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vendredi 23 février 2018

Avec la gestation pour autrui, revoyons la notion même de parentalité

Par Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste — 

Avec la GPA se pose la question du «devenir mère». Des études cliniques menées à travers le monde montrent aujourd’hui qu’après leur grossesse, les gestatrices vont bien, et que la relation de l’enfant à ses parents d’intention se met correctement en place.

A un moment où les invectives et sombres prophéties sur la gestation pour autrui (GPA) continuent de fleurir, il est intéressant de revenir sur ce que la psychanalyse a dit de la maternité. Qu’est-ce qui «fait mère» ?
En «langue psy», le «devenir mère» est un processus de maturation psychique qui est loin de se calquer automatiquement sur la grossesse ou l’accouchement. C’est donc un postulat simpliste de penser que la physiologie constituerait l’alpha et l’oméga de la maternité. Postulat pourtant souvent présenté par les détracteurs de la GPA comme une vérité incontestable en s’abritant derrière un vieil adage - complètement dépassé - du droit romain : mater semper certa est (la mère serait toujours certaine au motif qu’elle a accouché).

La psychanalyse a montré qu’une femme ne devient pas mère, comme par magie, le jour où elle accouche. La grossesse est, au mieux, un temps privilégié d’élaboration du processus psychique de la «maternalité», processus en devenir et non lié à un moment spécifique.
C’est une analyste américaine, Grete Bibring, qui, dans les années 50, a développé cette notion, tant en termes théoriques que cliniques. Et c’est le psychiatre Paul-Claude Racamier qui l’a introduite en France dans un article qui a fait date : «la Mère et l’enfant dans les psychoses du post-partum» (1960).
Ces cliniciens ont défini la maternalité comme l’ensemble des processus affectifs qui, dans les cas habituels, se développent et s’intègrent chez la femme à l’occasion de la grossesse et de l’accouchement. On connaît par ailleurs le cas de l’adoption au cours de laquelle une femme peut vivre le processus psychique de la maternalité sans avoir fait l’expérience de la grossesse et de l’accouchement.
La gestation pour autrui - à l’instar des autres procréations médicalement assistées (PMA) avec dons de gamètes ou d’embryons - a conduit la psychanalyse à réinterroger les fondamentaux du «devenir mère». Depuis la fécondation in vitro, tout, ou presque, a été chamboulé dans les représentations du devenir mère.
Emblématique de ce bouleversement est la situation de la gestation pour autrui au cours de laquelle une gestatrice (mère elle-même de ses enfants) choisit de porter pour d’autres parents un ou des embryons totalement étrangers à son couple.
La question psychologique, centrale évidemment, devient précisément la suivante : il s’agit d’analyser l’élaboration mentale d’une mère gestatrice vis-à-vis d’un fœtus qu’elle porte mais qu’elle ne désire pas puisqu’il n’est pas le sien et qu’elle s’apprête, dès avant la grossesse, à rendre au couple qui l’a conçu.
Une autre source de résistance à la compréhension de la gestation pour autrui vient du pseudoargument de la marchandisation du corps de la femme. Là encore, la clinique parle. La théorie aussi, l’anthropologie en l’espèce qui, depuis Marcel Mauss, a montré qu’il n’y a pas de don sans contre- don. Si des mères font un don de gestation au terme d’un consentement libre et éclairé, il est absurde et condescendant de penser qu’elles ne comprennent pas ce qu’elles font ! A elles de savoir, mieux que personne, où existent leurs contre-dons personnels qui se situent bien au-delà du «dédommagement raisonnable» (formule officielle qui est celle des lois ou réglementations au Canada, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Grèce pour désigner l’indemnisation que ces mères reçoivent). Il existe nombre de publications internationales documentées sur ce sujet. Encore faut-il en prendre connaissance.
Comme psychanalyste, il me paraît en tout cas raisonnable d’estimer que les deux mères sont importantes, la mère génétique et/ou d’intention évidemment, mais aussi la mère gestatrice dans la mesure où l’on sait que les émotions de la fin de la grossesse (euphorie ou dépression) secrètent des molécules qui franchissent le filtre placentaire. Le bébé hérite ainsi non seulement des gènes de sa mère génétique (que ce soit ceux de la mère d’intention ou de la donneuse d’ovocyte), mais aussi de quelque chose d’autre de l’ordre de l’épigénétique.
In fine il est intéressant d’apporter à ce débat le fait scientifique suivant : 15 % des mères qui accouchent dans les pays occidentaux dans de bonnes conditions font cependant des dépressions postnatales (différentes du post-partum blues qui est un trouble passager), pathologies sévères susceptibles d’avoir des conséquences à long terme sur la relation mère -enfant. Or, les études britanniques pionnières qui ont suivi une cohorte de gestatrices pendant plusieurs années après une gestation pour autrui - notamment celles de l’équipe de Susan Golombok à Cambridge et d’Olga van den Akker de l’université de Birmingham - ont montré que ces mères allaient bien et qu’aucune n’avait souffert de dépression post-natale.
Quant à la question du vécu des enfants nés dans ces conditions, les psychanalystes savent, tant d’après les données de la psychopathologie périnatale que de celles de l’adoption, qu’un bébé porté par quelqu’un d’autre que sa mère, est capable, par déplacement, de faire un transfert sur d’autres adultes, à condition que ceux-ci s’y prêtent de façon adéquate. C’est ce qui devrait se passer dans une gestation pour autrui gestationnelle bien accompagnée ; le fait que ce ne soient pas les gamètes de la gestatrice qui sont à l’origine de la création de l’embryon me semblant un facteur favorable à ce déplacement d’affects.
La clinique analytique, celle de la psychiatrie du nourrisson notamment, nous permettra d’en savoir plus quand elle sera plus étoffée. Mais il me paraît essentiel d’éviter tout à la fois de minimiser ou, au contraire, de «mythifier» les fantasmes et projections de la gestatrice qui a porté un fœtus pendant neuf mois, en a accouché, et l’a rendu à ses parents d’intention.
En termes d’intérêt de l’enfant, on peut par ailleurs se demander si le fait de naître dans une situation de gestation pour autrui dans laquelle le bébé est relié de manière naturelle à ses parents n’est pas une situation moins «à risque psychique» que celle présente dans certaines formes actuelles de dissociations de la maternalité, tel par exemple les protocoles de don d’ovocytes ou d’«accueil d’embryon» organisés par la loi de bioéthique depuis 1994.
Il est essentiel que la médecine de la reproduction délimite clairement les indications médicales et sociales de la gestation pour autrui, et que la loi de bioéthique statue à l’avenir sur un protocole dans lequel les différents protagonistes pourront être à la fois respectés et accompagnés psychologiquement.
La clinique de l’assistance médicale à la procréation qu’est la gestation pour autrui amène en tout état de cause à conceptualiser de façon novatrice le lien parental ; à partir des éléments modernes du désir d’enfant que sont la génétique, la grossesse, le projet parental, la volonté et la responsabilité éducative.

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