La deuxième Palme d’or de Ken Loach est un réquisitoire rigoureux contre la dégradation de l’Etat-providence.
LE MONDE | | Par Thomas Sotinel
Pour un cinéaste aussi respectueux de la primauté du collectif que Ken Loach, cette première personne du singulier détonne. Moi, Daniel Blake/I Daniel Blake : l’homme au prénom de prophète, au nom de visionnaire, crie seul, dans un désert jadis inimaginable. Là où s’élevaient des usines, des cités, peuplées de masses ouvrières qui agissaient de concert, il reste des coquilles qui abritent des individus à peine connectés par les liens ténus du voisinage, de la consommation, de la soumission à des institutions devenues incompréhensibles. Puisqu’il n’est plus possible de parler d’une seule voix, une voix seule se fera entendre.
Vingt-cinquième long-métrage de fiction réalisé pour le cinéma par Ken Loach (et sa deuxième Palme d’or), Moi, Daniel Blake n’est pas un titre de plus qu’on ajoutera à la filmographie d’un cinéaste désormais octogénaire. Comme le répète sans relâche son auteur, le film est né de l’urgente nécessité de faire entendre des cris dont seuls parvenaient des échos déformés. Ce qui donne une œuvre d’une rectitude singulière, qui évite la raideur par la vertu de sa profonde humanité, qui garde la violence d’un sermon vengeur ou d’un pamphlet tout en offrant le secours de l’empathie – l’un des plus beaux films de Ken Loach.
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Daniel Blake (Dave Johns) passerait inaperçu dans une foule si Loach n’en avait pas fait le héros de ce film. Presque sexagénaire, le crâne dégarni, un sourire enfantin aux lèvres quand le monde qui l’entoure lui laisse un peu de répit, il déambule (bien sûr, il n’a pas de voiture) dans les rues de Newcastle, où se côtoient les vestiges de la splendeur industrielle britannique et les cicatrices des crises successives.
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