Dans une tribune au « Monde », un collectif de médecins et de juristes parmi lesquels Boris Cyrulnik et Jean-Pierre Rosenczveig, dénonce le recul du gouvernement sur les violences sexuelles sur mineurs.
LE MONDE | | Par Collectif
Tribune. Comme beaucoup, nous avons été profondément heurtés par de récentes décisions judiciaires selon lesquelles des enfants de 11 ans pourraient avoir eu des relations sexuelles librement consenties avec des hommes majeurs.
C’est en effet ce qui s’est passé en février à Pontoise où le parquet s’est contenté de poursuivre devant le tribunal correctionnel pour « atteintes sexuelles » un homme de 28 ans, père de deux jeunes enfants, qui avait eu des relations sexuelles « complètes » avec une enfant de 11 ans. A Meaux, quelques semaines plus tard, et malgré l’émoi public suscité par la première affaire, la cour d’assises, non convaincue de l’existence d’une violence exercée sur la victime, également âgée de 11 ans, a acquitté un homme de 22 ans pourtant poursuivi pour « viol ».
Traumatisme
Comme beaucoup, nous jugeons essentiel que la loi rende impossibles de telles décisions de justice. Nous proposons ici une modification du texte soumis en ce moment même aux parlementaires français, de telle sorte qu’il prévoie expressément, à travers une nouvelle infraction, que jamais un enfant ne peut donner un consentement éclairé à des relations sexuelles avec un adulte. C’est le cas dans de nombreux pays européens, qui fixent la présomption de non-consentement de 12 ans en Espagne à 16 ans en Suisse.
Pour quiconque connaît la psychologie de l’enfant, un tel consentement n’a en effet aucun sens ; en revanche, le traumatisme, lui, peut être irrémédiable, à moins que la victime ne reçoive une aide telle qu’elle lui permette de reprendre son développement. Nous affirmons plus que jamais qu’un enfant ne peut pas donner un consentement éclairé à des relations sexuelles avec un adulte.
Faut-il rappeler que notre pays a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, qui précise très clairement que les Etats doivent « protéger l’enfant contre toute forme de violence, (…) y compris de violence sexuelle » ? Faut-il rappeler que ce texte est un traité, qui s’impose à notre droit interne, traité dont la communauté internationale célébrera l’an prochain le trentième anniversaire ?
Après s’être engagé publiquement, le 25 novembre 2017, à faire adopter le principe d’une présomption absolue de non-consentement avant l’âge de 15 ans – après avoir avancé l’âge de 13 ans –, le gouvernement y a finalement renoncé de peur d’être sanctionné par le Conseil constitutionnel. En effet, ce dernier considère que toute personne mise en cause pour viol doit pouvoir apporter la preuve du consentement de son accusateur.
Peines inférieures
Le gouvernement aurait dû alors proposer une nouvelle infraction criminelle de « violence sexuelle à enfants de moins de 15 ans », ce qui aurait renvoyé automatiquement les adultes, auteurs présumés, devant les assises. Il s’y est refusé.
Certes, il soutenait une position selon laquelle une « atteinte sexuelle avec pénétration » commise sur un mineur de moins de 15 ans pourrait désormais être punissable de vingt ans de réclusion criminelle au titre du viol aggravé, mais sans pour autant couper court aux débats judiciaires sur le pseudo-consentement de la victime, ce qui a débouché sur les décisions contestées de cette année.
Ce texte – qui, fort heureusement, n’est pas encore la loi, puisqu’il n’a été adopté qu’en première lecture par l’Assemblée – implique donc en son état actuel que, désormais, la justice préférera porter de telles affaires devant les tribunaux correctionnels plutôt que devant les cours d’assises. Quelle méfiance à l’égard des jurys populaires ! Quelle méconnaissance de la psychologie d’un enfant ! La notion d’« atteinte sexuelle » affaiblit par nature la gravité de l’acte subi et amoindrit la culpabilité de ceux qui abusent de la vulnérabilité et de la crédulité des enfants.
Nous observons que ce projet, en son état actuel, ne constitue en rien le message fort et clair que nous attendions. Plus encore, il risque de se retourner totalement contre les intérêts de ceux – les enfants – qu’il cherchait à protéger, puisque de telles violations de leurs droits fondamentaux ne se traduiront plus que devant les tribunaux correctionnels ; or ceux-ci ne peuvent prononcer que des peines inférieures à celles que proposeraient des cours d’assises.
Interdit imposé à l’adulte
D’ailleurs, l’ensemble des associations de protection de l’enfance s’oppose fermement à la vision portée par ce projet. C’est un euphémisme de souligner que le Conseil national de la protection de l’enfance et Unicef-France s’inquiètent de ce texte. L’avis du comité d’experts, désigné en février par le premier ministre Edouard Philippe, a été purement et simplement négligé.
Pour résumer, nous proposons avec force la création d’un crime formel de violence sexuelle à enfant quand un adulte a une relation avec une personne mineure de moins de 13 ans pour couper court à tout débat judiciaire sur la preuve de l’âge ou, en toute hypothèse, de moins de 15 ans. Dès lors que les faits sexuels seront établis, le crime sera avéré sans qu’il y ait lieu de s’attacher à l’attitude de l’enfant. Il est essentiel, comme nous l’avançons, de quitter le terrain subjectif du consentement possible de la jeune victime pour se concentrer sur la violation de l’interdit imposé à l’adulte.
Nous savons que la démarche classique du pédophile consiste à soutenir qu’il a été séduit par l’enfant ou qu’il a été trompé sur son âge. Nous savons que le pédophile ou le père incestueux adoptent à l’égard de leur victime une attitude d’emprise telle que le comportement de l’enfant peut apparaître comme un consentement. Nous voulons dire que peu importent les circonstances ou l’attitude de la victime : le crime aura été consommé.
Faut-il encore rappeler qu’un enfant est une personne et non pas un objet d’appropriation par les adultes ? Comme professionnels et comme citoyens, nous en appelons à l’opinion et au Parlement pour que ce projet soit amendé : en son état actuel, ce texte nous apparaît aussi dangereux pour les enfants victimes que délétère pour ceux qui tentent de les protéger.
Signataires : Claire Brisset, ancienne défenseure des enfants ; Roland Coutanceau, psychiatre, président de la Ligue française de santé mentale ; Boris Cyrulnik, neuropsychiatre ; Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny.
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