurs disciplines. Forcément, lorsqu’on tombe sur un ouvrage qui prétend s’attaquer à tout l’inverse, ce que l’on ne sait pas, ça intrigue. Et puis, à la lecture, on comprend.
Comme l’a expliqué le vulgarisateur de talent Etienne Klein dans sa Conversation scientifique sur France Culture : «Ignorer qu’on ignore, c’est ne rien savoir, mais savoir qu’on ignore, c’est vraiment savoir, car cela suppose de savoir tout ce qui a déjà été établi. C’est pourquoi l’ignorance est la grande affaire des savants.» Tout ce que nous ne savons pas encore : le guide de l’univers inconnu propose donc d’aborder ce qui reste mystérieux aux yeux de la science dans tout ce qui nous entoure. En seize questions, parfois très vastes («Qu’est-ce que l’espace ?»), parfois très précises («Mais qui tire des particules super rapides sur la Terre ?»), les deux auteurs (Daniel Whiteson au texte et Jorge Cham, du blog PhdComics,au dessin) dressent finalement un état des lieux de notre (maigre) connaissance du cosmos et du reste. «Tout ce que nous ignorons encore doit nous enthousiasmer», expliquent-ils en conclusion de leur livre. Et c’est plutôt réussi.
Il y a quelque chose de fascinant à se rendre compte que les découvertes majeures du XXe siècle (la relativité, la physique quantique, l’observation de l’espace, etc.), si elles ont révolutionné en profondeur notre compréhension, sont très loin de tout expliquer. Résultat, on ressort de cet ouvrage où l’humour réussit à faire passer beaucoup d’idées complexes avec une impatience joyeuse pour les prochaines découvertes qui ne manqueront pas d’advenir. Nous présentons ici cinq des mystères abordés dans l’ouvrage, mais, avant d’aller plus avant dans les étoiles, l’auteur, Daniel Whiteson, chercheur en physique des particules à l’Université de Californie, a bien voulu répondre à nos questions.
D’où vient cette envie de savoir tout ce qu’on ne sait pas ?
Notre désir d’explorer l’inconnu vient de la curiosité fondamentale de l’être humain. Parfois, cela est motivé par le fait de trouver la limite de nos connaissances actuelles, par exemple avec la découverte de la matière noire, qui nous confronte à un mystère concret et spécifique à résoudre. Souvent, cependant, cela vient de l’intérieur de nous lorsque nous posons des questions fondamentales sur notre expérience : pourquoi le monde est-il tel qu’il est ? Pourquoi ça marche de cette façon et pas de cette façon ? Comment cela a-t-il commencé ? Ce sont des questions que les gens se posent depuis que les gens posent des questions, bien avant que la science ne commence à construire des réponses !
Quelle a été la partie de votre livre la plus compliquée à rendre compréhensible ?
Pour moi, le concept le plus difficile à expliquer clairement a été pour la question «Qu’est-ce que le temps ?» Rien qu’en essayant d’établir une définition simple, on peut se perdre.
Y a-t-il un mystère qui vous empêche de dormir ?
L’un de nos mystères préférés est celui des rayons cosmiques : quelque chose (ou quelqu’un !) tire des particules de très haute énergie sur la Terre. Les particules ont une énergie beaucoup plus élevée que tout ce que les humains peuvent produire, ou que n’importe quelle chose connue dans l’univers peut produire. C’est un mystère alléchant, car il est vraiment concret : nous voyons ces particules, mais nous n’avons aucune idée de leur origine.
Quelle est la théorie physique non vérifiée qui vous plaît le plus ?
Nous aimons l’idée d’un univers infini - la matière et l’espace qui s’étendent dans toutes les directions pour toujours. Un univers infini est attrayant, parce qu’il signifie que tout ce qui est possible se passe quelque part. Cela inclut des planètes avec toutes sortes de vie étrange, où dansent des dragons pourpres de l’espace. Cela laisse courir l’imagination, mais comme nous ne pouvons voir qu’une fraction de l’univers, elle ne peut pas être vérifiée.
Puisque nous ne savons presque rien de l’univers, pensez-vous que nous pourrions nous tromper complètement sur ce que nous pensons savoir aujourd’hui ?
Presque certainement. L’histoire de la science est remplie de moments merveilleux où nous découvrons que certaines suppositions profondes sont renversées : la Terre est ronde, le Soleil est le centre du Système solaire, l’univers est fondamentalement aléatoire, le temps n’est pas universel. Les futurs scientifiques sont très susceptibles de découvrir que d’autres hypothèses de base que nous faisons sur la nature de notre réalité étaient des erreurs, surgénéralisées à partir de notre courte expérience dans un coin de l’univers.
On pourrait penser que plus nous en savons, moins nous ne savons rien, mais dans les faits, l’étendue de ce que nous ignorons a tendance à augmenter avec ce que nous apprenons. Est-ce sans fin ?
Nous espérons que c’est sans fin ! Fondamentalement, les questions viennent de nous, de notre curiosité pour l’univers. Nous ne nous attendons pas à ce que les humains regardent autour d’eux et se sentent satisfaits de leurs connaissances. Il y aura toujours plus de questions !
Vous rencontrez un génie qui propose de répondre à l’une de ces questions : qu’est-ce que la gravité, qu’y avait-il avant le Big Bang, où se trouve l’antimatière ? Laquelle choisissez-vous ?
Je suis désespérément curieux de savoir ce qui s’est passé avant le Big Bang. Pour moi, c’est une question qui aborde le contexte de l’univers, et met en perspective nos minuscules petites vies.

Matière noire et énergie noire :  Et si nous ne connaissions vraiment que 5 % de l’univers…

C’est le premier chapitre de ce Guide de l’univers inconnu et c’est une introduction brillante pour happer le lecteur dans une question vertigineuse : de quoi l’univers est-il fait ? On sait qu’il y a de l’énergie et de la matière. Cette matière est composée de particules, qui se rassemblent pour former des objets, comme des planètes ou des étoiles. Ces étoiles forment des galaxies, et il y a même des amas de galaxie. Grosso modo, on en a fait le tour : c’est à peu près ça, l’univers observable. Sauf qu’il y a des trucs qui ne collent pas. Les galaxies, par exemple, tournent très vite. Et, d’après les calculs, cette vitesse de rotation devrait éjecter les étoiles, un peu comme quand on fait tourner une assiette avec des petits pois dedans. Une des solutions très plausible pour que les étoiles restent bien en place dans leur galaxie serait qu’il existe une matière supplémentaire qui exercerait une force de gravité suffisante pour les retenir. Mais cette matière, qui devrait pourtant être très présente, est invisible avec tous les instruments à notre disposition, d’où son petit nom : la matière noire. Autre détail qui ne colle pas : l’accélération de l’expansion de l’univers. En effet, d’après les données connues, cette expansion, qui a débuté il y a 13,77 milliards d’années avec le Big Bang, devrait ralentir et finir, peut-être, par s’inverser. Pas de bol, elle accélère. Et pas qu’un peu. Cette accélération inattendue demande de l’énergie, beaucoup d’énergie, et on n’a strictement aucune idée d’où elle pourrait provenir. Dans un excès d’originalité, on l’a appelée l’énergie noire. Si les théories actuelles sont justes, l’univers serait donc composé à 68 % de cette énergie noire, 27 % de matière noire et les cinq petits pour cent qui restent, c’est ce qu’on connaît (les planètes, les étoiles, etc.). Pas grand-chose, donc.

L’Espace et le temps : Vers l’infini… et au delà ?

Les mystères les plus déroutants sont ceux qui concernent des sujets qui nous semblent d’une évidence absolue au premier abord. Prenez par exemple l’espace et le temps. Le premier, c’est simplement ce qui nous entoure, et le second, c’est ce qui passe de manière continue et qui est mesuré par une horloge. Et pourtant, pas du tout. L’espace n’a pas grand-chose à voir avec cette intuition dictée par notre expérience de tous les jours d’un vide infini qui s’étend dans toutes les directions. C’est un objet physique qui peut se courber, onduler et se dilater et où les droites parallèles peuvent très bien se croiser. Il est possible qu’il soit fini, et même qu’il soit quantifié, c’est-à-dire que ce que nous voyons serait l’agrégation de petits volumes d’espace minimaux reliés entre eux. Plus généralement, si l’espace est un objet, reste à connaître sa forme. On le constate globalement plat, mais on ne sait absolument pas pourquoi. Pour le temps, c’est encore pire. Plus on essaie de l’étudier, plus il est mystérieux. Comme les auteurs l’expliquent : «Toute définition du temps par l’homme a beaucoup de chance d’être faussée par la nature même de notre expérience. Pensez à ceci : le simple fait de penser au temps exige du temps !» Si on sait déjà qu’il ne s’écoule pas à la même vitesse partout et qu’il n’y a pas un présent commun aux différents endroits de l’espace, on ne sait par exemple pas vraiment pourquoi le temps ne s’écoule que dans un sens (lire l’entretien avec Carlo Rovelli dans le Libération du 31 mars).

Le Big-Bang : ce qui se passe à l’origine reste à l’origine

C’était il y a 13,77 milliards d’années, et c’est sans aucun doute le mystère le plus insondable de l’univers : le Big Bang. Après avoir constaté l’expansion de l’univers, des physiciens ont très logiquement remonté le temps et constaté que tout devait avoir commencé par une concentration très élevée de la matière et de l’énergie. Evacuons d’emblée le mystère des mystères : qu’est ce qu’il y avait avant le Big Bang ? Soit il y avait quelque chose, soit il n’y avait rien, soit la question elle-même est illégitime, puisque «avant» implique une notion de temps et que le temps lui-même est apparu avec le Big Bang. De toute façon, on peut se faire plaisir et imaginer ce qu’on veut puisque nous n’aurons sans doute jamais la réponse. Mais il y a d’autres mystères qu’on peut espérer résoudre un jour, comme celui de la température uniforme de l’univers. En effet, si l’univers avait connu une expansion continue depuis une situation immensément chaude, la température aurait tendance à diminuer quand on s’en éloigne. L’explication la plus communément acceptée aujourd’hui est celle de l’inflation : à l’âge de 10-36 secondes (vraiment pas grand-chose), l’univers se serait brutalement dilaté à une taille assez proche de celle d’aujourd’hui. Comme ça. Sans prévenir. Du coup, conséquence directe, la même température partout. Cette inflation, tout incongrue qu’elle soit, a l’avantage d’expliquer énormément de choses, et les chercheurs espèrent un jour en retrouver la trace sous la forme d’ondes gravitationnelles. Un mystère en moins, ce serait toujours ça de pris.

La gravité : la plus étrange de toutes les forces en présence

Elle fait tourner la Terre autour du Soleil et nous empêche de nous envoler, et pourtant, par rapport aux autres forces fondamentales de l’univers, elle est incroyablement faible. On peut en faire l’expérience très simplement avec un aimant et un clou. Le premier empêche le second de tomber, ce qui montre que la force électromagnétique de cet aimant de quelques grammes est plus forte que la gravité venue d’une planète entière. Et pour cause, la gravité est 1036 fois (un 1 et trente-six zéros derrière) plus faible que les autres forces fondamentales de l’univers, sans qu’on ne sache vraiment pourquoi. Enfin si, on sait : un certain Albert Einstein a bien expliqué dans sa célèbre théorie de la relativité générale que la gravité n’était pas une force, mais une courbure de l’espace-temps provoquée par les objets massifs (on chute vers ces objets, ils n’appliquent directement aucune force sur nous). Le souci, car il y en a quand même un gros, c’est que la gravité n’est pas franchement compatible avec la physique quantique et le modèle standard de la physique des particules, là où les autres forces fondamentales s’intègrent parfaitement. Au quotidien, ce n’est pas forcément très gênant, les deux théories n’entrant pas vraiment en conflit. La physique quantique s’occupe de l’infiniment petit, et la relativité générale du reste. Mais intellectuellement, il n’est pas très satisfaisant d’avoir deux lois pour un seul univers. De plus, si on remonte très loin dans le temps, juste après le Big Bang, on arrive à un moment où elles entrent en conflit. Il y a donc bien un truc qui cloche. Les grands spécialistes de la physique théorique travaillent pour élaborer une «théorie du tout» qui réconcilierait tout le monde. On trouve ainsi la théorie des cordes et celle de la gravitation quantique à boucle, mais il est impossible aujourd’hui de les vérifier par l’expérience.

L’antimatière : qu’est-il donc arrivé au némésis de la matière ?

Avec l’antimatière, tout est mystérieux. A commencer par son nom. La matière, on connaît. Enfin, on croit connaître, ce qui est déjà pas mal. Mais imaginer quelque chose qui porte le nom d’antimatière est en soi compliqué. Son existence a été prédite par l’un des pères de la mécanique quantique, Paul Dirac (1902-1984), qui avait remarqué que ses équations pouvaient fonctionner aussi bien avec les particules connues qu’avec leur équivalent possédant une charge opposée. Et - c’est déjà assez dingue - ces antiparticules ont été observées peu de temps après leur prédiction. Une de leurs principales caractéristiques, c’est que lorsqu’une particule rencontre son antiparticule, elles s’annihilent, disparaissent complètement en laissant derrière elle une énorme quantité d’énergie. Mais la grande question, c’est surtout : pourquoi l’antimatière est-elle si rare ? C’est plutôt une bonne nouvelle, car si on pouvait croiser de l’antimatière en abondance, on aurait été annihilé depuis bien longtemps. Mais ça ne répond pas à la question. Lors du Big Bang, on sait que des quantités équivalentes de matière et d’antimatière sont apparues, mais que la première s’est au final imposée dans l’univers. Certains pensent qu’une quantité légèrement supérieure de matière a été créée et que c’est ce léger surplus qui constitue ce qui nous entoure. D’autres estiment que l’antimatière a disparu d’elle-même avec le temps. A noter que, pour le physicien Gabriel Chardin, l’explication est tout autre : l’antimatière subirait une «antigravité» qui serait répulsive. La matière s’est donc agrégée en étoiles et en planètes quand l’antimatière se serait dispersée dans l’univers. Chardin explique par ailleurs que sa théorie (qui pourrait gagner en crédibilité dans les mois qui viennent avec une expérience du Cern qui va «peser» de l’anti-hydrogène) expliquerait les mystères de la matière noire et de l’énergie noire.

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