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dimanche 10 juillet 2022

Psychiatrie : à Niort, patients et longueur de temps

par Eric Favereau et photo Frédéric Stucin  publié le 8 juillet 2022

Pendant un an, le photographe Frédéric Stucin s’est installé dans la cafétéria accolée au service psychiatrique de l’hôpital de Niort pour y observer les «interstices», photographiant patients et soignants. Un regard humain et doux sur ces lieux de soins souvent stigmatisés.

Ce sont des clichés sombres et tristes, sans légende, comme sortis d’un pays de l’Est. Des photos sans sourire mais tout de même chaleureuses, humaines, hospitalières. On y voit des visages : certains sont ceux de malades, d’autres de soignants. Enfin, il y a des murs et des espaces vides, comme inhabités, mais dont l’atmosphère semble apaisée. On est loin de la violence qui transparaît habituellement des lieux de soins, qui sont aussi souvent des lieux d’exclusion.

A l’automne 2020, en pleine épidémie de Covid, le photographe Frédéric Stucin, qui travaille régulièrement pour Libération, a poussé la porte de la P’tite Cafète, à l’hôpital de Niort. Accolé au pôle psychiatrie de l’hôpital, l’endroit est un lieu collectif, comme il y en a fréquemment dans les services psychiatriques français. Les patients y viennent passer un moment, boire un verre, regarder la télé, fumer, discuter entre eux ou avec les soignants. Frédéric Stucin a gagné un appel à projets, organisé par la Villa Pérochon, centre d’art d’intérêt national, à Niort. Le photographe a proposé de s’installer dans cette cafétéria et d’immortaliser patients comme soignants. Une semaine par mois, durant un an, il s’y rend pour créer de «vrais portraits rêvés», qu’il définit comme des «photographies qui les racontent, qui disent ce qu’ils ont envie de dire d’eux-mêmes, à un moment précis. Le pari de ce projet, c’était que le regard extérieur ne soit plus un empêchement, mais au contraire l’occasion d’un partage. Que les patients donnent à voir au lieu d’être regardés».

«Le contact est plus évident»

Dans le livre qui accompagne l’exposition, il y a un très beau texte d’Ondine Millot, longtemps journaliste à Libération. Elle y décrit ce café associatif : «Cet endroit, c’est un entre-deux... A la fois dans l’enceinte de l’hôpital et ouvert sur l’extérieur. Tout le monde vient, patients, familles, visiteurs.» Elle donne ensuite la parole à Eric L., l’un des deux infirmiers qui le fait tourner : «On encourage nos gens à aller en ville, mais pour beaucoup, c’est angoissant. Le lien social est difficile. Ici, l’autre est moins menaçant, le contact plus évident. Une patiente dit souvent : “Il ne faut pas oublier que si on est à l’hôpital psychiatrique, c’est qu’on a voulu mourir.” Elle a raison. Tout ce qui relie à la vie, ces fils que nous tissons par le langage, par la relation aux autres, chez les patients, sont extrêmement fragiles.»

Eric B., un autre infirmier, témoigne : «La cafète, c’est parfois sans filet. Il n’y a pas de murs, de décisions collectives comme dans les services. On ne porte pas la blouse. Le seul en blouse ici, c’est un patient. Un infirmier la lui a offerte quand il est parti en retraite. » La conscience professionnelle de l’infirmier ne le quitte jamais. «Quand je rentre chez moi, le soir, je me refais ma journée : “Est-ce que j’ai bien fait ?”, “J’aurais plutôt dû dire ça”… raconte-t-il. C’est intense. Il faut avoir l’œil partout, sentir qui a besoin d’un mot d’apaisement, cerner les besoins, s’asseoir à côté des patients. Notre soin se niche dans les interstices.»

Des interstices dans lesquels s’est immiscé Frédéric Stucin. Comme pour prendre cette photo d’une jeune patiente, qui lui a tourné autour pendant six mois avant d’oser poser pour lui, parce qu’il se trouvait «dans les parages» «Je ne faisais évidemment les portraits que de ceux qui le souhaitaient. Cette jeune femme en avait très envie, mais ça n’a pas été immédiat», se souvient-il. Puis, un jour, elle s’est approchée et a joué le jeu devant le photographe, avec «sa fille» : c’est ainsi qu’elle désigne la poupée qui l’accompagne partout. Quand Frédéric Stucin est parti, «ça a été un grand vide», raconte Eric L. Selon l’infirmier, cette expérience «a eu autant d’impact sur les soignés que sur les soignants. Ça fait du bien, on perçoit des répercussions immédiates, et même à plus long terme».

Une deuxième exposition, plus intime

Tandis qu’à la Villa Pérochon, deux patients guident les visiteurs au sein de l’exposition officielle, à la P’tite Cafète, on s’affaire actuellement à monter une autre exposition. Les patients du pôle psychiatrie de l’hôpital s’appliquent à réaliser des cadres en carton autour des images de Frédéric Stucin. «Notre objectif, c’est de faire bien mieux que la Villa Pérochon», s’amuse Eric L., très enthousiaste à l’idée du vernissage, car, «à la P’tite Cafète, on ne fait pas semblant».

Voilà, une oasis le temps d’un café. De plus, le livre et l’exposition de Frédéric Stucin ont une autre vertu, indirecte. A l’heure où la psychiatrie publique n’a jamais été aussi mal traitée, que se multiplient des pratiques d’isolement et de contention dans ces lieux, ces photos ouvrent vers d’autres champs des possibles. Derrière ces lieux se cachent des visages aux voyages incertains.

Les Interstices, Filigranes éditions, 104 pp.

Exposition à la Villa Pérochon, centre d’art d’intérêt national (Niort), jusqu’au 3 septembre.


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