par Cassandre Leray publié le 29 septembre 2022
L’amour dure parfois toute une vie. Le rapport annuel des Petits frères des pauvres sur l’isolement et la solitude des personnes âgées, publié ce jeudi, vient le rappeler, en se penchant sur la vie affective, intime et sexuelle des têtes blanches. Dans son étude, l’association s’attache notamment à désarticuler les clichés. La rareté des représentations de vieilles et vieux s’embrassant ou se tenant tout simplement la main est révélatrice de la «façon caricaturale» dont le sujet est abordé dans la société, comme le rapporte l’association : «Passé un certain âge, la vie affective et sexuelle n’existe plus, elle s’éteint ou alors pour exister, il faut qu’elle soit performante voire extravagante. Dans tous les cas, une vision peu respectueuse.» Pourtant, ils sont nombreux à vivre âgés et en couple : 59% des 60 ans et plus, soit plus de 10 millions de personnes.
Cette étude – qui cumule les réponses de plus de 1 500 personnes âgées de 60 ans et plus en France métropolitaine – est la première proposant une telle masse de données quantitatives sur le sujet. L’intimité des personnes âgées, peu prise en compte dans la société, est pourtant centrale alors que le vieillissement de la population s’accélère, comme le souligne l’association : «Quid de la compréhension des carences affectives, intimes ou sexuelles de ces millions de personnes âgées, surtout des femmes, confrontées à la traversée de leurs dernières années de vie en solitaire ?»
Aimer «comme au premier jour»
Les baisers, la tendresse et les rires ne disparaissent pas à mesure que les rides se creusent. Parmi les chiffres marquants de cette étude, 94% des personnes âgées déclarent être amoureuses de leur conjoint(e), dont 65% «tout à fait amoureux». Les couples de moins de dix ans sont un peu plus amoureux que ceux qui sont plus anciens (76% contre 64 à 65%), mais les données illustrent que l’amour est toujours là, aussi bien dans la soixantaine qu’à 85 ans.
Une «excellente nouvelle qui vient combattre les idées reçues sur le sentiment amoureux qui s’émousserait plus on avance dans le grand âge et qui ferait place à une sympathique affection envers l’autre», détaille l’association. Gaston, 97 ans et veuf, s’en fait le porte-voix dans ces pages en évoquant sa conjointe : «Quand on était âgés tous les deux, le matin elle se levait après moi, elle allait à la porte de la cuisine, elle frappait et elle arrivait, je la prenais dans mes bras et je lui disais “je t’aime comme au premier jour”.»
Complicité, rires et confidences
Ultime pied de nez aux idées reçues sur l’amour chez les vieux : moins d’un tiers des personnes ensemble depuis plus de quarante ans évoquent un sentiment de «routine». Plus prononcé chez les 75 ans et plus (34% à 36% contre 27% en moyenne sur l’ensemble de la population des 60 ans et plus) et chez les personnes qui sont en couple depuis plus de 40 ans (30%), ce sentiment n’est pas majoritaire.
Pour les personnes âgées encore en couple, la communication avec leur partenaire est ce qui importe le plus. En tête des «actions essentielles à la vie de couple» : être complice (53%), rire (50%) et se confier l’un à l’autre (48%). Le trio reste le même, quel que soit le genre ou l’âge. Et, s’ils ne sont pas majoritairement considérés comme essentiels, les gestes de tendresse ont eux aussi leur place : pour 48% des répondants, s’embrasser est important, et se tenir la main l’est pour 38% d’entre eux. Parmi ces couples, un peu plus d’un sur deux (55%) s’embrasse souvent. Ils ne sont que 7% à le faire «rarement» et 3% à ne jamais le faire.
Autre fait notable : les relations sexuelles ont beau être placées au second plan, elles ne sont pas inexistantes, puisque 52% des 60 ans et plus en ont encore. Des chiffres qui varient avec l’âge : alors que 70% des 60-64 ans ont des relations sexuelles, ils ne sont plus que 32% chez les 80-84 ans et 8% au-delà de 85 ans. Par ailleurs, seul un tiers des personnes âgées en couple ont le sentiment que leur désir pour leur conjoint s’émousse. Ils sont 91% à toujours éprouver du désir pour leur partenaire, dont 56% autant qu’avant.
Le couple pour «contrer la solitude»
Le rapport documente une nette rupture à l’arrivée au grand âge : 28% seulement des 85 ans et plus sont en couple, contre 59% des 60 ans et plus. Une brisure largement en lien avec la perte du compagnon. Parole d’Edouard, 101 ans et veuf : «Je pense à ma femme tous les jours. Une ou deux fois par jour, je pense à elle, je l’appelle par son nom. Dans l’espérance folle d’une réponse. Que j’entende sa voix. Je suis venu à l’idée qu’après la mort il y a le néant. Plus rien. C’est fini. C’est ça ma conclusion à présent.»
Le couple n’est toutefois pas un objectif à tout prix. Pour les près de 7 millions de vieilles et vieux n’étant pas en couple, le souhait de rester seul prédomine à 85%, et est notamment plus marqué chez les femmes (92%). Pour 48% des répondants vivant seuls, vivre seul est un choix clairement affirmé. 24% évoquent toutefois «l’âge» comme motif de célibat, et la fidélité à l’ancien compagnon (20%). Pour la minorité de célibataires aspirant à une relation de couple, la raison principale n’est autre que «contrer la solitude» (61%). A également, à 42%, les autres motifs sont «avoir un soutien moral et affectif» et «réaliser des projets à deux».
Une peur de l’isolement révélatrice. Par rapport aux précédentes études des Petits frères des pauvres, le sentiment de solitude est en baisse et même à un niveau inférieur à 2017. Mais il existe toujours : 1,8 million de 60 ans et plus le ressentent encore régulièrement. Pour autant, l’amour n’est pas toujours un remède, puisque 15% des personnes âgées en couple se sentent, elles aussi, seules de façon régulière.
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