LE MONDE | | Par Philippe Dagen
L’observation n’est plus nouvelle : l’humanité « smartphonisée » ou « i-phonisée » d’aujourd’hui adore faire d’elle-même des images, nommées selfies. Des perches téléscopiques évitent les déformations faciales trop cruelles. Mais la diffusion de ce nouveau moyen, si elle a généralisé la pratique de l’autoportrait, est loin de l’avoir inventée. Peut-être quelques gravures préhistoriques sont-elles les plus anciens autoportraits sans que l’on en sache rien. L’exposition « Autoportraits », au Musée des beaux-arts de Lyon, ne remonte pas si avant dans le temps. Elle ne prétend à aucune exhaustivité, ce qui est logique étant donné que le genre a été pratiqué par une infinité d’artistes reconnus ou non, professionnels ou amateurs. Son principe est bien plus empirique. Le musée lyonnais s’est associé à deux autres d’ampleur comparable, les National Galleries of Scotland d’Edimbourg et la Staatliche Kunsthalle de Karslruhe. Ils ont mis en commun les autoportraits qu’ils conservent, en ont gardé près de 150 et les ont répartis par type, de l’autoportrait théâtral à dessein promotionnel à l’autobiographique intime et au satirique. Les catégories sont efficaces, même si l’autodérision masochiste et le narcissisme hystérisé ne sont pas si simples à distinguer.
Bizzareries
Mais le principal intérêt de l’exposition n’est pas dans la rigueur de sa typologie, mais dans ses bizarreries, qu’explique la provenance des œuvres.
Bien des visiteurs français seront surpris face aux toiles et dessins venus d’Ecosse et du Bade-Wurtemberg, et de même ceux qui les ont déjà vus à Karlsruhe cet hiver ou les verront à Edimbourg cet été face à Paul Janmot, Hippolyte Flandrin ou le plus mystérieux encore Claudius Lavergne, tous trois natifs de Lyon. Voici donc Georg Scholz (1890-1945), dont l’ Autoportrait devant une colonne Morris de 1926 laisse perplexe : on y voit un homme proprement habillé et chapeauté devant une colonne tapissée d’affiches dont seules des bribes de mots sont lisibles et une pompe à essence. L’artiste ne serait donc qu’un brave homme comme un autre dans la société bourgeoise et moderne ? Scholz n’en fut pas moins considéré comme un « dégénéré » et traité en conséquence par les nazis. Et voici, pas loin de lui, John Patrick Byrne, né en 1940, que sonAutoportrait en veste à fleurs présente de face, ainsi accoutré, assis sur une caisse constellée de dessins d’enfants. Derrière lui, le ciel est à la Magritte alors que sa veste est à la Ingres. Sa toile est un chef d’oeuvre d’extravagance, mais d’extravagance réfléchie et d’autant plus significative pour cette raison.
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