Les représentants des syndicats de praticiens hospitaliers (PH) ont été entendus au Sénat pour évoquer la problématique de la qualité de vie au travail à l'hôpital. Une nouvelle occasion d'évoquer pour eux les difficultés actuelles et leurs attentes, alors que Marisol Touraine a annoncé une stratégie nationale pour "prendre soin" des soignants.
Alors que la question de la qualité de vie au travail (QVT) à l'hôpital fait l'objet d'une stratégie nationale annoncée fin 2016 par la ministre de la Santé (lire notre article), la commission des affaires sociales du Sénat a mené ces dernières semaines une série d'auditions sur cette problématique. Le 6 février dernier, les représentants des syndicats de praticiens hospitaliers (PH) ont été entendus par les parlementaires. Le président de la commission, Alain Milon (LR, Vaucluse), a souligné en préambule que le constat des difficultés ressenties par les personnels hospitaliers n'est contesté par personne, "y compris par les représentants des établissements et ceux du ministère", même si "bien entendu des nuances" existent dans l'identification des causes du phénomène. "Il est important de pouvoir distinguer ce qui relève des contraintes générales auxquelles font face les établissements [...] et ce qui tient davantage de l'organisation interne et du mode de fonctionnement des services", a-t-il souligné. Si les contraintes macro-structurelles (budgétaires, instauration de la T2A et des GHT, etc.) ont été largement évoquées lors de cette audition comme cause de difficultés pesant sur les conditions de travail, les syndicats se sont aussi attardés sur les problématiques à l'échelle des établissements, voire individuelles. "La ministre va mettre en place des outils (1) pour traiter ces difficultés [mais] ces outils ne pourront être utiles que si l'on réfléchit aux causes du désarroi. Il faut travailler en amont", a estimé le délégué général de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), Alain Jacob.
Attente récurrente sur le rééquilibrage du management
"Le suicide ne constitue que la partie émergée des risques psychosociaux à l'hôpital", a souligné le président d'Avenir hospitalier, Max-André Doppia. "Les professionnels [à l'hôpital public] s'y sentent moins compris qu'avant, ils ont le sentiment que le sens de leur mission n'est plus clair, subissent des contraintes immaîtrisables à cause d'une réglementation sans cesse changeante", a-t-il poursuivi. Citant notamment l'enquête Sesmat publiée en 2011 (2), il a rappelé la forte prévalence du burn out chez les PH. Les déterminants de cette situation sont à chercher, en particulier, dans l'insuffisance du travail d'équipe, l'isolement et l'absence d'espaces de délibération, a-t-il expliqué, déplorant la disparition notamment des conseils de service. Et la fâcheuse antienne de la loi HPST n'a pas tardé à refaire surface, avec des doléances sur le management hospitalier. Pour le Syndicat national des médecins, chirurgiens, spécialistes et biologistes des hôpitaux publics (Snam-HP), Jean-Marie Scotton a évoqué le fait que les problèmes personnels relèvent de conflits entre médecins au sein du corps soignant ou entre l'administration et les médecins. Or le recrutement "est un moment clé", explique-t-il, et les pouvoirs ont été confiés aux chefs de pôles au détriment des chefs de service. "Au Centre national de gestion, arrivent souvent des dossiers où les années probatoires ont été refusées. Quand on creuse un peu, on constate que les recrutements sont réalisés sans consultation, sans définition préalable d'un profil de poste, sans définition de la continuité des soins, etc.", a-t-il noté. De même, "certains directeurs, peu heureusement, abusent de leur pouvoir : procédures d'insuffisances professionnelles infondées, suspensions arbitraires, rapports à charge, etc. et cela est très dur à vivre pour les praticiens".
Prise en charge individualisée en cas de vulnérabilité
Concernant les cas individuels, Jean-Marie Scotton a signalé que dans "certaines situations potentiellement à risque, comme une procédure judiciaire ou une suspension brutale, les personnes devraient aussi pouvoir bénéficier d'un soutien psychologique, au-delà de la protection juridique, qui est à la discrétion du directeur". Il faut réfléchir à une prise en charge individualisée dans les situations de grande vulnérabilité, a-t-il insisté. Le président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH), Jacques Trévidic, a lui aussi évoqué l'absence de suivi et de prévention quant à la santé des PH : "il s'agit en partie d'un problème culturel, d'où l'importance de la sensibilisation, mais aujourd'hui, rien n'est fait". Il a alors rappelé que l'inspection générale des affaires sociales (Igas), qui vient de publier un rapport sur la question, propose de faire une place aux syndicats de PH dans les nouveaux comités territoriaux de dialogue social. Max-André Doppia a évoqué pour sa part un programme d'aide aux médecins du Québec, destiné à prendre en charge les PH souffrant d'addictions. "En France, nous n'avons rien ! C'est seulement depuis quelques mois que les pouvoirs publics semblent s'intéresser à cette question importante de santé publique, qui a des conséquences sociales (abandon de profession, suicide...), mais aussi en termes de qualité des soins", a-t-il souligné. Il milite pour la création d'une "plateforme de déclaration de souffrance au travail". Chaque praticien qui se sentirait en situation de souffrance pourrait compléter cette déclaration et recevoir un soutien d'experts syndicaux pour être orienté vers le bon interlocuteur.
Un tabou social sur la souffrance au travail
Max-André Doppia a d'ailleurs rappelé l'existence d'outils comme l'observatoire de la souffrance au travail des PH où ils peuvent déclarer en ligne. Et "malgré le caractère non anonyme mais confidentiel des informations, 20% des médecins indiquent avoir déjà eu des tendances suicidaires". Rémy Couderc, secrétaire national de la Coordination médicale hospitalière (CMH), a alors rappelé la "faible capacité des médecins à avouer leur propre souffrance au travail". Et de conclure que même si "les choses évoluent", elles évoluent lentement. Il existe toujours une "forme de tabou social sur ces sujets". Pourtant, l'employeur a une obligation de prévention des risques psychosociaux mais aussi d'évaluation. "Or cette évaluation reste tout à fait embryonnaire ; les différentes instances compétentes doivent s'impliquer dans ce travail : CME, commissions régionales paritaires ou encore médiateur national", a-t-il ajouté, tout en rappelant qu'il existe "aussi un débat sur le rôle du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans l'évaluation des conditions de travail et sur la participation des médecins à cette instance".
Une seconde vaque de clusters QVT lancée par la HAS en mars
Lors d'une autre table ronde, organisée le 23 janvier par les sénateurs, les représentants de la Haute Autorité de santé (HAS) ont rappelé que sont actuellement expérimentés, en partenariat avec la DGOS, des "clusters qualité de vie au travail" (lire notre article). Onze ARS et soixante-dix-neuf établissements participent à l'expérimentation, qui consiste à engager une démarche sur la QVT dans différentes thématiques : performance des blocs opératoires, HAD, filière gérontologique, GHT, bientraitance, etc. Une deuxième vague de clusters sera lancée en mars, a annoncé la HAS, précisant que "la capitalisation de la première vague est en cours, qu'une évaluation externe va commencer" et qu'elle espère "pouvoir présenter les retours d'expérience à l'automne".
(1) II a notamment cité la création d'instances de conciliation au niveau local, émanant de la commission médicale d'établissement (CME), des structures de prévention et de résolution des conflits au sein des commissions régionales paritaires, la nomination du médiateur national Édouard Couty, etc.
(2) Enquête "Santé et satisfaction des médecins au travail" (Sesmat)
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