par Chloé Pilorget-Rezzouk publié le 2 juin 2022
Cesser de faire de la prison la sanction référente, user des alternatives à la détention, développer le travail d’intérêt général… Et inscrire dans la loi la régulation carcérale, ce «système simple qui voit l’entrée de l’un en cellule compensée par la sortie – sous contrôle – d’un autre plus proche de sa fin de peine». Telles sont les préconisations, une nouvelle fois formulées, de Dominique Simonnot, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté(CGLPL), pour lutter contre la surpopulation endémique des prisons françaises. «Agir en ce sens est une urgence», écrit l’ex-chroniqueuse judiciaire de Libération, puis du Canard enchaîné, dans son rapport annuel dévoilé ce jeudi matin. Un document de 315 pages, qui aborde aussi la crise de la psychiatrie ou la rétention administrative des étrangers, et s’appuie sur les visites de contrôle menées en 2021 dans 124 établissements de privation de liberté dont 29 pénitentiaires.
Certes, le CGLPL a déjà maintes fois décrit et dénoncé les conséquences de cette surpopulation carcérale, pour laquelle la France a été récemment condamnée par la CEDH : conditions matérielles indignes, obstacles aux soins, aux activités et aux dispositifs de réinsertion, tensions accrues entre codétenus, entre détenus et surveillants… Cette fois, le rapport se teinte d’un regret majeur : celui d’avoir raté l’occasion inespérée d’entrer dans un processus durable de décroissance carcérale. Durant l’année 2020,une politique volontariste de désengorgement des prisons a en effet été activement mise en place par le gouvernement pour éviter une propagation du virus derrière les barreaux. Les prisons françaises abritaient alors moins de détenus qu’elles n’offraient de places. Dans certains établissements, le taux d’occupation était passé en deçà des 100 %. Tout un symbole.
1 800 détenus contraints de dormir à même le sol
Deux ans plus tard, le seuil des 70 000 est de nouveau dépassé. Au 1er mai 2022, les prisons françaises abritaient 71 038 personnes détenues, selon les dernières statistiques du ministère de la Justice, contre 65 384 l’an dernier. Soit une hausse de 8,6 %. Désormais, la densité carcérale moyenne s’élève à 117 % et plus de 1 800 détenus sont contraints de dormir sur des matelas à même le sol. Dans certains des 187 établissements du pays, on constate des pics encore plus élevés : quatre ont ainsi une densité supérieure ou égale à 200 % et 42 une densité supérieure ou égale à 150 %. Concrètement : des cellules partagées à deux, voire à trois. A la maison d’arrêt de Toulouse, où un taux d’occupation de 187 % a été atteint, la contrôleure générale a dû faire des recommandations en urgence, à l’été 2021, en raison «d’atteintes graves aux droits fondamentaux». Dans certaines cellules, «l’espace personnel d’un détenu est de 1,28 m², espace sanitaire et emprise du mobilier déduits», pointe le rapport.
«Quel retour à la vie «normale», peut-on attendre de personnes qui, en prison, ont été entassées à trois dans 4,40 m2 d’espace vital, durant des mois, et souvent 22 heures sur 24, au milieu de rats, cafards et punaises de lit ? »
— Extrait du rapport annuel de la CGLPL
«Sans obligation légale, aucune régulation carcérale ne pourra venir à bout d’une surpopulation structurelle et profondément ancrée», déplore Dominique Simonnot, qui renouvelle donc «avec insistance», dans la lignée de sa prédécesseure Adeline Hazan, la préconisation d’inscrire dans la loi «l’interdiction générale d’héberger des personnes détenues sur des matelas au sol et la création d’un dispositif de régulation carcérale instituant, dans chaque juridiction, un examen périodique de la situation de la population pénale afin de veiller à ce que le taux d’occupation d’un établissement ne dépasse jamais 100 %». Une dynamique qui ne peut reposer sur la pénitentiaire seule et doit s’appuyer sur «l’ensemble de la chaîne pénale», plaide la CGLPL, encourageant notamment les juges à se saisir des peines alternatives.
Car au-delà de l’indignité qu’elle engendre, la surpopulation carcérale vient aussi mettre en échec le rôle de la sanction, en ce sens qu’elle dénature le sens de la peine de prison, comme le souligne l’avant-propos : «Quel retour à la vie «normale» peut-on attendre de personnes qui, en prison, ont été entassées à trois dans 4,40 m² d’espace vital, durant des mois, et souvent 22 heures sur 24, au milieu de rats, cafards et punaises de lit ? Assurément, elles ne reviendront pas meilleures, tant les conditions de détention influent forcément sur leur état à la sortie. Et, à 110 euros la journée de prison, c’est bien cher pour fabriquer de la récidive.»
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