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mardi 22 novembre 2022

Réformes Cinq pistes pour un troisième âge heureux

par Clémence Mary   publié le 22 novembre 2022 

Révélées notamment par le scandale Orpea, les maltraitances envers les personnes âgées incitent à repenser les conditions d’un bon vieillissement. Comment permettre à tous d’y accéder face au coût croissant des seniors ? L’économiste Pierre Pestieau dresse cinq pistes de réflexion.

Avec huit milliards de Terriens vieillissants et un sacré papyboom – la génération née après 1945 aura 85 ans en 2030, faut-il avoir peur du troisième âge ? En 2020, la part des plus de 65 ans culminait en France à plus de 20 millions, soit près de cinq points de plus qu’en 2000. Mais vivre plus longtemps n’est pas tout, encore faut-il bien vieillir. Le nombre des maltraitances domestiques ou institutionnelles adressées au dispositif d’écoute national (3 977) a bondi de près d’un quart de plus que l’an dernier. Femme ou homme, chez soi ou en Ehpad, bénéficiaire d’une bonne retraite ou non, toutes les personnes âgées ne sont pas logées à la même enseigne. Comment assurer les conditions d’une bonne vieillesse alors que celle-ci va coûter de plus en plus cher à la puissance publique ? Meilleure reconnaissance pour les aidants, prise en compte de la pénibilité de la carrière ou valorisation de l’activité des seniors : Pierre Pestieau, économiste émérite à l’Université de Liège et coauteur avec Xavier Flawinne de Vivre heureux longtemps. Combien ça coûte ? (PUF), dessine cinq pistes de réforme.

Prévenir la maltraitance envers les seniors

«On l’a vu pendant la pandémie, rester à la maison semble préférable à vivre en Ehpad. Mais les personnes seules ou lourdement dépendantes ne peuvent pas toujours rester chez elles. En institution, la maltraitance s’explique par la pénurie de personnel et son manque de formation. Ces deux facteurs se conjuguent facilement au sein d’établissements privés qui, mus par la recherche de profits, compriment les coûts au maximum, alors qu’une bonne qualité de soins doit se traduire en rémunération. L’enquête de Victor Castanet sur l’entreprise Orpea (1) a d’ailleurs montré que les établissements luxueux n’étaient pas épargnés. Pour prévenir cette maltraitance, renforcer des contrôles proactifs et continuels, former davantage et mieux rémunérer le personnel, ainsi qu’exiger que des représentants des résidents fassent partie des conseils d’administration. Cependant, la recherche du profit ne peut être la seule raison invoquée pour expliquer la maltraitance, qui sévit tout autant dans des maisons de retraite sans but lucratif et dans les familles devant assumer une dépendance lourde dans un habitat inadéquat et exigu. Selon une étude internationale publiée dans la revue The Lancet, près de 16 % des personnes âgées de 60 ans et plus ont déjà été victimes de maltraitance. Or le coût que représente l’aide informelle est trop souvent minimisé. Venir en aide à une personne lourdement dépendante exige une énergie morale et physique telle qu’après sa disparition, de nombreux aidants tombent en dépression, ou connaissent à leur tour des problèmes de santé.»

Moduler la durée de carrière en fonction de la pénibilité

«Si l’on ajoute aux retraites la part des soins de santé et les programmes d’aide à la dépendance, le coût du vieillissement pourrait monter à près d’un quart du PIB d’ici à 2050, une mesure difficilement soutenable qui devrait encore augmenter. Les projections plutôt rassurantes de l’OCDE sur le coût des retraites, qui revient en 2019 à environ 15 % du PIB, ne font que masquer une réalité inquiétante, celle de la baisse du niveau des prestations. Face à ce défi, il est difficile d’augmenter les cotisations des travailleurs, des entreprises et du Trésor public car elles ont atteint un niveau difficilement supportable, et il serait absurde de baisser encore des prestations déjà en voie d’érosion. Reste le paramètre de l’âge du départ à la retraite. Plutôt que de se focaliser sur l’âge, il est possible de jouer sur d’autres leviers moins clivants, comme la durée de la carrière qui permet de toucher une retraite à taux plein, ou les régimes spéciaux. Ce qui importe en définitive, c’est l’âge moyen de cessation d’activité. En France, il est d’un peu plus de 62 ans mais ce chiffre est à mettre en rapport avec la durée moyenne de la retraite. Alors qu’en 2019, elle était d’un peu moins de quinze ans en France, elle passera à près de vingt ans dans deux décennies. Bien vieillir nécessite de relever l’âge effectif de départ à la retraite tout en prenant en compte la pénibilité de la carrière pour en déterminer les conditions d’accès. Mesurer l’espérance de vie en bonne santé – de sept ans plus faibles pour des métiers comme infirmiers, serveurs ou métallurgistes – serait un bon indicateur.»

Renforcer la prise en charge de la dépendance par la sécurité sociale

«A hauteur du 2 % du PIB, les programmes existants, comme l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), sont souvent pris en charge par les pouvoirs locaux dont les mairies. Visant la dépendance lourde – formes de démence ou maladies chroniques, ils sont dispersés et insuffisants, d’où les promesses faites ces dernières décennies par les présidents de la République successifs d’ajouter à la sécurité sociale un cinquième pilier venant compléter les secteurs du chômage, de la santé, de l’invalidité et des retraites. Il a fallu attendre 2021 pour qu’il soit acté. A cela s’ajoute le déclin de l’aide informelle apportée autrefois par la famille, du fait de la mobilité des enfants, de la baisse du nombre de femmes au foyer et de l’absence de progéniture pour 20 % des personnes âgées. Et le marché de l’assurance reste discret : seuls 10 % des Français ont souscrit une assurance en la matière, qui couvre rarement la totalité des besoins. L’une des solutions consisterait à mettre en place une assurance à deux niveaux. Le premier serait public et assurerait une couverture de base à ceux qui n’en n’ont pas les moyens. Le second, qui pourrait être privé, couvrirait de façon attractive la totalité des coûts de la dépendance au-delà d’un certain plafond. Cette franchise pourrait s’exprimer en mois de soins à la dépendance ou de coût d’une maison de retraite médicalisée.»

Remédier à la mauvaise santé des femmes âgées

«Les études de l’Insee montrent que le troisième âge est le plus heureux. Un bémol peut être opposé à ce constat, touchant à la situation particulière des femmes : alors qu’elles vivent nettement plus longtemps que les hommes – six ans en moyenne en France, elles ont une espérance de vie en bonne santé inférieure d’environ cinq ans, et qui continue de décroître. Plusieurs facteurs expliquent cette différence. Les femmes survivent mieux que les hommes à certains cancers et maladies cardiovasculaires mais en demeurent diminuées, comme l’a montré une étude du European Journal of Public Health publiée par l’université d’Oxford. Ensuite, elles représentent la majorité des aidants – de leurs parents, de leurs conjoints ou de leurs propres enfants. Particulièrement éprouvantes pour la santé, ces tâches gagneraient à être mieux reconnues, valorisées et partagées.»

Mieux valoriser l’apport économique des seniors

«On a l’habitude de parler d’économie grise ou de silver economypour désigner la contribution des seniors à la bonne marche de l’économie. Côté consommation, ils ont des demandes spécifiques, en matière de loisirs et d’alimentation, ou en matière d’équipements comme les monte-escaliers. Côté production, même s’ils sont en dehors du circuit formel, ils contribuent grandement à l’économie informelle, en gardant leurs petits-enfants ou en apportant une aide aux plus âgés. Les enquêtes européennes Share montrent que les aidants naturels pour les personnes très dépendantes sont le plus souvent âgés de 50 à 70 ans. A cela s’ajoute la participation des seniors aux entreprises caritatives, ainsi qu’à diverses activités artistiques ou intellectuelles, qui a aussi une valeur économique. Mesurer cette contribution n’est pas plus simple que de mesurer la valeur du travail domestique, mais il est certain que cela représente une fraction non négligeable du PIB.»

(1) Dans le livre les Fossoyeurs, Fayard, 2021.


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