par Jean-Philippe Blondel publié le 29 novembre 2023
Dans l’esprit des patients en hématologie au Centre hospitalier de Troyes, ils sont devenus aussi indissociables qu’indispensables : le premier, Alberto Santagostino, 62 ans, est à la tête du service. Le second, qui pourrait être son fils, Jacob Alves, 32 ans, est infirmier de pratique avancée («IPA»), spécialisé dans les pathologies du sang. Ensemble, ils mettent en place depuis deux ans une procédure pour laquelle ils n’ont pas encore de nom (Jacob propose en riant de l’appeler le «J.A.P.», le «Jacob Alberto Power»), mais qui comble un vide dans le suivi du patient, au point que l’ARS Grand-Est aimerait la voir s’appliquer partout sur le territoire, ainsi que dans d’autres services hospitaliers.
C’est Jacob qui a identifié le manque. Alors qu’il travaille en libéral à Paris, dans un regroupement d’infirmiers spécialisés dans les prises en charge de patients aux pathologies complexes, il se rend compte qu’il manque un maillon à la chaîne médicale : le patient atteint d’un cancer et en sortie d’hospitalisation, après une séance de chimiothérapie ou une batterie de tests, se retrouve sans personne pour répondre aux questions qu’il n’a pas osé formuler pendant la consultation avec le chirurgien. Des questions ayant trait au traitement parfois, aux analyses souvent, et à la vie quotidienne, la plupart du temps. Comment prendre une douche avec un PiccLine ? Comment réagir quand on se coupe ? Comment interpréter les résultats de la prise de sang ? Bien sûr, la première réaction sera de consulter Internet, mais tout le monde sait qu’on y trouve tout et son contraire – et surtout que rien ne remplace le contact humain. En outre, en cas d’infection et de fièvre, survenant la nuit ou le week-end, en l’absence du médecin traitant, comment éviter le passage aux urgences ? Ce qu’il faudrait, se dit Jacob, c’est un intermédiaire, un middleman, qui soit un pivot entre les soignants, le prestataire de soins et les malades. Quelqu’un qui puisse rapidement analyser la gravité de la situation et qui ait le pouvoir d’intervenir au domicile des patients, avec le soutien, par SMS ou téléphone, d’un médecin.
C’est à Troyes, dans l’Aube, où il est venu s’installer en 2018, que Jacob va croiser le chemin d’Alberto. Le courant passe immédiatement entre ces deux-là, au point que Jacob ose lui soumettre son idée. Alberto s’enthousiasme et comprend immédiatement l’intérêt de la procédure : désengorgement des urgences, libération du temps médical et, surtout, bénéfice psychologique pour les patients. Car on n’insistera jamais assez sur la panique que peuvent éprouver ceux-ci lorsqu’ils se retrouvent chez eux, même s’ils ne rêvaient que de ça. Brusquement, ils sont livrés à eux-mêmes et dépendants de leur famille ou de leurs amis, qui sont incapables de répondre à leurs inquiétudes médicales. «En vérité, précise Jacob, les trois quarts des appels ou des SMS que je reçois sont liés à des angoisses, qui ne justifient pas de déranger le médecin traitant ou le chirurgien. Il s’agit avant tout de rassurer, d’expliquer, de créer du lien. Quant au dernier quart, eh bien, ce sont des situations qui nécessitent une intervention rapide à domicile pour éviter le retour à l’hôpital, genre, une perfusion d’antibiotiques suite à une neutropénie fébrile.» Le but est évidemment aussi de rendre le patient acteur de sa guérison et plus à même de faire la différence entre ce qui est grave et ce qui l’est moins.
L’ARS Grand-Est s’est tout de suite intéressé au projet et en a pris en charge le financement, qui inclut le salaire de l’IPA référent, dont le rôle est central et les horaires aussi flexibles que ceux du chef de service d’hématologie. Alberto et Jacob doivent présenter le 5 décembre un premier bilan de leur action. En deux ans, plus de 300 patients ont bénéficié, à titre expérimental, de cette procédure. Nombre d’entre eux considèrent maintenant le docteur Santagostino et le «docteur Alves» comme des proches, des soignants en or. Des hématos précieux.
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