Après la «liberté d’importuner», celle de corriger ?
Photo Claudine Doury. VU
Ceux qui méprisent l’éducation positive suivent la même logique que ceux qui minimisent les violences faites aux femmes.
Dans la foulée de la campagne contre les violences éducatives ordinaires, lancée par la Fondation pour l’enfance tout juste un an après l’annulation de la loi contre les châtiments corporels et les humiliations par les membres du Conseil constitutionnel, Libérationfait sa une du 7 février sur l’éducation non violente. A l’évidence, le sujet est mûr. Toutefois, une importante incompréhension semble persister quant aux enjeux du soutien à la parentalité. Il suffirait de se faire confiance, peut-on lire dans l’éditorial. Ou peut-être se fier au «bon sens» ou à son «instinct» ? Malheureusement, les mécanismes de la violence éducative sont la plupart du temps si profondément enracinés que le bon sens des parents ou leur instinct pourraient bien être les pires ennemis des enfants et se faire confiance se révéler insuffisant. Par ailleurs, des parents revendiquent leur droit le plus légitime de recourir aux fessées comme moyen éducatif et s’offusquent qu’une loi puisse ainsi entraver leur «liberté de corriger». Un tel rejet d’une loi, pourtant nécessaire, est sans doute un indice du fait que la loi ne suffit pas, que le soutien à la parentalité est la clé et que, de ce fait, l’expression croissante du besoin d’un tel soutien doit être prise au sérieux !
Mépriser les efforts de ceux qui ont décidé, au quotidien avec leurs enfants, de semer les graines de la non-violence et de la coopération participe de la même logique que celle du propos de Millet, Lahaie & Co et de leur défense de «la liberté d’importuner» - dans le cas des enfants, la liberté de corriger - et revient à être complice des violences faites aux enfants. La violence éducative ordinaire est le terreau qui fabrique des bourreaux mais aussi des victimes en raison des mécanismes de soumission associés à l’autoritarisme. Toutes les formes de violence, des plus «petites» aux plus «graves» sont liées. Il est urgent de sortir, enfin, du déni de ces violences moins visibles car banalisées. Les agressions sexuelles et les violences infligées ordinairement aux femmes ne sont que la partie visible, récemment mise en lumière, de l’immense iceberg des violences exercées à l’encontre des plus vulnérables. Les enfants constituent la population des victimes la plus vaste. Faire le choix d’une éducation non violente, c’est cultiver chez les enfants des aptitudes à ne pas se soumettre et à apprendre une autre forme de rapport humain que le rapport de force. L’éducation non violente est un enjeu de taille, à la fois individuel et collectif, et donc politique, parce que le futur est conditionné par le genre d’éducation que nous donnons à nos enfants.
Plutôt que d’opposer leurs railleries, les sceptiques feraient mieux de soutenir les parents et autres éducateurs «dépassés» qui ont décidé de se prendre en main pour créer en France une culture de la bienveillance. Loin des fantasmes du parent parfait ou de l’enfant roi, les outils proposés dans le cadre de l’éducation non violente sont pragmatiques, respectueux des besoins des enfants comme des parents, et adaptés à la réalité quotidienne des familles modernes, soumises à de nombreuses pressions, parfois contradictoires. Si certains parents semblent incarner «naturellement» un modèle éducatif non violent, la plupart ont besoin d’apprendre de nouveaux comportements, et parfois de prendre conscience de ceux qui les ont fait souffrir dans leur propre enfance et de les désapprendre. Les livres, les discussions avec d’autres parents, partageant les mêmes préoccupations et valeurs, et les ateliers ouvrent alors la possibilité d’un changement social résolument en marche.
Nous appelons le gouvernement à enfin légiférer pour que toute violence envers les enfants, tout châtiment, toute humiliation ou punition corporelle soient abolis, et qu’enfin notre pays protège les enfants au même titre que les adultes. Dans ce cadre, tous les parents devront pouvoir bénéficier d’un soutien pour éduquer leurs enfants dans le respect de leur intégrité.
Catherine Gueguenpédiatre, auteure, Gilles Lazimi médecin, enseignant, Muriel Salmonapsychiatre, Isabelle Filliozat psychothérapeute, auteure, Olivier Maurelauteur, Jacques Salomépsychosociologue formateur en relations humaines, écrivain, Catherine DumonteilKremer auteure, formatrice, rédactrice en chef, Mathieu Ricard moine bouddhiste, photographe, auteur, Martin Winckler médecin, auteur, Marie-Hélène Lahaye, juriste, auteure, Daliborka Milovanovicjournaliste, éditrice, Marie-Florence Astoinformatrice, coach, Cécile Kovacshazymaîtresse de conférences, Maud Petit députée Modem du Val-de-Marne.
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