par Eric Favereau publié le 31 mai 2022
C’est quoi vieillir ? La vieillesse est-elle une identité ? Que pensent les vieux de la médicalisation de leur âge ? Veulent-ils s’en prémunir ou bien est-ce pour eux une façon de bien vieillir que d’être entourés de médecins ? Ce sont à ces questions que répond une enquête inédite, réalisée par le Centre d’éthique clinique de Cochin et l’association Vieux et chez soi (lire l’intégralité sur le site VIF-fragiles). Une enquête qui casse les clichés et montre l’urgence d’écouter les vieux pour comprendre ce qu’ils vivent et ce qu’ils souhaitent.
Ce travail est d’autant plus novateur qu’il repose sur plus d’une centaine de longs entretiens. Avec un objet précis : tenter de disséquer ce moment très particulier où la personne âgée commence à perdre de son autonomie et se rend compte qu’elle ne pourra plus vivre seule. «Nous avons appelé ce moment la bascule»,expliquent Véronique Fournier et Nicolas Foureur, les auteurs de l’étude. Qu’est-ce qui se joue ? Est-ce que la personne anticipe ce moment ? Que disent les proches ? Les médecins ? Peut-on prévenir cette bascule ? Pour tenter d’y répondre, les enquêteurs ont donc rencontré des personnes vivant encore chez elles et ayant refusé jusque-là l’institutionnalisation. «En décembre 2021, la population suivie était de 100 personnes, dont 58 avaient déjà été vues deux fois et 20 plus de deux fois ; 56 habitaient Paris, 12 en Ile-de-France en dehors de Paris, 12 dans des villes de province, 20 en milieu rural. 75% étaient des femmes, l’âge moyen des personnes incluses était de 89,5 ans ; 65% vivaient seules, 16% en couple et 19% avec quelqu’un d’autre. Dans l’ensemble, ces vieux et vieilles étaient encore autonomes.»
«Menace de la dépendance»
Les résultats de ces entretiens sont surprenants. Et vont à l’encontre des idées de départ : dans la grande vieillesse, il n’y a pas un moment de rupture où tout bascule. «Les vieux et vieilles que nous avons rencontrés ont déconstruit notre concept de bascule. Pour eux, on peut être un jour à la bascule et le lendemain ne plus y être. En tout cas, si l’on y est, on fait tout pour en sortir. C’est un risque, mais sur lequel ils ne souhaitent pas s’appesantir, et ils ne veulent pas l’anticiper. C’est la condition sine qua non pour continuer de vivre bien. Les vieux refusent de se laisser envahir par la crainte de la bascule», écrivent ainsi les auteurs. De ce constat, il ressort un lien particulier avec la médecine. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les vieux interrogés parlent peu de leur santé, de leurs maladies. Elle est présente, mais ils considèrent que ce n’est pas intéressant ; ce ne sont pas des malades, ils ne veulent pas se projeter et, s’il leur arrive quelque chose, «ils feront avec, mais ce n’est pas la peine de s’en soucier avant, les choses arrivent toujours différemment de ce que l’on avait imaginé». Ou encore : «La médicalisation ? Ils font ce qu’il y a à faire pour se soigner, mais ils tiennent le plus possible la médecine à distance, en refusant là aussi de se laisser envahir par elle».
En d’autres termes, si la santé est une occupation, elle n’est pas une préoccupation. «Ce qui les inquiète, c’est la menace de la dépendance.» Quant à la nécessité de devoir aller un jour en Ehpad, «c’est certes une crainte, mais, là encore, les personnes que nous avons rencontrées sont moins définitives qu’on aurait pu s’y attendre. Beaucoup disent : “J’’irais s’il le faut…”» Elles se disent en somme prêtes à s’y résoudre, «le jour où il le faudra». Elles acceptent cette idée, notamment «pour rassurer, ou surtout soulager leurs enfants». Sur ce point, contrairement aux clichés qui voudraient que les enfants poussent à l’institutionnalisation de leurs parents, dans l’étude «les enfants sont le plus souvent vécus comme protecteurs et prêts à défendre les choix des parents contre les services sociaux et /ou médicaux plutôt que l’inverse».
«Continuer leur vie d’avant»
Enfin, sur la fin de vie, là aussi les vieux interrogés ne s’y attardent pas. Ils ne souhaitent «ni l’anticiper, ni y penser, ni en parler». Et ce constat : «Alors que ce sujet était systématiquement abordé par les chercheurs, très peu de nos enquêtés se sont saisis de l’occasion pour entamer la discussion.» Là encore, ils ne veulent pas anticiper. Comme si on continuait à cet âge de faire le même pari sur la vie qu’à tout âge. Comme s’il était essentiel pour continuer de vivre bien de ne pas être obsédé par la mort. Seulement 25% d’entre eux, ainsi, disent ainsi avoir écrit des directives anticipées ou avoir désigné une personne de confiance.
Globalement, de cette centaine d’entretiens, deux idées s’imposent : «Les personnes âgées, voire très âgées, veulent continuer leur vie d’avant. Et cela au plus près de ce qu’elle était.» Elles souhaitent «rester en lien socialement, surtout avec des personnes de leur génération, parce que c’est ce qui permet le mieux de continuer de se sentir appartenir à la société et au monde». Très clairement, elles ne se définissent pas comme vieilles. Et elles ne se ressemblent pas toutes. Ainsi, les auteurs de cette recherche ont tenté de caractériser les personnes qu’elles ont rencontrées «en fonction d’un élément dominant autour duquel elles organisent leur vie au moment de nos rencontres». Quatre catégories émergent ; il y a ceux ou celles qui ne changent pas, «pour qui la vieillesse ne semble pas avoir de prise». Il y a ceux ou celles pour qui le mot-clé est «autonomie», rester indépendante est leur obsession. Celles pour qui le mot-clé est «relation», avec une volonté de maintenir le contact avec les autres. Enfin, celles qui n’y croient plus, c’est presque fini, elles sont dans le retrait et elles attendent que la vie se termine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire