Dans une tribune au « Monde », Daniel Borillon, juriste au CNRS, estime qu’il faut se détacher d’une conception canonique de la famille et dessine deux voies possibles pour réguler la gestation pour autrui.
LE MONDE | | Par Daniel Borrillo (Juriste et chercheur associé au CNRS, CERSA)
TRIBUNE. Dans quatre arrêts du 5 juillet, la Cour de cassation s’est prononcée avec une extrême prudence sur la transcription de l’acte de naissance des enfants nés à l’étranger par gestation pour autrui (GPA). Selon la Haute juridiction, « l’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA peut être transcrit partiellement à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention ».
L’épouse ou l’époux du père biologique peut, par la suite, adopter l’enfant de son conjoint. La Cour de cassation met ainsi en conformité sa jurisprudence avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle avait déjà condamné la France à deux reprises en 2014 et en 2016.
Si cette décision constitue une avancée, en ce qu’elle permet de régler l’état civil de ces enfants, elle demeure précaire vis-à-vis du lien de l’enfant avec le parent d’intention. La procédure d’adoption intrafamiliale demeure complexe et peut prendre beaucoup de temps, laissant ainsi le mineur dans l’incertitude. La GPA nous invite à revisiter nos idées relatives à l’engendrement, à la parenté et à la filiation, trop attachées encore à une conception canonique de la famille.
Désormais, on peut faire famille à plusieurs dans un cadre hétérosexuel ou homosexuel. Les nouvelles techniques procréatives ont mis le projet parental au cœur du dispositif juridique dans lequel c’est la dimension spirituelle qui compte — la volonté d’être parent — plutôt que les compétences corporelles — l’engendrement. La « volonté procréationnelle » devient ainsi la seule source légitime des nouvelles formes de procréation.
Selon la représentation culturelle et les conceptions philosophiques qui la sous-tendent, plusieurs réponses juridiques ont été données dans les différents pays. Nous pouvons les regrouper en trois grandes catégories : le prohibitionnisme, le libéralisme et le régulationnisme.
Trois conceptions
Pour le courant prohibitionniste, la GPA constitue une pratique attentatoire à la dignité humaine. Considérée comme une nouvelle forme d’esclavage et une réification du corps de la femme, la GPA ne peut qu’être interdite en toutes circonstances. Ce courant considère qu’il est impossible pour une femme de consentir à la GPA, cette pratique étant assimilée à la vente et l’achat d’enfants. Malgré les arrêts de la Cour de cassation, la France demeure un pays prohibitionniste : outre la sanction civile, comportant la nullité du contrat de GPA, celle-ci constitue une atteinte pénale à la filiation dès lors qu’elle est réalisée en France.
Le courant libéral, lui, part du principe de la libre disposition de soi et la liberté procréative en assimilant la GPA au droit à l’IVG. La GPA peut être altruiste, comme au Royaume-Uni depuis 1985 – ou aux Etats-Unis dans les Etats de Floride, Utah, New Hampshire et Washington –, ou conçue comme un service rémunéré. Certains Etats admettent uniquement un dédommagement comme le Canada.
Pour ce courant, les prestations des femmes porteuses sont assimilées à celles d’une nourrice. Selon cette conception, le contrat suffit à garantir les droits des différentes parties du processus procréatif : s’il y a consentement libre, c’est-à-dire sans dol – ou tromperie –, sans violence et sans lésion – une contrainte économique –, la GPA est licite.
Souvent, lorsqu’il n’y a pas de lien génétique entre la femme porteuse et l’enfant, le contrat stipule qu’elle doit renoncer à l’enfant à sa naissance mais si elle apporte son ovule, elle peut garder l’enfant : droit au regret, comme en Floride. En Israël, la GPA est une pratique courante et ne pose aucun problème moral. Elle est encadrée à la fois par la loi civile et par la religion. Mêmes les orthodoxes approuvent cette technique. Il s’agit d’un acte rémunéré, réservé toutefois aux couples hétérosexuels.
Le courant régulationniste considère que la liberté des parties, celle de la femme de porter l’enfant et celle des « parents d’intention » de bénéficier d’une technique procréative, doit être encadrée dans un système de santé publique, seul garant de la justice des prestations.
Les nouveaux termes du débat
Chaque courant implique une vision spécifique de l’humain et de la société. Pour l’abolitionnisme, la notion de consentement doit être écartée au profit de celle de « système » où le choix n’a pas d’importance : tout devient contrainte. En revanche, la conception libérale place le consentement au cœur de son dispositif moral. Elle considère que, en l’absence de préjudice à des tiers, l’autonomie de la volonté prime.
Enfin, le régulationnisme se méfie de la liberté et préfère placer le dispositif sous le contrôle de l’Etat afin d’éviter les abus. La GPA serait ainsi prise en charge par la Sécurité sociale comme tout autre traitement contre la stérilité.
Si le président Macron s’est prononcé contre la légalisation de la GPA, ces arrêts de la Cour de cassation permettent de rouvrir le débat, car ils ne règlent que très partiellement le problème.
Toutefois, la Haute juridiction a permis de rétablir les termes de la controverse. L’idéologie prohibitionniste est mise à mal, et la France devra choisir entre le système libéral ou le régime régulationniste, seuls aptes à garantir à la fois la liberté individuelle et l’intérêt supérieur de l’enfant.
Aussi, on peut trouver dans cette technique une dimension émancipatrice pour les femmes car pour la première fois, elles seraient rémunérées pour un « travail » qu’elles ont accompli depuis toujours gratuitement.
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