par Clémentine Mercier, Envoyée spéciale à Marseille publié le 29 août 2023
Vieillir, un sujet tabou ? Pour Martha Wilson, artiste américaine de 75 ans, c’est un sujet d’art, et un moyen de questionner l’invisibilisation des femmes âgées, avec humour et intelligence. Au Frac Sud, «Invisible», exposition de pièces anciennes et récentes, sur près de cinquante ans, montre que l’âge est un fil rouge qui traverse l’œuvre de Martha Wilson – aujourd’hui une vieille dame pétillante et pleine d’autodérision. A 25 ans, elle réalise un autoportrait en train d’essayer de ressembler à une femme de 50 ans, avec brushing et pyjama de soie bleu mémère (Posturing : Age Transformation, 1973). La légende de la photo, qui fait partie de l’œuvre, précise : «J’étais extrêmement mal à l’aise dans ce déguisement de femme d’âge mûr, ce qui est selon moi révélateur de la peur que m’inspire le statut de post-trentenaire dans la société.» Peur d’être vieille à plus de 30 ans ? Aux Etats-Unis, en 1968, la Convention nationale démocrate frappe d’obsolescence les personnes trentenaires, expliquait l’artiste à l’ouverture de l’exposition marseillaise. «C’était la première fois que la jeunesse américaine accédait au pouvoir politique. Ils voulaient écarter les vieux.»
Dès ses débuts à Halifax, puis à New York, Martha Wilson privilégie l’autoreprésentation. Grâce au performeur Vito Acconci qui lui enjoint de lire Mise en scène de la vie quotidienne, du sociologue Erving Goffman, elle perd ses complexes : «Lorsque j’ai réalisé que nous étions tous en représentation tout le temps, je me suis dit : «OK, moi aussi je peux être une artiste de la performance. Et quand j’ai découvert qu’on pouvait faire de l’art visuel avec des mots, j’ai pris conscience que je pouvais devenir une artiste visuelle !»
Oser la caricature
Martha Wilson a mêlé son image à celle de Catherine Deneuve, la plus belle femme du monde selon Vogue en 1974 (Makeover, 2015). Mais elle a aussi performé les first lady Nancy Reagan, Barbara Bush ou Tipper Gore. Cependant, le déclin du corps est une préoccupation qui revient dans ses pièces : «La vieillesse est un sujet qui met les gens mal à l’aise et rend les femmes anxieuses. Maintenant que je suis une vieille dame, je réalise pas mal d’œuvres à ce propos.» En 2009, elle se déguise en grand-mère bourgeoise, assise sur un canapé et assortit la photo de cette légende «The legs are the last to go» (les jambes sont les dernières à foutre le camp). C’est une phrase que Yoko Ono lui a confiée lors d’un vernissage, alors qu’à 80 ans, elle portait une jupe courte et des collants à strass. Dans un polyptyque de 2017, Martha Wilson se transforme même en Melania Trump, drôle de mélange entre le visage ridé de l’artiste et le look bimbo de l’ex-première dame des Etats-Unis.
Pour bousculer les archétypes, Martha Wilson privilégie donc le jeu de rôle, la performance, dans des photographies et des vidéos qu’elle accompagne toujours de courts textes, légendes ou formules choc. Si les injonctions sociales à la perfection pèsent sur les femmes, et si vieillir est mal vu, l’artiste prend un contrepied grotesque. Elle ose la caricature en malmenant ses traits pour devenir la plus moche possible (I Have Become my Own Worst Fear,2009-1974), elle exagère ses rides avec des traits noirs (New Wrinkles on the Subject, 2014), elle se maquille à outrance, quasi monstrueuse (I Make Up the Image of my Perfection, I Make Up the Image of my Deformity, 1974-2008).
Absence de surmoi
Blagueuse, elle raille, dans des parodies, les artistes conceptuels qui dominaient la scène artistique dans les années 70, et se paye la poire de Bruce Nauman, en livrant sa propre version de Bouncing Balls, vidéo célèbre où l’artiste américain lance des balles en changeant de rythme. «Il fait rebondir aussi ses testicules dans cette vidéo, n’est-ce pas ?», dit l’artiste, moqueuse. Face caméra, torse nu, Martha Wilson soulève son sein gauche, puis son sein droit. Pas farouche, elle a fait deux versions de cette œuvre, l’une avec sa poitrine de jeune femme, l’autre avec sa poitrine à 60 ans.
Comment ne pas adorer cette artiste satirique et sincère ? Aujourd’hui, elle explique son absence de surmoi par les abus sexuels que lui a fait subir son père : «J’attribue la distance que je perçois entre mon être intérieur et mes personnages publics et performatifs aux maltraitances que m’a fait subir mon père lorsque j’avais environ 7 ans.» La dernière œuvre de l’accrochage a la forme d’un cercueil, façon fête foraine ou décoration de train fantôme. A l’intérieur du cercueil, l’artiste en squelette porte un tee-shirt «I am Going to Die» (Je vais mourir). Difficile de la contredire.
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