Il faut écouter, chaque vendredi à 13 h 55, « Savoir être », pour comprendre que ce serait faire injure à Claude Halmos de la traiter de « psy de service ». Car si service il y a, c’est bien à celui rendu aux auditeurs que cette psychanalyste, spécialiste de l’enfance et de la maltraitance, ne cesse d’être engagée. Du reste, c’est en termes de « combat » qu’elle évoque son travail. « Depuis des années, je me bats pour que les gens ne soient pas écrasés sous des diagnostics, qu’on ne les bourre pas de médicaments, et pour leur faire comprendre que la souffrance n’a rien d’anormal, que chacun peut se prendre en main. »
Au-delà de son cabinet et des pages de Psychologie magazine, ce combat, Claude Halmos le mène également dans les médias, où elle officie depuis déjà vingt ans. D’abord à la télévision, au sein de « La Grande Famille » sur Canal+ en 1992, dont elle s’est sentie « orpheline »,lorsque le magazine s’est arrêté en 1997. Puis à la radio, en 2002, où après avoir été ponctuellement sollicitée par Gilles Halais, il lui fut proposé de répondre aux questions des auditeurs dans la chronique « Savoir être », sur France Info.
L’enfance, « la clé de tout »
Afin de prolonger sa mission de service public, la psychanalyste, qui a travaillé avec Françoise Dolto – pionnière en matière d’interventions radiophoniques –, vient de réunir près de deux cents de ses chroniques, tenues entre 2011 et 2016, dans Savoir être. Une psychanalyste à l’écoute des êtres et de la société (Fayard, 410 p., 22 €).
Crise d’adolescence, décès d’un parent, mère possessive, impact des attentats, agression sexuelle, pédophilie, phobie scolaire, punitions, vacances au sein d’une famille recomposée… Que ce soit des sujets intimes, triviaux ou faisant écho à l’actualité, les relations familiales, et tout plus particulièrement l’enfance – « la clé de tout » –, occupent l’essentiel de ses textes qui, quel que soit le sujet, résonnent chez le lecteur et sont familières aux auditeurs de France Info. Car, hormis quelques termes relevant d’un langage parlé, la psychanalyste ne les a guère retouchés. Et pour cause, chacune de ses interventions limpides et simples – mais aucunement simplistes – est composée au cordeau d’une écriture qui ne souffre d’aucun à-peu-près. « C’est de la dentelle. Je rédige aussi bien les relances du journaliste que les réponses afin, d’obtenir une progression pédagogique qui tienne en seulement deux minutes. Cela nécessite un énorme travail pour qu’il n’y ait aucun malentendu pouvant provoquer une souffrance. »
Et d’évoquer les témoignages de personnes proches du suicide, après avoir entendu un psy, qui n’avait sans doute pas la même vigilance qu’elle, celle qui lui fait peser chacun de ses mots ; ni le même souci éthique à l’égard du public et de la psychanalyse, qu’elle estime aujourd’hui menacée par la mode des thérapies express limitées – non sans danger – à soigner les symptômes plus que les causes. Ainsi qu’elle l’écrit en préface de son livre, où elle dénonce le terme fourre-tout de « psy ». « Ce mot est un symptôme en soi, dit encore Claude Halmos. Il signifie qu’il n’y a pas plus de débat sur le fond et de différence. Ce n’est pas une querelle de chapelle, simplement il est essentiel que le public distingue la position d’un psychologue de celle d’un psychanalyste. »
Destinée à éclairer le public sur l’aventure que constitue la psychanalyse, cette préface est aussi un appel à ses confrères, afin qu’ils se montrent moins frileux et méfiants vis-à-vis des médias. Même si Claude Halmos reconnaît que ces deux univers sont par essence incompatibles. « La psychanalyse exige du temps. Elle propose des questions plus que des réponses, et s’intéresse au particulier. Or, ces trois données la rendent peu conciliable avec les médias qui attendent des réponses immédiates et d’ordre général. » Pour autant, ne pas s’en saisir prive les psychanalystes d’un lieu où ils peuvent faire entendre des souffrances souvent tues et surtout d’un « formidable outil d’éducation ».
A condition, précise-t-elle, de ne pas accepter tout et n’importe quoi – en particulier les émissions de divertissement, ou certains sujets qui ne relèvent pas de leur compétence – et de bannir le prêt-à-penser ou les réponses toutes faites. Une position dans laquelle elle se tient, chaque semaine. « N’ayant pas écouté la personne qui m’interroge, je ne peux lui donner de réponse. En revanche, je peux donner des hypothèses générales, des pistes de réflexion, afin qu’elle puisse s’en saisir. »
Même si, depuis l’automne, « Savoir être » a perdu son caractère interactif pour s’ancrer davantage dans l’actualité, ce qu’elle regrette un peu, Claude Halmos maintient malgré tout sa ligne. « Quel que soit le sujet, j’essaie de faire entendre l’humain. Je ne me considère pas comme une observatrice de la société. Certes, je dénonce des choses, sans langue de bois, mais surtout je fais en sorte, à mon petit niveau, que les gens puissent réfléchir par eux-mêmes, qu’ils ne se déconnectent pas de leur émotion par rapport aux autres. » Inquiète du nivellement par le bas, du consensus mou, de l’invective qui a désormais remplacé le débat de fond, cette psychanalyste de combat continue plus que jamais de faire le pari de l’exigence, de la rigueur et de l’intelligence.
« Savoir être », chaque vendredi, à 13 h 55 sur France Info.
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