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vendredi 1 septembre 2023

Pour les sans-abri, un isolement qui s’accentue en été : « J’ai hâte de retrouver les visages qui me sont familiers »

Par Publié le 30 août 2023 

Moins de structures ouvertes, moins de distributions alimentaires, moins de dons pour ceux qui mendient… Même sans canicule, la période estivale n’a pas été simple à Paris pour les personnes sans domicile fixe, témoignent celles que nous avons rencontrées.

Des tentes de sans-abri, sur les berges de la Saône, à Lyon, le 28 mai 2023.

« La nourriture, en août, c’est compliqué : beaucoup d’associations ferment », explique Ibrahim (les personnes citées par leur prénom souhaitent rester anonymes), la quarantaine, dont l’apparence – fine barbe, tee-shirt et chemise rayée ouverte sur un jean clair – ne permet pas de déceler la situation de « sans-abrisme ». « La manche aussi, c’est compliqué, car il y a plus de gens qui demandent », confie-t-il en même temps que son regret de devoir la faire, depuis que ses droits au revenu de solidarité active ont été suspendus.

« Je préfère l’hiver à l’été, déclare de son côté Sacha, 16 ans, yeux bleus et piercing, qui demande une pièce aux passants aux côtés de son compagnon, Lapo, Italien de 23 ans, et de son chien, Votane.Quand il fait froid, tu peux te couvrir. Là, tu ne peux pas te découvrir. Et puis, l’hiver, c’est plus calme. Les gens sont moins pressés et plus gentils, et ils donnent un peu plus. »

Cela fait deux ans qu’Ibrahim vit dans la rue à Paris, et quelques jours que Sacha et Lapo y campent, installés dans les jardins des Halles, après avoir été expulsés du bois de Vincennes par des policiers. La Ville Lumière est celle qui, en France, compte le plus de personnes sans abri – 3 015 y ont été recensées lors de la 6e édition de la Nuit de la solidarité, organisée le 26 janvier par la mairie. Et c’est aussi celle qui compte le plus de structures pour les aider : des centres d’hébergement et des hôtels sociaux pour la nuit, des bains douches en accès gratuit pour se laver, des accueils de jour et autres lieux où boire un café, manger, laver son linge, laisser ses bagages en journée ou rencontrer des travailleurs sociaux, sans oublier des équipes de maraude qui viennent à la rencontre de ceux qui ne se déplacent pas, ou plus.

« Manque de bénévoles »

La période estivale, y compris en cette année où l’Ile-de-France a été épargnée par la canicule, est néanmoins loin d’y être simple. « Quand tu es constamment à la rue, il n’y a jamais de repos », confirme Ibrahim.

« Il y a moins de structures ouvertes l’été, même si la situation s’améliore », constate ainsi Lotfi Ouanezar, directeur général d’Emmaüs Solidarité. Cette association a servi durant un mois des repas chauds, le soir, dans le réfectoire de l’Hôtel de ville, et des déjeuners organisés porte de la Villette, avec le financement de la mairie de Paris. « On a voulu compenser la fermeture des Restos du cœur une partie de l’été, liée au manque de bénévoles et au coût des denrées, qui a augmenté avec l’inflation », explique Léa Filoche, adjointe aux solidarités de la maire de Paris, Anne Hidalgo (socialiste).

Alors que le besoin était estimé à deux cent cinquante dîners quotidiens, l’affluence est allée croissant. Quelque trois cent soixante-dix personnes ont savouré le ragoût de légumes et son riz parfumé au curcuma préparé le 22 août par l’association Refugee Food, juste avant l’arrêt du dispositif. Parmi elles, le quadragénaire Ibrahim, qui tient à « dire bravo à tous ceux qui nous aident », et, quelques tables plus loin, Abdou et Mohammed. Ces Marocains, âgés de 22 et 26 ans, achèvent leur seul repas de la journée.

« On ne veut pas mendier, on ne veut pas voler. Mais on voit que, sans papiers, on n’arrive pas à trouver du travail », se désole Abdou, tandis que Mohammed montre le certificat qu’il a récemment obtenu pour conduire des chariots élévateurs. La nuit, ils dorment mal. « On a une tente, dans un parc, porte de Charenton. Il fait très chaud ! On a fait une demande SIAO [Service intégré de l’accueil et de l’orientation, pour de l’hébergement d’urgence pérenne] il y a six mois, et on appelle aussi le 115, mais on n’a jamais de place ! »

« Besoin de repères »

L’Ile-de-France peine de plus en plus à répondre aux besoins d’hébergement d’urgence : faute de places, deux mille deux cent onze personnes, pour la plupart en famille, sont restées sans solution le 21 août, soit une hausse de près de 20 % par rapport au 22 août 2022, a calculé la Fédération des acteurs de la solidarité. Et ce, malgré la création, au printemps, de sas régionaux destinés à désengorger la région-capitale. « Il est très difficile d’encourager les familles à partir en province, car beaucoup ont créé un vrai réseau ici : elles ont trouvé du travail, scolarisé leurs enfants, certaines sont suivies à l’hôpital pour un problème de santé », relate Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale du Centre d’action sociale protestant, à Paris.

Ce contexte fragilise l’accompagnement des sans-abri. « Dans les années 1990, il y avait moins d’associations, mais les assistantes sociales étaient moins débordées », se souvient Corinne, quinquagénaire à l’allure soignée, qui vient souvent déjeuner à la halte pour femmes de l’Hôtel de ville. Juliette, travailleuse sociale au sein de ce lieu géré par le Samusocial, confirme : « Depuis cet été, on n’arrive plus à recevoir les gens le jour même, ils doivent prendre rendez-vous. Et on a du mal à leur trouver une domiciliation, une bagagerie, une assistante sociale qui les suivra sur la durée… Comme tout est saturé, de plus en plus de conditions d’accès sont fixées. »

L’été est aussi une période qui peut être, humainement, difficile à traverser. Les sans-abri sont plus visibles quand les rues sont moins fréquentées. Mais il y a moins de gens pour les voir et prendre de leurs nouvelles. « Les bonjours des voisins le matin manquent, et la sociabilité est plus complexe. Or, ce public a besoin, plus que d’autres, d’habitudes, de repères et de chaleur humaine », relève Aurélie El Hassak-Marzorati. Annie, 73 ans, qui a quitté son domicile fin décembre 2022 avant de passer des nuits entières dans les bus Noctilien, est devenue une habituée de la halte pour femmes, dont elle a entrepris de réorganiser le coin bibliothèque. « J’ai hâte que reprenne la distribution des Restos du cœur place de la République, de retrouver les visages qui me sont familiers », sourit cette dame en ballerines et petit sac de cuir.

« Fermetures de places »

« La rupture du lien social est souvent à la source de la situation d’exclusion de la personne. Et l’isolement s’intensifie l’été, abonde Jean-Marc Potdevin, fondateur et président de l’association Entourage, dont le but est de recréer du lien entre les personnes isolées et leurs voisins. C’est pourquoi nous continuons d’aller à la rencontre des gens à la rue et maintenons nos activités à cette période, avec des petits déjeuners, des parties de ping-pong, des jeux Renouer un lien social, cela permet à beaucoup de se remettre dans une dynamique. »

Si Paris a été relativement épargné cet été, la chaleur peut aussi renforcer les difficultés, générant infections et maux de tête chez des personnes à la santé déjà précaire. « Boire de l’alcool déshydrate, même si cela donne le sentiment de s’hydrater. On voit aussi des personnes qui gardent tous leurs vêtements sur eux, de peur de se les faire voler, souligne le sociologue Julien Damon. Heureusement, le problème est bien mieux pris en compte depuis la canicule de 2003, et la France est sans doute le pays du sud de l’Europe qui fait le plus pour les sans-abri en période de fortes chaleurs, avec des maraudes renforcées, des distributions de bouteilles d’eau, l’ouverture de gymnases où se mettre au frais… »

A Lyon, passé en alerte rouge canicule le 22 août, Maud Bigot, présidente de la Fédération des Samus sociaux, considère que « le problème, c’est moins la canicule que les fermetures de places. Des personnes ultra-fragiles, telles des familles avec des nourrissons, sont à la rue. Ceux qui sont un peu moins vulnérables perdent donc tout espoir d’être hébergés, et semblent déjà se résigner à rester dehors l’hiver prochain. Ils refusent les bouteilles d’eau qu’on leur tend, en disant que ce n’est pas ce dont ils ont besoin. » Les acteurs sont unanimes : face à la canicule et en toute saison, le meilleur remède consiste à loger dignement ou à héberger les personnes sans abri.


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