REPORTAGE Dans cet Etat du sud des Etats-Unis, l’interruption volontaire de grossesse est désormais interdite, même en cas de viol ou d’inceste.
Edith Romero ne s’attendait pas à tomber enceinte. Le mois de décembre 2021 venait de débuter. Elle avait pourtant pris la pilule du lendemain, après des rapports non protégés. La jeune femme, arrivée du Honduras à La Nouvelle-Orléans il y a onze ans grâce à une bourse d’études, connaît parfaitement les questions de reproduction. Elle travaille au sein d’une clinique gratuite, appelée Luke’s House, qui fournit des soins médicaux et un accompagnement aux plus fragiles. Son compagnon était resté dans son pays d’origine. Agée de 29 ans, Edith n’a pas hésité longtemps et a décidé d’avorter. « Si je n’avais pas eu accès à cette procédure, j’aurais un enfant que je n’étais pas prête à assumer physiquement, mentalement et financièrement », résume-t-elle. La salle d’attente de la clinique spécialisée était pleine à craquer. Il a fallu revenir deux fois et repasser devant les manifestants, dehors, qui conseillaient à Edith d’adopter Jésus et de renoncer.
Sept mois plus tard, et après dix jours de répit entre deux décisions judiciaires contradictoires, cette clinique a fermé ses portes. Comme les deux autres en Louisiane, situées à Baton Rouge et à Shreveport. Il faudra dorénavant se rendre dans un autre Etat, à des centaines de kilomètres, pour subir une interruption volontaire de grossesse. A condition d’avoir le temps et les moyens. « Des femmes vont souffrir, probablement mourir, dit Edith Romero. Les violences familiales vont augmenter, la pauvreté aussi, surtout dans les minorités latino et noire. Tout cela vient d’une vision rétrograde, antifemme, basée sur la religion. »
En renversant la décision historique Roe vs Wade (1973), le 24 juin, la Cour suprême a supprimé un droit constitutionnel, renvoyant aux Etats le soin de se prononcer sur la question de l’avortement. Une douzaine d’entre eux disposait déjà de législations prêtes à l’emploi, n’attendant que ce jour historique pour entrer en vigueur. C’est le cas de la Louisiane. La loi votée en 2006 interdit l’avortement sans aucune exception en cas de viol ou d’inceste, peu importe l’âge de la victime. Seules des circonstances extrêmes où la vie de la mère est en danger sont admises. Les élus de l’Etat ont même doublé la peine maximum prévue pour ceux qui pratiquent l’intervention, passée de cinq à dix ans de prison. Le recours à la télémédecine et à l’envoi de pilules abortives par la poste est également proscrit.
Les organisations de défense des droits reproductifs sont engagées dans une féroce bataille devant les tribunaux pour geler l’application de la loi, dont l’application et la portée demeurent floues. Des manifestations ont eu lieu, de faible envergure. Lors de la première, Schuyler Kean, 23 ans, a pleuré abondamment. Tout juste diplômée de la prestigieuse université de Princeton en anthropologie médicale, elle se sent « en colère et frustrée ». « Au moins, les conservateurs vous disent clairement qu’ils comptent vous priver de vos droits. Ici, les démocrates vous baisent. » Elle fait ainsi référence au gouverneur démocrate de Louisiane, John Bel Edwards, qui a signé la loi sur l’avortement.
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