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vendredi 12 mai 2023

Psychanalyse «Les Bienfaits de la jalousie», jamais trois sans deux

par Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste   publié le 10 mai 2023

Puisant dans un triptyque freudien, les psychanalystes dissèquent les bénéfices potentiels de cette émotion, dont les ressorts complexes renvoient à un affrontement entre rivaux.

En 1922, Freud a écrit un article qui a fait date et a semé des graines chez nombre de ses successeurs dont les auteurs de ce remarquable petit livre. L’article «De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité» apporte un éclairage totalement nouveau à la compréhension de la jalousie. Thème omniprésent dans la littérature, le cinéma et le théâtre avec des issues parfois tragiques telles que crimes et suicides, la lecture de la jalousie offre paradoxalement une analyse assez «courte» sur le ressort psychologique de ces drames. A première vue, en effet, «être jaloux» met en scène trois partenaires : l’objet d’amour et deux rivaux dont le sujet jaloux lui-même. C’est le cas classique du mari jaloux de sa femme et qui la surveille de manière obsessionnelle jusqu’à fouiller son téléphone, entre autres. Et de même la femme jalouse qui contrôle sans cesse les déplacements de son mari.

Cas littéraires

Mais Freud a montré que la jalousie est en réalité une affaire qui se joue à deux – non à trois – entre le mari (pour reprendre cet exemple) et son rival supposé ou réel. Cette jalousie renvoie ainsi à l’homosexualité inconsciente du sujet jaloux (idem dans le cas de la femme jalouse envieuse de sa rivale). Cette approche éclaire nombre de cas littéraires (les cas d’Othello de Shakespeare et de la Recherche du temps perdu de Proust notamment qui sont brillamment exposés ici). Mais cette approche éclaire surtout la clinique (et parfois la vie tout court)… Deux auteurs des Bienfaits de la jalousie évoquent, l’un, une patiente, Pauline, qui se dit jalouse – mais de qui ? De Louise ou de Laurent ? – et, l’autre, un patient qui se dit, lui, jaloux de sa femme – avançant également : jaloux d’abord de qui ? D’elle ou du rival qui essaie de la séduire ?

Freud a distingué la forme normale de la jalousie (œdipienne) de ses formes projetées ou délirantes. Pour les analystes, la jalousie s’articule autour du triptyque freudien «jalousie-homosexualité-paranoïa». Toutes les jalousies ne sont pas pathologiques au demeurant, encore que… «Le trouble inhérent à la localisation de l’objet de la jalousie renvoie aux intenses oscillations de la bisexualité psychique», écrit Alexandre Morel dans le chapitre «Folies du voir. Ou les jalousies d’un pornographe».

«Etrange dissymétrie»

Rien n’est simple en matière de jalousie on le voit. Et tout se complique d’un ou deux crans à mesure qu’on percute la question culturelle, sans compter celle du genre ! Le psychanalyste Jacques André, qui avait travaillé sur des crimes passionnels dans les sociétés antillaises, avait remarqué une donnée fréquente lorsque le scénario avait pour mobile la jalousie. Il avait constaté que lorsque c’est un homme qui surprenait sa femme ou sa maîtresse sur les lieux du délit, c’est toujours elle qu’il tuait, multipliant souvent les coups de couteau à n’en plus finir. Mais lorsque c’est une femme qui surprenait son compagnon dans les bras d’une autre, c’est toujours cette autre femme qui subissait l’agression mortelle ! «Etrange dissymétrie, énigme supplémentaire, à la fois de la jalousie et de la féminité…» commente l’analyste. Dans une curieuse formule, Freud notait dans la jalousie «une homosexualité tournée à l’aigre». De cette «aigreur», note Jacques André, Jean-Jacques Rousseau avait eu l’intuition, lui qui écrivait : «L’amant hait bien plus ses rivaux qu’il n’aime sa maîtresse.»

On trouve d’autres échos à l’article de Freud, notamment chez le psychanalyste Georges Devereux qui avait apporté dans un chapitre qui a fait date – «Considérations ethnopsychanalytiques sur la notion de parenté» (1968) – un éclairage subtil sur un cas classiquede jalousie. Il avait notamment montré que lorsqu’une femme trompe son mari avec le meilleur ami de ce dernier – un cas pas inhabituel –, en couchant avec la même femme, les deux hommes couchent en réalité entre eux. Encore une histoire à deux, sous le déguisement d’un scénario à trois.

Quant aux bienfaits de la jalousie… ils sont secondaires. Au-delà des tourments qu’elle déclenche, elle permet en effet à un sujet «de lutter contre la dépression, la mélancolie et sa douleur que la jalousie anime puis qu’elle mobilise, jusqu’à l’exaspération, les pulsions libidinales», écrit la psychanalyste Catherine Chabert dans l’introduction. Mais c’est cher payé.

Sous la direction de Catherine Chabert et Estelle Louët, Jacques André, Jean-Louis Baldacci, André Beetschen et al., Les bienfaits de la jalousie, PUF «Petite bibliothèque de psychanalyse», 110 pp.


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