Marta de Andrés Publié le 30 mai 2022
Des listes d’attente interminables pour se faire opérer ou pour consulter, l’épuisement des soignants après la pandémie, les politiques pointées du doigt : le système de santé publique espagnol est dans un état critique, s’alarme ce quotidien très conservateur.
L’une des choses qui empêchent le plus d’évoluer est l’aveuglement. Combien de fois a-t-on entendu, de la bouche d’un politique, que notre système de santé – public, universel et gratuit – était un exemple pour le reste du monde ? Très souvent, à coup sûr. Eh bien ! sachez-le, ce n’est plus vrai.
Évoquer un passé glorieux ne change rien à la situation actuelle : au 31 décembre, selon le ministère de la Santé espagnol, 706 740 patients étaient sur liste d’attente pour une opération chirurgicale. Et cela sans compter les listes d’attente préalables pour entrer dans la liste définitive en vue de subir des examens ou d’accéder à une consultation avec un spécialiste.
Plus de 140 000 personnes attendent plus de six mois pour des opérations qui peuvent leur sauver la vie. “Le pire chiffre depuis vingt ans que nous tenons ce registre, souligne Juan Abarca, président de l’Institut pour le développement et l’intégration de la santé. La liste d’attente éternelle est devenue la norme sans qu’on y prenne garde, mais elle n’en est pas moins un signe de l’indigence dans laquelle se trouve notre Système national de santé (SNS).”
“Même s’il existe des différences importantes entre régions autonomes [compétentes en matière de santé publique], le problème des listes d’attente est national, structurel et très ancien, explique Ignacio Riesgo, expert en santé auprès de la société de conseil Roland Berger. De telles situations sont plus fréquentes dans des pays qui possèdent un système de type SNS – sans ticket modérateur ou avec un faible ticket modérateur et des limitations de capacité. Pour autant, elles ne sont pas liées aux systèmes publics d’accès universel. Beaucoup de pays ont ce système et n’ont pas de problèmes de listes d’attente, comme la Suisse, l’Allemagne, la France, la Belgique ou le Japon.”
Un “stress constant” post-Covid
Experts et analystes s’accordent à dire que la pandémie a laissé le SNS espagnol exsangue, le menant à un point de non-retour. La seule solution pour le sauver est de prendre des décisions d’en haut, émanant du pouvoir politique.
“Nous laissons derrière nous un état de stress constant dû à la pandémie. Cette crise a exigé des décisions improvisées qui ont déstabilisé notre système de soins”, ajoute Rafael Bengoa, ancien ministre de la Santé et de la consommation du gouvernement autonome basque et ex-directeur des Systèmes de santé au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). “Le plus grave, poursuit-il, c’est le possible exode des professionnels de santé vers le secteur privé, même si j’estime que nous avons encore le temps et beaucoup de volonté pour stabiliser le système.”
Cet ancien conseiller du président américain Obama en matière de santé confirme que c’est le système public qui a sauvé notre pays de la plus grande crise de son histoire récente. Il estime que le défi actuel dépasse les questions idéologiques. Sans investissement, les services continueront à se dégrader.
Il prend un exemple : “Nous sommes inefficaces dans la gestion des patients atteints de maladies chroniques. Si un diabétique se présente aux urgences en Espagne, c’est que nous n’avons pas fait les choses comme nous aurions dû les faire. Il faut renforcer les soins primaires, l’assistance à domicile, l’éducation à la santé. Si l’on agit ainsi, les patients n’auront plus de raison d’encombrer les urgences, ce qui est de loin l’élément le plus coûteux du système.”
Appel à la mobilisation des patients
Depuis dix ans, tous les projets mis en œuvre pour réduire les listes d’attente ont ceci en commun qu’aucun n’a fonctionné. Juan Abarca en appelle à la mobilisation de tous. “J’espère qu’il y aura une fronde des patients, lance-t-il, qu’ils descendront dans la rue pour défendre notre bien le plus précieux en tant que société, sans lequel la cohésion sociale n’est pas possible. C’est peut-être le seul moyen.”
Il rappelle aussi l’échec d’un décret royal de 2011, qui fixait les critères permettant de garantir un temps maximal d’accès aux prestations sanitaires du SNS, afin que, pour les pathologies les plus fréquentes, on puisse trouver des solutions effectives à partir de 180 jours. “On en est restés là, le décret n’a jamais été appliqué”, déplore Abarca.
De fait, c’est l’une des pistes que privilégie le Consensus pour un système de santé du XXIe siècle, élaboré en 2020 par un groupe de travail indépendant, sous la direction d’Ignacio Riesgo. Ce document propose d’autres solutions pour mettre fin au fléau des listes d’attente : un accord sur des critères d’inclusion – conclu avec les sociétés scientifiques du pays –, la mise en place d’incitations pour le système public, l’accréditation de centres privés en rapport avec les différents types d’activités, qui, une fois le délai d’attente dépassé, pourraient prendre en charge le patient.
Une réforme en salle d’attente
Mais on ne progressera pas sur ce dossier sans écouter les professionnels de santé. Tomás Cobo, président de l’Organisation médicale collégiale (OMC), expliquait récemment – dans le cadre de l’une des nombreuses délégations de la profession devant le Congrès des députés espagnols – la raison principale pour laquelle on piétine :
“Le ministère de la Santé doit intervenir, il ne peut pas rester simple spectateur. C’est un problème de cohérence, il y a 17 services de santé en Espagne [un par région autonome], et le gouvernement a pour responsabilité d’être aux commandes.”
Le ministère de la Santé espagnol prépare actuellement un avant-projet de loi de mesures pour l’équité, l’universalité et la cohésion du Système national de santé. Ce sera l’occasion de s’attaquer aux problèmes.
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