Les experts auprès des CHSCT dénoncent le risque d’exposer les salariés à « de grands dangers » si les conditions d’hygiène et de sécurité sont négociées au niveau de l’entreprise.
LE MONDE ECONOMIE | | Par Annabelle Chassagnieux et Nicolas Bouhdjar (Coprésidents de l’Association des experts agréés et intervenants auprès des CHSCT)
TRIBUNE. Les informations sur les futures ordonnances réformant le droit du travail semblent déjà suffisamment préoccupantes pour que nous rappelions dès aujourd’hui quelques principes qui fondent la prévention des risques professionnels et l’organisation de la discussion à leur propos.
L’accord d’entreprise se substituerait dans nombre de domaines à l’accord de branche comme à la loi. Il pourrait prévoir des mesures moins favorables que les règles du code du travail, lesquelles ne s’appliqueraient plus qu’en l’absence d’accord. Parmi les domaines concernés pourraient figurer la santé et la sécurité. A l’exception des seuils d’exposition aux matières dangereuses, tout le reste pourrait faire l’objet d’une négociation au niveau de l’entreprise.
Tout le reste ? Faudrait-il envisager une telle négociation sur des sujets comme la formation des travailleurs, l’âge d’admission aux travaux dangereux, les équipements sanitaires et de protection, les limites de charge de manutention, le droit de retrait… et, coiffant tout cela, sur le principe fondamental de la prévention, affirmé dans l’actuel article L. 4121-1 du code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » ?
Ce serait prendre le risque d’exposer les salariés à de plus grands dangers, que certains pourraient accepter par peur du chômage, par faute d’information et de soutien légal. Ce serait oublier que la responsabilité de l’employeur en matière de santé et de sécurité est la contrepartie de la subordination du salarié.
La santé au travail un enjeu à part
Le droit à la santé au travail ne se négocie pas, mais sa mise en œuvre exige qu’au plus près du terrain, des échanges, des discussions et des débats puissent continûment se tenir. Depuis 1982 et les lois Auroux, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont l’instance spécifique de ces débats.
Or, la fusion des instances représentatives du personnel, prévue dans les ordonnances, les ferait disparaître. Pour l’heure, rien n’est dit sur ce qu’il adviendra des prérogatives du CHSCT – seraient-elles en totalité reversées à la nouvelle instance unique ? –, mais on peut déjà craindre une réduction de ses moyens et la marginalisation des questions de santé et de sécurité dans des débats dominés par les enjeux économiques et d’emploi.
Pourtant, la création des CHSCT il y a 35 ans traduisait et renforçait des batailles au long cours, qui avaient contribué à faire de la santé au travail un enjeu à part, essentiel, qui n’est soluble ni dans des ratios comptables ni dans le « chantage à l’emploi ». Elle a permis de faire émerger de nouvelles générations de représentants du personnel, dédiés à la préservation et à l’amélioration des conditions de travail, formés à la prévention des risques, qui portent avec de plus en plus d’acuité la question des effets des organisations du travail sur la santé.
Le CHSCT est l’instance de représentation du personnel la plus proche de l’activité, du travail réel. Ses réunions sont l’occasion de discussions, de controverses, sur les conditions de travail réelles des salariés. Les représentants du personnel y rendent visible ce qui reste le plus souvent caché, grâce à leurs expériences, leur pouvoir d’enquête et leur faculté de mobiliser les compétences d’acteurs spécialisés. Ainsi, ils envisagent et proposent des manières de produire et de travailler plus respectueuses de la santé des salariés.
Dans le sens d’un rétrécissement du domaine de la loi
Après l’explosion d’AZF, l’accident ferroviaire de Brétigny, les dizaines de suicides à France Télécom ou à La Poste, alors que le scandale de l’amiante fait encore des dizaines de milliers de victimes, que les troubles psychosociaux liés au travail prolifèrent, un tel débat entre représentants du personnel et employeurs n’est pas superflu.
Les ordonnances seront peut-être votées par une Assemblée Nationale renouvelée, mais si leur contenu se confirme, elles ne signeront en rien un renouvellement de la politique à l’égard de la santé et de la sécurité au travail, ou de ce qu’il est convenu d’appeler le « dialogue social ».
Elles s’inscrivent dans la continuité des lois et décrets adoptés lors du précédent quinquennat : remise en cause du principe de faveur et recul de l’ordre public social, réduction des délais de consultation, nouvelles instances mises en œuvre à la seule initiative de l’employeur (instance de coordination des CHSCT, délégation unique du personnel), fusion des instances, etc. Toutes ces mesures vont dans le sens d’un rétrécissement du domaine de la loi et du champ d’action du CHSCT.
Les ordonnances ne feraient que renforcer cette logique. Une telle évolution législative nous semble dangereuse, car de nature à menacer la santé et la sécurité des travailleurs. Cela ne signifie pas que le statu quo est préférable, mais il faut tout autant refuser les reculs que réfléchir aux pistes d’amélioration – par exemple pour faire en sorte que tous les salariés soient couverts par un CHSCT.
Il est urgent qu’un débat sur ces questions s’ouvre enfin.
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