Publié le 23 novembre 2022
CHRONIQUE
Samuel Blumenfeld
L’économiste devient titulaire d’une nouvelle chaire au Collège de France. Elle tiendra sa la leçon inaugurale le 24 novembre. Le quotidien l’évoque pour la première fois le 6 septembre 1994.
Invitée pour la première fois par le Collège de France en 2008 pour y délivrer une série de conférences, Esther Duflo devient, cette année, titulaire de la chaire « Pauvreté et politiques publiques ». Ce 24 novembre, elle y tiendra sa leçon inaugurale, « Expérience, science et lutte contre la pauvreté (presque) quinze après », la première d’une série qui va s’étaler sur toute l’année 2023.
Le nom du Prix Nobel d’économie 2019 apparaît pour la première fois dans Le Monde dans des circonstances pour le moins singulières. Celle qui est encore étudiante, élève de l’Ecole normale supérieure et, brièvement, assistante de recherche à l’European Expertise Service, à Moscou, signe, le 6 septembre 1994, une enquête en « une » du supplément « Economie » intitulée « Quand la mafia évince l’Etat », sur les désordres de la transition en Russie, alors que cet ancien régime communiste se reconvertit à l’économie de marché. « En Russie, la mafia s’est constituée en pouvoir économique, débordant le cadre des activités traditionnelles, et se substituant à l’État, qu’elle concurrence par ailleurs », écrit la jeune fille, alors âgée de 21 ans. La lutte contre la corruption restera l’un des axes de recherche de l’économiste franco-américaine.
Lorsqu’Esther Duflo apparaît pour la deuxième fois dans le quotidien du soir c’est, déjà, pour figurer sur un tableau d’honneur. Dans l’édition du Monde du 3 juillet 1996, elle est citée parmi les lauréats de l’agrégation de sciences sociales. La liste est alphabétique, le classement est précisé entre parenthèses : la candidate est reçue à la 10e place.
Au plus près des inégalités
Ce n’est que dix ans plus tard, le 20 mai 2003, que son nom revient dans les colonnes du journal, pour signaler l’attribution, par le jury du « Monde économie » et du Cercle des économistes, du prix du meilleur jeune économiste à Pierre-Cyrille Hautcœur, tout en honorant, au titre de nominés, Philippe Askenazy et Esther Duflo. Maîtresse de conférences au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où elle a soutenu sa thèse de doctorat sur des questions liées au développement, Esther Duflo est, selon le journaliste Serge Marti, représentative « de la croissante pluridisciplinarité qu’exigent l’apprentissage et l’enseignement de l’économie ».
« La nécessité de penser aux questions soulevées par la globalisation, les inégalités, a incité une série de jeunes théoriciens à se pencher sur les questions de développement. Souvent de façon très empirique, proche du terrain. » Esther Duflo en 2003
Cette distinction est assortie d’un entretien où se distingue déjà le chemin choisi par la jeune économiste et dont elle ne dévira jamais, à savoir s’intéresser à l’amélioration du niveau de vie des gens. Le titre de l’entretien annonce la couleur : « Esther Duflo, Assistant Professor au MIT : “Les campus américains s’intéressent enfin au développement”. »« L’économie du développement, en tant que domaine de recherches, est en pleine expansion aux Etats-Unis. Beaucoup d’étudiants en font le sujet de leur thèse, nombre de professeurs changent de secteur et optent pour le développement, y explique l’enseignante. (…) La nécessité de penser aux questions soulevées par la globalisation, les inégalités, à l’intérieur des pays et entre les pays, a incité une série de jeunes théoriciens à se pencher sur les questions de développement. Souvent de façon très empirique, proche du terrain, très micro, ce qui est mon cas. »
Lorsqu’elle est à nouveau interrogée par Le Monde, le 8 décembre 2008, Esther Duflo est désormais professeure au MIT et titulaire de la chaire « Savoirs contre pauvreté » au Collège de France, à cheval entre l’Hexagone et les Etats-Unis. Elle prendra la nationalité américaine en 2012. Les propos utilisés pour servir de titre à l’entretien marquent un engagement toujours plus marqué, avec ce souci de la redistribution : « La volatilité des prix est une catastrophe pour les habitants des pays pauvres. »
La chercheuse propose des pistes dans un contexte où l’on assiste, déjà, à une flambée des prix de l’énergie : « Quand les cours des matières premières agricoles ont flambé, l’Inde a stoppé ses exportations (de riz notamment) pour préserver ses prix nationaux loin de la folie des marchés. Mais c’est un choix risqué que peuvent difficilement suivre les pays africains. Un petit pays peut toujours s’isoler et vivre de sa production agricole. Mais que se passe-t-il en cas de mauvaise récolte ? Je pense qu’il faudrait mieux s’orienter vers des solutions de soutien aux producteurs et aux consommateurs finaux. »
Distinction suprême
Le Monde publie pour la première fois une tribune de l’économiste le 9 janvier 2009 (« Combattre la pauvreté »). Un texte déjà tiré d’une leçon inaugurale qu’elle donne au Collège de France et qui propose de lutter, là encore, contre « les maux qu’engendre la pauvreté ». Ses expériences de terrain menées avec les Américains Abhijit Banerjee et Michael Kremer vaudront aux trois le prix Nobel d’économie.
Dans l’article du 15 octobre 2019, qui revient sur cette récompense, Antoine Reverchon note qu’elle est « la plus jeune (46 ans), l’une des deux seules femmes (après Elinor Ostrom, en 2009) » lauréates. La distinction suprême l’encourage à poursuivre son combat. Le 17 décembre 2020, dans une tribune, la dernière publiée à ce jour dans Le Monde, Esther Duflo argumente, en compagnie d’Abhijit Banerjee et du député LRM Hervé Berville, en faveur « d’une aide massive aux pays pauvres », pour « surmonter la crise globale » due au Covid-19.
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