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samedi 25 février 2017

Détecter le cancer avant la tumeur : une enquête à suivre




Paris, le samedi 25 février 2017 – Si une grande partie de la production que l’on peut consulter sur les blogs relève de la glose, de l’analyse, du billet d’humeur, ces sites peuvent également avoir la vertu de proposer des enquêtes suivies, notamment lorsqu’ils sont animés par des journalistes. C’est ainsi que le docteur Jean-Yves Nau ne se contente par sur son blog de s’intéresser au traitement par la presse des informations concernant la santé, il s’intéresse également parfois à ce qui n’est pas entièrement dit.

Une machine pour Tuer le cancer

Depuis le début de l’année, le livre du professeur Patrizia Paterlini-Bréchot est l’objet d’un important battage médiatique. Il faut dire que son titre est prometteur : Tuer le cancer. Dans cet ouvrage, la chercheuse et professeur en biologie cellulaire et oncologie à l’hôpital Necker Enfants Malades (Paris) y évoque son parcours et insiste notamment sur le développement du test ISET (Isolation by Size of Tumor cells). Cette méthode consiste à rechercher les cellules tumorales circulant dans le sang, qui peuvent être présentes avant même l’apparition des tumeurs. « L’ISET se présente sous forme de machine dans laquelle on introduit le sang prélevé au patient. Le sang y est dilué avec une solution, puis il passe à travers une sorte de filtre, un peu comme un tamis. Ainsi, les cellules saines passent à travers le tamis mais les cellules cancéreuses (rarissimes) restent dans les mailles du filet car elles ont une taille beaucoup plus importante. Ensuite, le tamis est examiné par l'œil humain au microscope pour voir si les grosses cellules piégées dans le filtre sont malignes ou non. De cette manière, une seule cellule cancéreuse peut être détectée dans 10 ml de sang, c'est-à-dire parmi 100 millions de globules blancs et 50 milliards de globules rouges ! » explique la spécialiste.

Au cœur de l’excellence de la recherche française

Cette technique intéressante pour la compréhension et la détection précoce des cancers nécessite d’autres développements, notamment pour déterminer (ou pas) son utilité en pratique clinique, alors que les risques associés au sur-diagnostic des tumeurs sont aujourd’hui bien connus et l’objet de nombreuses réflexions et controverses.
Cependant, le test ISET est déjà accessible en France dans deux laboratoires, à Paris et à Nice. Non prise en charge par la Sécurité sociale, la cytopathologie sanguine ISET coûte 486 euros. Souvent, les médias qui ont interrogé Patrizia Paterlini-Bréchot se sont concentrés sur son parcours. Le praticien, qui a par exemple reçu le prix Excellence Scientifique de l’Assistance publique/hôpitaux de Paris (AP-HP) en 1995 n’a en effet rien de l’illuminé prétendant combattre le cancer avec des méthodes peu scientifiques. Les techniques utilisées par Patrizia Paterlini-Bréchot sont l’objet de recherches au sein de nombreux grands organismes à travers le monde. Cependant, le praticien paraît relativement isolé. D’aucuns veulent y voir le traditionnel retard des autorités à reconnaître le potentiel de véritables innovations. D’autres flairent un malaise et voudraient le voir exprimé au grand jour. Ainsi, Jean-Yves Nau multiplie les posts sur ce sujet ces dernières semaines, répertoriant les interventions du professeur Patrizia Paterlini-Bréchot, scrutant le traitement de la presse et surtout tentant de convaincre les autorités de sortir de leur silence.

Pincettes et flou artistique

Tout a commencé par une interview accordée par le professeur Paterlini-Bréchot à la matinale de France Inter le 19 janvier dernier. Jean-Yves Nau souligne tout d’abord les qualités de la chercheuse : « une femme enthousiaste et courageuse – une femme atypique qui, dans le passé, a déjà suscité diverses polémiques assez complexes ». Le blogueur et médecin insiste par ailleurs sur le fait que le professeur Paterlini-Bréchot a mené ses recherches au sein « de l’espace (…) public français » et note plus tard que son test « a été breveté par les institutions publiques au sein desquelles travaille la chercheuse ». Néanmoins, des questions se posent, notamment sur « les étonnantes pincettes qui sont prises pour sa commercialisation dans quelques laboratoires de biologie médicale (engagement écrits pour consentements éclairés du prescripteur et du patient…) ». Dès lors « que penser ? » interroge Jean-Yves Nau et surtout quel regard portent, sur ce test aux indications floues et aux conséquences plus indéterminées encore, les autorités sanitaires. « Faut-il se résoudre, en France et en 2017 à "tuer le cancer" à deux vitesses » est la conclusion du premier billet de Jean-Yves Nau sur ce qu’il appelle une « étrange affaire ».

Pas d’éclairage particulier

Le journaliste a en effet voulu connaître la position de l’INCA sur la démarche du professeur Paterlini-Bréchot et sur la "publicité" apportée par son ouvrage à son test. Mais l’INCA est demeuré évasif, voire silencieux. « L’Institut n’a pas d’éclairage particulier à apporter pour le moment sur les travaux du Pr Paterlini » assure ainsi l’organisme, tandis que l’assurance maladie n’a répondu à aucune sollicitation. Et quand le médecin blogueur se fait insistant, en s’interrogeant sur les conditions de mise sur le marché du test, l’InCA bonhomme assure : « Ce sujet fera l’objet d’une discussion en interne, nous ne manquerons pas de revenir vers vous ». Finalement, en dernier recours, l’INCA précise que l’évaluation de la technique ISET est en cours et est soutenue par l’institut lui-même. Baissez le rideau.

Toujours mieux de savoir plus tôt ?

Cette absence de commentaires n'a pu qu’inciter Jean-Yves Nau à s’intéresser plus encore au sujet, d’autant plus qu’à la faveur de la campagne médiatique autour du livre du professeur Paterlini-Bréchot, les laboratoires qui proposent la réalisation du test reçoivent un nombre d’appel croissant. Les médecins sont également plus fréquemment sollicités sur cette technique et se révèlent souvent impuissants à en déterminer les enjeux et les intérêts. Pour sa part, Patrizia Paterlini-Bréchot répond dans Télérama à la question de la marche à suivre en cas de découverte d’une ou deux cellules tumorales chez un patient non atteint d’un cancer diagnostiqué. « C’est un nouveau domaine de la médecine qui s’ouvre ! Et un espoir énorme. Car seuls les cancers très invasifs diffusent dans le sang, dès qu’ils sont petits, des cellules tumorales. Mais il nous faut encore du travail pour mettre au point un test qui détecterait de quel organe elles dérivent. Un an et demi de travail. Et beaucoup d’argent, pas loin de deux millions d’euros. Tous les droits d’auteur de mon livre seront consacrés à ce financement… » explique-t-elle récemment dans les colonnes de Télérama, citées par Jean-Yves Nau. Elle ajoute : « La médecine est souvent guidée par le bon sens. Je trouve des cellules tumorales dans mon sang. Je fais une mammographie, une coloscopie. On ne trouve rien. Je fais un scanner complet. S’il n’y a pas encore de masse visible, je vais continuer à traquer le cancer dans les mois qui suivent sachant que j’arriverai de toute façon plus tôt que si je n’avais pas fait le test, et que je m’étais retrouvée avec des métastases partout », affirme-t-elle semblant considérer que la connaissance précoce d’une situation est toujours préférable, bien que cette position soit parfois discutée, même en médecine.

Des précédents qui font réfléchir

Ainsi, bien que la chercheuse reconnaisse elle-même qu’une telle annonce est « facteur d’angoisse », elle n’interroge pas les risques de sur-diagnostic. Le professeur Jean-Yves Pierga, sollicité par Medscape France, lui pose clairement la question. Encore une fois cité par le blogueur, il invite à différencier ce qui relève d’une « perspective de recherche intéressante » et un test dont l’utilité clinique ne paraît pas encore démontrée. Or, en la matière, certains précédents invitent à réfléchir, telle la recherche systématique de marqueurs dans le sang chez les femmes en rémission d’un cancer du sein qui a finalement été abandonnée dès lors que n’a jamais pu être prouvée la pertinence d’une prise en charge précoce des métastases.
Après l’évocation de ces premières réserves qui concernent la commercialisation même du test, entendra-t-on les autorités sanitaires se prononcer plus largement sur ce point.  Jean-Yves Nau poursuit son enquête intitulée : « Tuer le cancer pour 486 euros ».
De son côté, le JIM a également interrogé l’INCA afin qu’il précise ses recommandations aux praticiens face à des patients demandeurs d’un test ISET.
La réponse est en attente. Affaire à suivre.
Aurélie Haroche

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