Par Raphaëlle Rérolle Publié le 29 septembre 2022
Après la victoire électorale de la coalition emmenée par par la très conservatrice Giorgia Meloni, des manifestants ont défendu un droit déjà fragile.
La pancarte est très simple, un bête morceau de carton, mais les mots tracés au feutre semblent d’une autre époque : « C’est mon corps, c’est moi qui décide. » Brandi par une très jeune fille, mercredi 28 septembre à Rome, le panneau renvoie pourtant à une inquiétude bien réelle, dans l’Italie d’aujourd’hui. Comme les autres manifestants autour d’elle, hommes et surtout femmes de tous âges, celle qui le tient au-dessus de sa tête estime que le droit d’avorter n’est plus vraiment respecté dans son pays.
Avec elle, ils étaient plusieurs centaines à manifester dans les environs de la basilique Sainte-Marie-Majeure, à l’appel du mouvement féministe Non una di meno (« pas une de moins »), fédération d’associations inspirée par un collectif argentin créé pour lutter contre les violences faites aux femmes. Organisé à l’occasion de la Journée mondiale du droit à l’avortement, ce rassemblement a permis aux participants d’exprimer leurs craintes, trois jours après la victoire de la très conservatrice Giorgia Meloni aux élections législatives et sénatoriales du 25 septembre.
La présidente du parti postfasciste Fratelli d’Italia ne compte pas remettre en question la loi de 1978, qui dépénalise l’avortement en Italie. « Mais elle dit qu’elle veut favoriser le droit de ne pas avorter, s’alarme Leona, une infirmière à la retraite. C’est très préoccupant, parce que, ici, c’est le droit d’avorter qui est menacé, pas le contraire. Nous avons cru, nous autres féministes, que ce droit était acquis. Nous n’avons pas été assez vigilantes. Nous avons eu tort. »
Statut d’objecteur de conscience
En réalité, l’accès à l’avortement devient difficile en Italie, où près de 70 % des médecins susceptibles d’intervenir dans un avortement ont signé un formulaire leur donnant un statut d’objecteur de conscience. « Dans les universités catholiques, on endoctrine les jeunes diplômés pour leur faire signer ce papier dès la fin de leur cursus », affirme Emmanuele – il ne souhaite pas donner son nom –, étudiant en deuxième année de médecine à l’université publique romaine La Sapienza.
A certains endroits et notamment dans les zones très conservatrices, ce pourcentage est encore plus élevé. « C’est le cas de Molise, en Italie du Sud, où il s’élève à 92 % », explique l’avocate milanaise Giulia Crivellini, du mouvement Libres d’avorter. Selon des chiffres collectés par l’association Collettiva, 72 hôpitaux de la Péninsule affichent un taux d’objection situé entre 80 % et 100 %, tandis que 22 établissements comptent 100 % de signataires du fameux formulaire.
Quant à l’usage de la pilule abortive, il a été très contraint jusqu’en 2020, puisqu’il ne pouvait être pratiqué qu’en milieu hospitalier. Avec la pandémie de Covid-19, cette disposition a été assouplie, mais pas partout. Les régions ayant la maîtrise des questions de santé, celles qui sont dirigées par Fratelli d’Italia ont décidé de ne pas appliquer cette nouvelle mesure. C’est le cas des Marches et des Abruzzes.
L’avortement thérapeutique lui-même est extrêmement compliqué, comme l’explique Giulia Crivellini. « Au-delà de vingt-deux semaines, on ne trouve presque aucun médecin qui accepte, car la loi de 1978 les oblige à réanimer dans tous les cas où il existe une possibilité de vie autonome. Ils ont peur de tomber sous le coup de la loi. » Par deux fois, en 2016 et en 2021, la Cours européenne des droits de l’homme a lancé une procédure d’infraction à l’encontre de l’Italie pour non-respect du droit à l’avortement.
Inhumations sauvages
« Les milieux conservateurs italiens sont moins frontaux que leurs homologues américains, observe Martina Avanza, professeure de sociologie politique à l’université de Lausanne. Au lieu de prétendre abroger la loi, ils la détricotent. » Des groupes de militants provietrès actifs exercent des pressions sur les femmes pour les faire changer d’avis. Certains d’entre eux organisent même des funérailles pour les embryons récupérés dans les hôpitaux, grâce à une faille de la loi. Les dépouilles sont enterrées dans des carrés baptisés « cimetière des enfants », ou « carré des anges ». Généralement, il s’agit de fosses communes où sont installées des croix portant le nom de famille des femmes ayant avorté, souvent précédé du prénom épicène « Celeste ».
Dans un cas au moins, ces inhumations sauvages sont allées encore plus loin. L’histoire a fait du bruit, car sa victime a parlé à la presse pour défendre le droit des femmes. Elle s’appelle Francesca Tolino et vit à Rome. En 2019, enceinte de son deuxième enfant, Francesca passe une échographie qui révèle une grave malformation cardiaque du fœtus. Aussitôt, le personnel de l’hôpital essaie de l’inciter à garder l’enfant. Elle refuse et finit par trouver un médecin qui accepte d’intervenir dans des conditions difficiles, l’équipe soignante étant en grande partie composée d’objecteurs. Une fois rentrée chez elle, la jeune femme pense avoir surmonté l’épreuve lorsqu’elle reçoit un message qui la révulse : quelque part dans le cimetière romain de Flaminio, une croix métallique porte non seulement son nom de famille mais aussi son prénom. Comme si Francesca Tolino était morte elle aussi et enterrée là, dans le carré des anges.
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