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jeudi 24 novembre 2022

Interview Surconsommation d’antibiotiques : «Il faut travailler ensemble pour faire évoluer les mentalités»

 



par Apolline Le Romanser  publié le 24 novembre 2022

Les autorités appellent à réduire l’utilisation d’antibiotiques, pour limiter les risques de pénurie d’amoxicilline, très utilisée en pédiatrie. Selon la pédiatre infectiologue Christèle Gras-Le Guen, cette crise est l’occasion de résoudre le suremploi de ces médicaments, qui persiste depuis des décennies.

Une pénurie d’amoxicilline, l’antibiotique le plus prescrit aux enfants, menace la France et inquiète les professionnels de santé. Pour y faire face, les autorités demandent de réduire fortement la consommation d’antibiotiques. La France est souvent pointée comme l’un des «mauvais élèves» en la matière : elle en est la quatrième consommatrice en Europe. Un récent rapport de Santé publique France montre même une consommation en hausse chez les enfants en 2021, revenue au niveau de 2019. Pour Christèle Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie et cheffe des urgences pédiatriques au CHU de Nantes, cette crise peut être l’occasion d’une prise de conscience collective qui mènerait vers une utilisation beaucoup plus adaptée de ces médicaments.

En quoi la France consomme trop d’antibiotiques ?

Nous consommons plus d’antibiotiques que presque toute l’Europe depuis des années et l’état de santé des enfants ne le justifie en aucun cas. On observe un décalage important avec les pays d’Europe du Nord… pourtant, les enfants vivant en Suède ou Finlande ne sont pas très différents des nôtres [en 2021, la France consommait le double d’antibiotiques de ces deux pays, selon les données du Centre européen de contrôle des maladies, ndlr]. C’est ce décalage, conséquent, qui nous laisse penser qu’il y a une grosse marge de manœuvre.

Dans quel cas on pourrait se passer d’antibiotiques ?

Il faut le rappeler : les antibiotiques ne sont efficaces qu’en cas d’infections. Par exemple, ils sont inutiles contre la bronchiolite. Evidemment, il y a les méningites ou certaines autres infections respiratoires qui nécessitent une prise d’antibiotiques, car il s’agit d’urgences vitales. Mais il faut qu’on arrive à une pratique plus adaptée, diminuer les doses prescrites et les durées. Voire, dans un certain nombre de situations, ne pas prescrire d’antibiotiques tout court. C’est le cas des otites : on sait qu’elles sont souvent d’origine virale, et qu’elles guérissent spontanément dans pratiquement trois quarts des cas chez les plus de six mois. On pourrait peut-être, comme beaucoup de pays le font déjà, ne pas les traiter chez les enfants qui dépassent cet âge.

Comment expliquer cette consommation excessive ?

Les raisons sont surtout historiques et culturelles, c’est une question de mentalités. Je travaille aux urgences pédiatriques : je vois tous les jours des enfants sous traitements antibiotiques inutiles et je pense que j’aurai passé ma carrière à les limiter. Il s’agit de vieilles habitudes et inquiétudes des prescripteurs et des familles. Les médecins préfèrent prescrire des antibiotiques «pour être sûrs», éviter de rater des infections graves. Et, au contraire, lorsqu’on ne prescrit pas d’antibiotiques, les familles s’en inquiètent et ne comprennent pas. L’idée n’est pas de juger, mais de travailler ensemble pour faire évoluer les mentalités et parvenir à une prise de conscience collective.

Quelles mesures pourraient être mises en place pour parvenir à une utilisation plus rationnelle ?

Il faut d’abord informer massivement. Le gouvernement et ses ministères pourraient engager des campagnes d’information importantes et ciblées sur les personnels de santé et les familles. Au vu du risque de pénurie d’amoxicilline, il est urgent d’agir dès maintenant, même si on aurait préféré amorcer ce changement en dehors d’un contexte de crise. Grâce à ça, j’espère que l’on pourra convaincre. Si on n’y arrive pas, il faudra réglementer. Par exemple, faire en sorte qu’un pharmacien puisse remettre en cause la prescription d’antibiotiques s’il voit un enfant arriver avec une angine virale. Ce serait une remise en cause de tout un système de prescription : aujourd’hui, personne ne vérifie et va à l’encontre de ce qu’un médecin prescrit. Mais peut-être qu’on en arrivera là si on n’est pas capable de s’autolimiter et qu’il est nécessaire de conserver des stocks d’antibiotiques pour les situations où ils sont nécessaires et urgents.


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