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dimanche 3 décembre 2023

TRIBUNE Redoublement et classes de niveau : les slogans conservateurs ne font pas une politique efficace, par François Dubet

publié le 1er décembre 2023 

par François Dubet, Sociologue à l'université de Bordeaux, et à l'Ecole des hautes études des sciences sociales (EHESS)

Le retour des bonnes vieilles méthodes de droite envisagée par le ministre de l’Education Gabriel Attal n’est pas la solution. Pour faire autrement, il faut du temps, de la réflexion et une continuité politique jusqu’ici inexistante, comme le souligne le sociologue.

Au milieu des années 90, environ un élève sur trois avait redoublé en arrivant en classe de troisième, et près d’un sur deux avait redoublé en terminale. Les comparaisons internationales qui nous sont devenues familières depuis le début des années 2000 ont montré que les élèves français étaient moins bons que ceux des pays comparables, et que leurs performances étaient nettement plus inégales que celles des élèves de pays où le redoublement n’était pas une pratique massive.

D’un autre côté, des recherches démontraient que si le redoublement pouvait bénéficier à quelques élèves, il n’avait pas d’effet, voire un effet négatif, quand on comparait deux élèves semblables dont l’un avait redoublé et l’autre pas. Comme des taux aussi élevés de redoublement coûtent extrêmement cher, les ministères successifs, de droite et de gauche l’ont aboli, et les syndicats ont fini pas se laisser convaincre d’abandonner une pratique routinière.

Vingt ans après, la réduction drastique des redoublements n’a pas empêché le niveau des élèves de stagner et de régresser dans bien des cas, un quart environ des élèves présentent de grandes lacunes au collège, et les inégalités de niveau scolaire se creusent régulièrement entre les élèves. L’abolition du redoublement n’a pas amélioré le niveau et la qualité des apprentissages et elle n’a certainement pas facilité le travail des enseignants.

Dès lors, Gabriel Attal propose de rétablir le redoublement. Mais le retour à la bonne vieille pratique aura les mêmes effets : elle coûtera cher, elle humiliera les élèves sans élever leur niveau. Comment en serait-il autrement quand le redoublement consiste à refaire la même chose, dans la même classe, avec les mêmes enseignants et avec les mêmes méthodes ? D’ailleurs, si on en juge par les réactions des syndicats majoritaires, les enseignants eux-mêmes n’y croient plus.

Mais en France, les bonnes vieilles méthodes ont un charme politique particulier quand beaucoup croient que l’Ecole d’hier était meilleure que celle d’aujourd’hui, que tous les élèves apprenaient bien, et que l’autorité des maîtres était incontestée. Avant l’épisode du retour de l’uniforme, n’avons-nous pas entendu des candidats de droite à la présidentielle proposer le retour de l’examen d’entrée en sixième, sans rien dire du sort des élèves qui échoueraient ?

Le retour des classes de niveau

Mais le redoublement n’est pas seul à revenir. Gabriel Attal propose aussi de revenir aux classes de niveau. Cette vieille pratique, faisant du collège supposé unique l’école du tri en fonction du niveau des élèves et, donc, largement de leurs origines sociales, a été très précisément étudiée. Son effet scolaire est d’être très légèrement favorable aux meilleurs élèves qui sont souvent les plus favorisés, tout en ayant un effet désastreux sur les élèves les plus faibles qui ne progressent guère, sont tirés vers le bas et se sentent rejetés par l’école. Son effet civique est encore plus négatif puisque l’école sépare les jeunesses et distingue précocement les vainqueurs et les vaincus du tri scolaire.

Mais là encore, comment résister à une proposition qui satisfait les classes moyennes et supérieures qui ne veulent pas seulement que leurs enfants réussissent à l’école, mais qui souhaitent qu’ils réussissent mieux que les autres ? Comment le leur reprocher quand chacun sait que le destin social des individus se joue aujourd’hui à l’école, et que la valeur d’un diplôme est d’abord distinctive ? Au même moment, Gabriel Attal ne dit rien de la ségrégation scolaire qui creuse les inégalités entre les établissements, tout en ne disant rien de la position de l’enseignement privé dont l’indice de position sociale ne cesse de s’élever. Sans donner dans la caricature, tout ceci ressemble à une bonne vieille politique de droite.

Mais, dans son état actuel, la gauche n’est pas très bien placée pour donner des leçons puisqu’elle se borne à demander plus de moyens pour faire ce qui ne marche pas et ne marchera pas beaucoup mieux avec plus de moyens. En effet, l’absence de redoublement n’a pas résorbé l’échec d’une grande partie des élèves et l’abolition, formelle plus que réelle, des classes de niveau n’a réduit ni les échecs ni les inégalités. Par conséquent, plutôt que de continuer sur la même lancée ou de revenir au passé, il faut faire autre chose et autrement.

D’autres conditions pédagogiques

Il est plus facile d’agiter des slogans que de construire une politique. Nous pouvons aider précocement les élèves en difficulté sans les sortir de la classe et sans les faire redoubler massivement, ou en les faisant redoubler dans d’autres conditions pédagogiques. Mais le redoublement est un problème pédagogique agité comme une question «théologique». De la même manière, il est possible d’enseigner à des classes hétérogènes, de diversifier les apprentissages et les exercices, de diversifier le temps scolaire et, surtout, de ne pas faire de la réussite académique la norme unique du mérite des individus.

Bien des pays, le Canada, les pays scandinaves…, y parviennent mieux que le nôtre. Sans vouloir les imiter, nous savons que les enseignants doivent être mieux formés, plus autonomes et mieux soutenus, que l’égalité des résultats doit être plus impérative que la compétition méritocratique de plus en plus précoce, que les établissements ne sont pas tenus de faire tous, exactement, la même chose afin de construire le décor plus que la réalité d’une école unique.

Mais comme ceci demande du temps, de la réflexion, des moyens et de la continuité politique, les slogans conservateurs ont le vent en poupe. Les problèmes existent mais les bonnes vieilles méthodes n’en sont pas la solution.


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