Un phénomène comme on les aime. Généreux, téméraire, inflexible. Longue durée par-dessus le marché. Née en 1991, la Candoco Dance Company, troupe « inclusive » (« intégrée ») britannique, qui mêle handicapés et non-handicapés, autrement dit des interprètes en fauteuil roulant et d’autres sans, est toujours dans la course. Et si on ne la voit malheureusement jamais en France, c’est sans doute que « si progressiste soit-il, votre pays ne l’est pas encore malheureusement dans ce domaine », assène Pedro Machado, codirecteur de la troupe.
Le Festival de Marseille fête son vingtième anniversaire avec Candoco. Un geste clair et offensif de la part d’Apolline Quintrand, directrice de la manifestation qui signe son ultime édition. « Je veux affirmer d’une manière durable d’autres possibilités de connexions et d’interactions entre personnes valides et non valides, assène-t-elle. Il faut sortir du champ thérapeutique et abattre la notion de danse virtuose et codifiée. Par ailleurs, je revendique aussi la mixité de tous les publics. »
Ce pic artistique souligne effectivement son engagement depuis quatre ans pour l’accessibilité des spectacles, avec un panel d’actions en tous genres : des ateliers de danse intégrée, de nombreux dispositifs mis en œuvre, dont un programme du festival en braille. Le festival a été nommé aux cinquièmes Trophées de l’accessibilité (Prix spécial accès pour tous à la culture) pour la région Sud-Est, aux côtés de cinq autres structures au niveau national.
Dans le secteur chorégraphique, Candoco est l’exception qui confirme (presque) la règle. Très peu de compagnies professionnelles dans le monde accueillent les danseurs valides et les autres. Certains des interprètes de Candoco ont ainsi travaillé avec Axis Dance Company (Etats-Unis), StopGap (Grande-Bretagne), Restless Dance Theatre (Australie) ou Touch Compass (Nouvelle-Zélande). En France, des associations comme Danse avec les roues, des chorégraphes comme Colette Priou depuis 2006 et, plus récemment, Rachid Ouramdane, qui a collaboré avec Candoco et y a « débauché » la danseuse Annie Hanauer pour son spectacle Tordre, contribuent à changer la donne. A la tête de sa compagnie depuis 2008, le danseur-acrobate unijambiste Hedi Thabet tourne actuellement, avec l’artiste de cirque Mathurin Bolze, une pièce épatante, magnétique, intitulée Nous sommes pareils à ces crapauds qui…
Valeur artistique ajoutée
Candoco ne brandit son label « intégré » que pour affirmer une valeur artistique ajoutée. La sélection des interprètes s’opère selon les modes classiques. Pour la dernière audition, 255 dossiers sont arrivés : deux danseurs ont été recrutés. « Et le niveau était très haut, précise Pedro Machado. Il y a malheureusement très peu d’opportunités pour les artistes handicapés. Par ailleurs, la compagnie a toujours voulu être perçue comme une troupe comme les autres. Les fondateurs, la danseuse Celeste Dandeker, devenue paralysée après une chute, et le plasticien-enseignant de tai-chi Adam Benjamin, ont immédiatement dissipé toute forme de paternalisme de la part du public. C’est ce qui leur a donné très vite l’idée d’inviter des chorégraphes pour créer des pièces spécifiques pour le groupe. »
Cette force de frappe porte les noms de l’Israélien Emanuel Gat, de l’Américaine Trisha Brown, des Français Jérôme Bel et Rachid Ouramdane. Les deux spectacles présentés au Festival de Marseille ont été conçus par l’Anglais Hetain Patel et le Suisse Thomas Hauert.
« S’agissant du handicap, la danse est une discipline dérangeante, car c’est précisément le corps qu’elle met en œuvre et offre au regard, a confié Thomas Hauert à la revue belge Contredanse. Mais, comme le prétendait la chorégraphe américaine Anna Halprin, chaque corps peut danser. »
Ce message, les sept danseurs de Candoco, dont quatre sont handicapés, le reçoivent cinq sur cinq. L’un est en fauteuil roulant, l’une unijambiste, les deux autres, dont la Française Laura Patay, 26 ans, ont été victimes d’une agénésie de l’avant-bras gauche. « Je ne suis pas appareillée, précise la jeune femme, qui a intégré Candoco en 2014. Je danse avec un autre corps, et c’est ce qui fait la force de cette troupe qui met en avant des corps différents. »
Laura Patay est elle aussi une exception. Dès 8 ans, elle prend des cours de piano et réussit à intégrer le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, où elle est « la première, l’unique et la dernière danseuse ayant un handicap à avoir pu suivre un training », affirme-t-elle. Jusqu’à 18 ans, au gré d’un cursus sports-études, elle acquiert un niveau professionnel. « Je voulais en faire mon métier, mais je n’ai pas pensé tout de suite à des compagnies intégrées, c’est venu peu à peu, raconte-t-elle. Ce que je trouve vraiment dommage, c’est que contrairement au secteur handisport, il n’y ait quasiment pas d’entraînement pro à la disposition des interprètes handicapés. Pour devenir ce que nous sommes, il nous faut pourtant développer une technique et une habileté particulières. » Un déficit que Laura Patay compte bien, un jour ou l’autre, combler en France.
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