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mardi 16 juin 2015

Les forçats du travail en apnée dans un bocal

LE MONDE |  | Par 


"Nobody" avec Nicolas Doremus (chef opérateur) et Mathias Labelle (acteur).

"Nobody" avec Nicolas Doremus (chef opérateur) et Mathias Labelle (acteur). 
MARIE CLAUZADE

[...] Avec Nobody, tout n’est que maîtrise et précision, tant dans le jeu que dans la mise en scène. Nobody avait été présenté une première fois, en 2013, comme un exercice d’élèves de l’Ecole nationale supérieure d’art dramatique de Montpellier. Le résultat était si encourageant qu’il a été décidé de transformer l’essai. C’est une vraie réussite. Tout se passe derrière une vitre, où l’on voit un cabinet de consultants. Clinique : des bureaux, des chaises, des ordinateurs. Et des gens, dans la trentaine, femmes vêtues de noir et portant des talons hauts, hommes en costume, sauf le chef, qui s’autorise le jean.

Soleil noir


Ils sont une douzaine, dont Jean, qui sert de soleil noir à la compagnie. C’est le seul dont les pensées nous parviennent, en off. Elles témoignent de la misère sans fond qu’il y a à vivre aujourd’hui dans un monde du travail où tout est fait pour que, au sens propre, on devienne nobody. Personne, sinon une tête et un corps chevillés à la tâche comme des galériens à leurs rames, et privés de la liberté de penser, sinon pour se mouler dans le moule jusqu’à la disparition de soi. Ne parlons pas de la vie privée : c’est une galaxie lointaine, qui devient peu à peu inaccessible, à force de contredire un quotidien où seule compte la rentabilité, au service cynique de conseils à des clients qu’il revient avant tout de dépouiller de leur argent.

Cette triste chanson, on la connaît. Mais l’Allemand Falk Richter sait la décrire comme nul autre. Pas une once de gras, mais, phrase après phrase, un constat sans appel. Les textes de Nobody proviennent de plusieurs de ses pièces (Sous la glace, Peace, Electronic City, Le Système et Ivresse), qui, à certains égards, s’inscrivent dans la lignée de celles de Michel Vinaver décrivant le monde du travail. Mais il y a aussi, chez cet auteur, un côté Botho Strauss : il brosse le portrait d’une génération, la sienne (il est né en 1969), qui flotte dans un entre-deux entre la réalité extérieure et la sienne propre. Jean en est le parfait représentant.

Il faut le voir, avec tous les autres, dans ce cabinet de consultants qui nous est montré comme un bocal. Séances de brainstorming, évaluation des uns par les autres, rentabilité à tous crins : la délation épouse le tutoiement en vigueur, la pression est omniprésente, constante, et l’issue fatale inscrite dans les germes : à la moindre faille, ces femmes et ces hommes seront mis dehors. Ils le savent. Tout cela nous est montré sans états d’âme.

Les comédiens sont filmés en direct, le noir et blanc des images répondent parfaitement au noir et blanc du bocal. Cyril Teste confirme ici son talent qui en fait un des très rares à savoir manier théâtre et vidéo. Il dirige tout aussi bien les comédiens, qui sont excellents. On les quitte déchiré : entre la glace et la brûlure.

Printemps des comédiens, domaine d’O, 178, rue de la Carriérasse, Montpellier (Hérault). Tram n° 1 (arrêt Malbosc). Tél. : 04-67-63-66-66. Jusqu’au 28 juin. Printempsdescomediens.com

Nobody tournera beaucoup la saison prochaine. Voir les dates sur Collectifmxm.com

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