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samedi 13 mai 2023

Maternité Allaitement : la prise de tétée des sportives de haut niveau

par Marie Thimonnier   publié le 11 mai 2023

Face à la mésinformation et à la réticence des clubs, les jeunes mères ont du mal à continuer à donner le sein en reprenant l’entraînement. Elles tentent de faire évoluer les idées reçues dans le milieu sportif, à l’instar de Cécilia Berder, Valériane Vukosavljevic ou Clarisse Agbégnénou.

Passe, flexion, shoot. Dans une vidéo postée en juillet 2019 sur son compte Instagram, Isabelle Yacoubou répète le mouvement inlassablement. Cet été-là, la basketteuse revient d’une pause maternité. Elle retrouve les parquets du club de Bourges avec la ferme intention de continuer d’allaiter sa fille. «Je voulais absolument allaiter, même si ça demande beaucoup d’organisation et d’énergie», se souvient la vice-championne olympique à Londres en 2012.

Mais la remise en forme d’Isabelle Yacoubou dure, et son allaitement est pointé du doigt. «J’enchaînais les entraînements, le cardio, le travail en piscine… Mais je ne perdais pas de poids», relate l’athlète de 1m90, qui a pris 32 kilos pendant sa grossesse. «Par l’intermédiaire des médecins, le club m’a fait entendre que si j’arrêtais d’allaiter, on pourrait peut-être essayer des formes plus agressives de diète, se remémore-t-elle, le visage fermé. Pour moi, ce n’était pas négociable.» La pivot se tourne alors vers une préparatrice physique et une nutritionniste qu’elle rémunère à ses frais, afin d’optimiser sa reprise tout en allaitant. «On ne doit pas se voir imposer des choses par son employeur, martèle la joueuse de 36 ans, qui confie s’être sentie seule et mal orientée à son retour de maternité. J’en avais envie, donc je l’ai fait.»

Le cas d’Isabelle Yacoubou n’est pas isolé : concilier maternité et sport de haut niveau reste un sujet peu abordé dans le milieu sportif. Dans un environnement dicté par les performances et encore majoritairement masculin, et alors que la maternité a signifié pendant longtemps la fin d’une carrière sportive, la question intime et personnelle de l’allaitement est d’autant plus taboue. Au moment de reprendre l’entraînement post-partum, les sportives se heurtent au déficit de connaissances de leur entourage.

«J’étais très mal informée»

«Pendant ma grossesse, je pensais que ce n’était pas possible d’allaiter, se rappelle la basketteuse Valériane Vukosavljevic, enceinte de trois mois lors de sa participation aux Jeux de Tokyo, en 2021. J’avais vu un documentaire sur Serena Williams, qui avait dû arrêter pour être plus efficace sur son entraînement. Alors, je me disais que j’allaiterais jusqu’à ma reprise, puis que je stopperais.» Le staff médical de son club de l’époque la met en garde : «On me répondait qu’il fallait faire attention, que l’allaitement demandait beaucoup d’énergie et qu’il pouvait diminuer les performances sportives.» Ce n’est que lorsqu’elle croise la route d’une kiné spécialiste de la périnatalité qu’elle prend conscience que les deux sont compatibles. «J’étais très mal informée et j’avais des idées reçues», déplore l’ailière de l’USK Prague. La rencontre la conforte dans son choix : elle allaitera coûte que coûte.

«Je n’en veux pas au staff sportif, car ça va bien au-delà du sport, analyse Valériane Vukosavljevic. C’est un sujet encore tabou dans la société.» En octobre, la judoka française Clarisse Agbégnénou – sacrée pour la sixième fois de sa carrière mercredi aux Mondiaux de Doha – a ouvert la voie, en partageant un cliché sur son compte Instagram, où on la voit nourrir sa fille Athéna pendant l’entraînement. Des exemples comme celui-ci, il en existe très peu dans le milieu sportif. «Sur l’allaitement, on est encore au chapitre 1», déplore Cécilia Berder, vice-championne olympique de sabre par équipe, qui a donné naissance à son premier enfant l’année dernière.

Allaiter avant et après l’entraînement, se munir de pompes à lait ou d’un congélateur portable en déplacement pour congeler son lait maternel… Sur le côté pratique et organisationnel, les athlètes font appel au «syst��me D», explique l’escrimeuse, qui s’est documentée seule ou auprès de copines sur la marche à suivre. «Je me souviens d’une prépa physique où le coach nous demandait des rebonds et des sauts. J’avais les seins remplis de lait, c’était impossible.» Avec le recul, elle estime que son retour aurait été «plus optimal» si «quelqu’un dans l’encadrement fédéral connaissait le sujet, pour répondre à [ses] questions».

«La force de l’exemple»

Cécilia Berder, qui vise les Jeux de Paris 2024, a stoppé l’allaitement lorsqu’elle a repris les stages d’entraînement, quatre mois et demi après son accouchement. Si l’escrimeuse ne souhaitait pas amener son enfant lors des rassemblements, elle aurait en revanche «aimé continuer d’allaiter, en faisant des stocks grâce au tire-lait pour les déplacements», ce qu’elle n’a pas fait, «mal conseillée par une infirmière». Contrairement aux idées reçues, la sabreuse avait pourtant constaté un impact positif de l’allaitement sur son corps «J’ai perdu des kilos de grossesse, j’étais très en forme physiquement.»A l’inverse, dit-elle, «quand j’ai arrêté, mon corps s’est remis en marche normale et j’ai repris du poids. Il a fallu trouver une nouvelle source d’énergie». Elle souligne : «Il existe des techniques pour mieux vivre l’allaitement, mais on n’en parle pas. Ce n’est que par la force de l’exemple et les témoignages qu’on aura des réponses.»

Dans les sports collectifs, certains clubs se montrent plus attentifs et réceptifs que d’autres. Ailly Luciano, ancienne handballeuse néerlandaise, a allaité pendant trois ans et demi son enfant, lorsqu’elle jouait à Metz. «Il m’est déjà arrivé d’allaiter ma fille à la mi-temps d’un match, raconte l’ex-internationale de 32 ans. Le staff comprenait, il valait mieux que je prenne cinq minutes à la pause, plutôt que d’être stressée sur le terrain si je l’entendais pleurer en tribune.» A sa demande, son club met à sa disposition un frigo pour stocker le lait maternel et lui fournit des certificats médicaux pour emporter son tire-lait en déplacement. «En suivant mon expérience, le club et mes coéquipières ont eu indirectement une formation. J’espère que ça facilitera les échanges pour les suivantes.»

Le ministère des Sports s’est récemment emparé du sujet, pour que l’information et l’accompagnement ne soient plus du cas par cas. Dans la continuité du guide «Sport de haut niveau et maternité, c’est possible», publié en 2022, l’institution a annoncé le 8 mars la création d’«une cellule opérationnelle (comprenant notamment l’Agence nationale du sport et l’Insep) transversale aux fédérations»,destinée à les aider à «mieux accompagner les sportives dans leurs démarches et dans l’organisation de leur maternité (reprise de l’entraînement, allaitement, déplacements, etc)».

Certaines fédérations se sont déjà adaptées, en permettant aux athlètes de venir aux compétitions avec leur enfant. C’est le cas du judo sous l’impulsion de Clarisse Agbegnenou, du football et récemment du basket. Si Valériane Vukosavljevic avait fait l’impasse sur la Coupe du monde l’an passé, estimant que les conditions n’étaient pas réunies pour s’y rendre avec son bébé, elle devrait vivre, en juin, son premier Euro avec sa fille, en Slovénie. Epanouie, la basketteuse espère, à travers son expérience personnelle, «montrer aux femmes qui le veulent, qu’il est possible d’allaiter en reprenant une activité quelle qu’elle soit».


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