Deux études ont établi que l’un des gènes-clés pour la formation de la mémoire était le cousin évolutif d’un gène de virus.
LE MONDE | | Par Benjamin Prud'homme (généticien, Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy CNRS) et Nicolas Gompel (généticien, LMU de Munich)
Carte blanche. A priori, il n’y a aucun lien entre une infection virale et la madeleine de Proust. Le romancier, bien que de santé fragile, n’a pas écrit La Recherche sous l’effet d’une forte fièvre, sinon une fièvre littéraire. Pourtant, deux études publiées dans la revue Cell en janvier ont établi que l’un des gènes-clés pour la formation de la mémoire était le cousin évolutif d’un gène de virus.
On sait depuis un certain temps que des souvenirs se forment dans notre cerveau par des reconfigurations des réseaux de neurones. Plus précisément, tout se joue au niveau des synapses, ces structures de jonction entre les neurones qui leur permettent de communiquer en échangeant des signaux chimiques ou électriques. Ces connexions ne sont pas figées, mais peuvent au contraire se renforcer ou s’étioler au gré des expériences de la vie. De nouveaux souvenirs peuvent ainsi s’inscrire dans notre cerveau grâce à cette plasticité synaptique.
De très nombreux gènes contribuent au bon fonctionnement des synapses. L’un d’entre eux, Arc, existe chez de nombreux animaux. Lorsque ce gène est défaillant chez des souris, elles n’ont plus de mémoire à long terme. Et chez l’humain, le gène Arc est associé à plusieurs maladies mentales. Malgré son rôle essentiel dans la plasticité synaptique, la fonction du gène Arc, et donc de la protéine codée par ce gène, n’est pas bien connue.
Pour aborder cette question, les équipes de Vivian Budnik(université du Massachusetts) et Jason Shepherd(université de l’Utah) ont d’abord comparé les séquences des gènes Arc de souris et de mouche drosophile à d’autres gènes connus. Etonnamment, Arc ressemble, blague à part, aux gènes de la famille Gag, présents chez les rétrovirus. Cette similitude trahit l’origine évolutive du gène Arc et son cousinage avec des séquences ancestrales aux gènes de virus. Les rétrovirus, tel le HIV, sont très étudiés et on connaît bien le fonctionnement des protéines Gag, produites à partir du gène du même nom. Ces protéines s’agrègent spontanément en une enveloppe, la capside, emballant le matériel génétique ARN du virus. Le tout s’exporte vers les cellules que le virus infecte.
Plasticité synaptique
Intrigués par la ressemblance entre Gag et Arc, les chercheurs ont testé la capacité des protéines Arc à former une enveloppe, à emballer du matériel génétique à la manière des virus, et à s’exporter d’un neurone à un autre. Ils ont montré que cette hypothèse d’une protéine aux propriétés virales était la bonne. Les protéines Arc forment spontanément des vésicules qui ressemblent à des capsides virales, aussi bien in vitro que dans des neurones. De plus, les protéines Arc s’assemblent autour de l’ARN messager produit par leur propre gène. Un peu comme si un carton de la poste se pliait autour de la notice qui explique comment le plier. Enfin, ces vésicules sont sécrétées par les neurones qui expriment le gène Arc, vers d’autres neurones, dans lesquels se déverse le contenu des vésicules. Une vraie messagerie génétique entre neurones. Que font ces ARN une fois déversés dans les neurones ? Le mystère reste entier. Ce qui est clair, néanmoins, c’est que si cette communication est défaillante, comme lorsque le gène Arc est inactivé, alors la plasticité des synapses, fondement de la mémoire, est directement affectée.
Des rétrovirus à la plasticité synaptique, le chemin paraît improbable. Ces études sur Arc constituent pourtant un cas d’école de la manière dont les gènes peuvent se retrouver opportunément recyclés et impliqués dans des fonctions nouvelles. Ce recyclage survient au hasard de mutations qui favorisent l’utilisation de ces gènes dans des contextes différents, et d’un bricolage évolutif incessant.
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