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vendredi 25 novembre 2022

Après la défaite de Jair Bolsonaro au Brésil, les étranges protestations de ses partisans les plus radicaux

Par    Publié le 25 novembre 2022

Prières mystiques, hymne national devant un pneu… La défaite du président d’extrême droite face à Lula est venue attester de l’état psychologique, jugé préoccupant par certains, de celles et ceux qui n’ont toujours pas quitté la rue depuis près d’un mois.

Lors d’une manifestation contre le résultat de l’élection présidentielle du 30 octobre 2022, à l’extérieur d’une base militaire de Sao Paulo (Brésil), le 3 novembre 2022.

LETTRE DE RIO DE JANEIRO

La scène date du 20 novembre. La nuit est tombée à Porto Alegre, capitale de l’Etat brésilien du Rio Grande do Sul. Dans le centre historique, à proximité du commandement militaire régional, une poignée de manifestants d’extrême droite, vêtus de maillots de la Seleçao (l’équipe nationale de football), continuent de protester contre le résultat de l’élection présidentielle du 30 octobre, qui a vu Jair Bolsonaro défait dans les urnes par Luiz Inacio Lula da Silva. Tous exigent à grands cris une « intervention fédérale ». Comprendre : un putsch de l’armée.

Quand, soudain, les voilà qui adoptent un comportement intrigant. Les bolsonaristes placent leur portable sur leur crâne, lampe torche allumée et pointée vers le ciel. Chacun passe sa main devant le jet de lumière, comme pour envoyer un S.O.S. vers les étoiles et leurs habitants lointains. « Les gars, (…) ces putschistes sont en train de demander l’aide des extraterrestres », commente, effaré, le photographe Marcelo Nunes, qui poste sur son profil Facebook une vidéo des protestataires.

Celle-ci devient immédiatement virale en ligne. Tant pis si le message lumineux des manifestants était en réalité adressé aux généraux du commandement militaire de Porto Alegre : le « S.O.S. aux Martiens » ou « l’appel à E.T. » est venu attester de l’état psychologique, jugé préoccupant par certains, des partisans les plus radicaux de Jair Bolsonaro, qui n’ont toujours pas quitté la rue depuis près d’un mois.

A Niteroi, près de Rio de Janeiro, certains d’entre eux ont été filmés en train de prier et parfois implorer Dieu à genouxdevant des bâtiments de l’armée. Dans le Parana (Sud), d’autres ont été vus entonnant l’hymne national devant un simple pneu. Ailleurs, des bolsonaristes ont improvisé de grotesques marches militaires en file indienne, entamé de curieuses chorégraphies se terminant en grand écart sur l’asphalte, ou même léché le portrait du président sortant devant les caméras de télévision.

Agressions verbales et physiques

Dans ces rassemblements carnavalesques circulent les thèses les plus farfelues. A Belem (Amazonie), une manifestante en larmes a déploré que la police brésilienne ait été « achetée » par le dirigeant irakien Saddam Hussein (mort en 2006). Beaucoup ont célébré avec ferveur la fausse nouvelle de l’arrestation par la police du juge Alexandre de Moraes, bête noire de l’extrême droite et président du Tribunal supérieur électoral. Quelques-uns estiment par ailleurs que Jair Bolsonaro aurait été tout bonnement remplacé par un sosie.

Certains gestes ont provoqué l’inquiétude. Dans plusieurs localités, des journalistes et des sympathisants de gauche ont ainsi été agressés verbalement et parfois physiquement. A Sao Miguel do Oeste (Sud), des centaines de partisans d’extrême droite se sont rassemblés le bras tendu dans un salut aux allures fascistes (mais qui, selon les experts, servirait aussi pour saluer le drapeau dans l’armée brésilienne). Un geste qualifié de « choquant » par l’ambassadeur allemand au Brésil, qui a rappelé que « l’apologie du nazisme est un crime ».

« Bolsonaro a créé une bulle de vérité parallèle et fasciste en ligne », constate Tales Ab’Saber, psychanalyste et enseignant à l’université de Sao Paulo

La scène la plus cocasse a eu lieu à Caruaru (Nordeste). Là, un manifestant a cru bon de s’accrocher à l’avant d’un camion pour l’empêcher de franchir un barrage routier. Refusant de descendre, ce dernier a passé de longues minutes à plusieurs dizaines de kilomètres à l’heure agrippé au pare-brise du poids lourd… Filmée par le conducteur et plusieurs témoins, la scène a donné lieu à une infinité de mèmes et de parodies en ligne, le « fou du camion » portraituré en Spider-Man, Mad Max et consorts…

« Difficile de ne pas voir ici une forme de comportement délirant », admet Tales Ab’Saber, psychanalyste et enseignant à l’université de Sao Paulo, qui souligne « une déconnexion totale entre ces manifestants et la réalité ». Les réseaux sociaux, sur lesquels s’informent en priorité les bolsonaristes, jouent selon lui un rôle central : « Bolsonaro a créé une bulle de vérité parallèle et fasciste en ligne. Une partie de la population a fait sédition et vit dans son monde », constate M. Ab’Saber.

« Le bolsonarisme ressemble de plus en plus à une secte »

Depuis quatre ans, le pouvoir d’extrême droite a abreuvé ses fidèles en thèses conspirationnistes effarantes. Dans les mots de Jair Bolsonaro et de ses proches, le Covid-19 est une invention communiste, le vaccin contient une « puce du diable » et peut vous transformer en « crocodile », les indigènes sont responsables de la déforestation en Amazonie, les urnes électroniques sont truquées, la France et les Etats-Unis souhaitent envahir le Brésil, et la Terre pourrait même être plate…

De tels discours ont dérouté bien des observateurs, qui n’ont pas hésité à attribuer à Jair Bolsonaro toutes les pathologies psychiatriques disponibles sur le marché. « Sociopathe » et « narcissique », le dirigeant d’extrême droite serait aussi selon certains un « paranoïaque »« messianique », « antisocial », doublé d’un incurable « schizophrène »… En 2019, la philosophe brésilienne Marcia Tiburi le qualifiait sur Twitter d’« oligophrène », soit une personne atteinte d’un grave regard mental.

« Le bolsonarisme ressemble de plus en plus à une secte », déplore pour sa part André Luis Leite de Figueiredo Sales, membre du centre de recherche en psychologie politique de l’Université pontificale de Sao Paulo. Rien d’original : le Brésil a compté dans son histoire quantité de mouvements millénaro-messianiques. « On y retrouve toujours l’idée d’une rédemption finale et d’un prophète sauveur de l’humanité… », explique-t-il.

Ce dernier relève une dimension « de plus en plus mystique et totalisante » du bolsonarisme. « La militance donne un sens à la vie de ces militants d’extrême droite. En sortant dans la rue et en protestant, ils retrouvent une part de dignité. Ils ont l’impression d’être de nobles héros aventuriers, combattant pour la vérité et le bien, de véritables élus de Dieu », détaille M. de Figueiredo Sales.

« Ces gens ne font pas de pantomime »

Faudrait-il pour autant interner de force les bolsonaristes ? Jonas Medeiros, chercheur au Centre brésilien d’analyse et de planification, étudie de près les rassemblements en cours et balaie pour sa part toute « irrationalité » supposée des bolsonaristes. « Ils peuvent paraître déroutants au premier abord, mais ils ne sont ni fous ni malades. Ils obéissent à une logique, que je qualifie de rationalité alternative », diagnostique ce dernier.

Tout part « de l’impression sincère que l’élection leur a été volée et qu’une dictature communiste est en train d’être instaurée », explique le chercheur. Une fois cette idée bien ancrée, « la résistance à l’oppression, l’appel désespéré à Dieu et à l’armée prennent tout leur sens ». La demande d’un putsch, dans un pays qui en a connu une bonne dizaine, est d’ailleurs tout sauf irrationnelle. « Au regard de l’histoire du Brésil, c’est même plutôt logique », souligne M. Medeiros.

Les actes parfois effarants des manifestants auraient par ailleurs selon le chercheur une explication psychologique. « Après la défaite, quantité de bolsonaristes sont entrés en dépression. Beaucoup utilisent les rassemblements comme un moyen de canaliser leurs énergies et de ne pas sombrer. D’où des gestes parfois très chargés émotionnellement », analyse M. Medeiros.

Comme la plupart des observateurs, ce dernier ne voit pas les bolsonaristes quitter la rue de sitôt et ce malgré l’investiture de Lula, prévue le 1er janvier 2023. « Derrière leur côté excentrique et absurde, ces gens ne font pas de pantomime. Ils ont un projet politique autoritaire bien identifié, qu’ils souhaitent imposer au pays », croit le psychanalyste Tales Ab’Saber. En somme, mieux vaut battre le pavé que s’allonger sur le divan.


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