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mardi 17 mai 2022

Universités et entreprises tendent la main aux jeunes Asperger

Par   Publié le 17 mai 2022

Des dispositifs sont mis en place pour améliorer l’inclusion dans l’enseignement supérieur ou dans le monde du travail des jeunes auxquels on a diagnostiqué une forme d’autisme. Autre enjeu : combattre les stéréotypes qui collent à la peau des « aspies ».

Bac ES mention bien en poche, Brayane, 21 ans, a validé en temps et en heure un DUT « multimédia » à l’université de Toulouse-III. Et, en septembre, après avoir obtenu sa licence professionnelle en infographie et audiovisuel, « ce sera un master dans une grande école de cinéma d’animation ! », lance-t-il, enthousiaste et confiant en l’avenir. Brayane est un étudiant comme un autre… à cela près qu’on lui a diagnostiqué à ses 11 ans un trouble du spectre autistique (TSA), appellation regroupant toutes les formes d’autisme, la sienne étant « assez légère ».

Dans sa vie personnelle comme dans les stages qu’il multiplie, ce trouble passe souvent pour de la « grande timidité ». Bryane explique devoir faire un effort démesuré pour « regarder dans les yeux » ses interlocuteurs, avoir du mal « à aller vers les autres », à faire face à l’imprévu. Mais, surtout, comme nombre d’autistes, à saisir dans les conversations l’implicite, le second degré et les « codes » sociaux tacitesEn formation comme en milieu professionnel, il a besoin de recevoir des consignes très claires, de préférence par écrit, « pour trier les informations, ne pas se perdre dans les détails et être moins lent ». Autant de difficultés qui auraient peut-être été indépassables sans l’aide du dispositif Aspie-Friendly (« aspie » étant un diminutif pour qualifier une personne Asperger).

Lancé en 2018, le projet Construire une université Aspie-Friendly s’inscrit dans le sillon du rapport du philosophe – et autiste — Josef Schovanec, publié en 2017, qui appelait notamment à « faciliter l’inclusion professionnelle des personnes autistes », 75 % à 95 % d’entre elles étant sans emploi, selon les estimations. Ce dispositif prévoit de faciliter leur intégration dans un enseignement supérieur qui leur est encore peu ouvert, malgré l’amélioration de leur scolarisation depuis la loi de 2005 sur l’inclusion à l’école des élèves en situation de handicap.

Aménagements pédagogiques

A ce jour, vingt-cinq universités participent au projet pour quelque 500 étudiants autistes accompagnés, sur le petit millier présent officiellement dans ces établissements, d’après les statistiques du ministère de l’enseignement supérieur. Ces chiffres vont croissant chaque année. Mais ils restent une « paille » au regard des 700 000 Français ayant des troubles autistiques, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Au moins la moitié d’entre eux, qu’on a longtemps désignés comme « autistes de haut niveau » ou « Asperger », n’ont aucune déficience intellectuelle ni retard de langage, mais éprouvent des difficultés dans la communication et les interactions sociales.

Dans les établissements participants, des aménagements pédagogiques sont mis en place, afin de « prendre en compte leurs particularités, comme l’hypersensibilité sensorielle, et faciliter leur scolarité », résume Bertrand Monthubert, ancien président de l’université Toulouse-III et coordinateur de ce projet national porté par l’Université de Toulouse. Le programme propose aussi des ateliers d’aide, des espaces d’échanges entre étudiants autistes (cafés Asperger). Mais, surtout, « des formations spécifiques à l’autisme pour les enseignants, les étudiants, et les entreprises partenaires », à l’image de la série documentaire Aspie-Friendly, sortie en février, qui fait découvrir à chacun les TSA de manière pédagogique.

« Notre rôle est de redonner confiance à ces jeunes en les aidant à apprivoiser certains codes sociaux trop implicites pour eux, et en leur apprenant à présenter auprès de potentiels employeurs leur différence comme une chance », explique Fabyenne Borloz, référente Aspie-Friendly à Toulouse-III.

Elle propose à la centaine d’étudiants autistes qu’elle accompagne des « ateliers de communication et d’interaction sociale » et des simulations d’entretiens professionnels. Les étudiants y apprennent à mieux comprendre le fonctionnement des personnes « neurotypiques » (par opposition à celles neurologiquement « atypiques », comme les autistes), les mécanismes des interactions sociales, du dialogue, de l’expression des émotions, etc. En fin de cursus, les référents insertion d’Aspie-Friendly interviennent dans les entreprises pour expliquer aux professionnels le « mode d’emploi », en quelque sorte, des étudiants autistes qui vont venir frapper à leurs portes, ainsi que les adaptations de postes dont ils peuvent avoir besoin.

D’abord « de la bienveillance »

Faute de ce travail d’intermédiation, les candidats « aspies » peuvent, dès l’entretien d’embauche, être mis en difficulté. Les questions larges du type « quels sont vos défauts ? » ou « parlez-moi de vous » peuvent constituer des pièges pour ces jeunes. La démarche de recrutement fait en effet appel à « des règles informelles, des stratégies de communication et un jeu de rôle presque théâtral : autant d’éléments antinomiques avec leur fonctionnement », note Julien Davadant, « jobcoach » et fondateur d’Astypic. Cette entreprise, à laquelle font notamment appel des formations du supérieur, accompagne les personnes autistes dans leur insertion professionnelle, et les entreprises dans les phases de recrutement, d’adaptation de postes et de suivi dans l’emploi. « Chaque autisme est différent. Il n’y a donc pas de process clé en main pour intégrer ces jeunes porteurs de TSA. Les entreprises doivent donc acquérir d’abord de l’information, puis de la souplesse », commente le spécialiste.

« Un salarié en fauteuil roulant, on sait qu’il lui faut une rampe d’accès. Pour une personne comme moi atteinte du syndrome d’Asperger, c’est plus compliqué. Il n’y a pas de guide d’aménagement, il faut surtout… de la bienveillance », renchérit François, 27 ans. Cet ingénieur récemment diplômé en génie climatique à l’INSA de Toulouse multiplie les candidatures depuis plusieurs mois. Parmi les aménagements qu’il demande « pour travailler comme tout le monde » figure un bureau isolé ou un casque antibruit pour faire face à son hypersensibilité auditive, une flexibilité sur les horaires car il est plus efficace en fin de journée, un jour de télétravail, mais aussi des « feedbacks réguliers » ou encore des « consignes écrites ». Rien de bien compliqué, en somme, « mais par peur de mal faire, des entreprises, même bienveillantes, préfèrent souvent ne pas s’engager avec des personnes Asperger », résume-t-il. D’où la nécessité de faire appel à des intermédiaires pour sensibiliser les professionnels à ces troubles autistiques : une démarche facilitée par le déploiement du dispositif d’emploi accompagné lancé en 2017.

« Dans la mesure où leur handicap est invisible, des incompréhensions peuvent parfois apparaître en raison de la franchise naturelle, sans filtre, qui caractérise souvent les autistes. Rien de grave, il faut simplement être au courant », sourit Stéphanie Fouquet, d’Asperteam, une autre entreprise de coaching à destination des autistes. Comme d’autres, elle tient à dire que les adaptations mises en place pour les employés autistes (aménagement de l’environnement de travail pour qu’il soit moins agressif, consignes claires, tâches précises, souplesse dans l’organisation de la journée, etc. ) « améliorent pour tous les employés la qualité de vie au travail ». C’est, selon elle, l’une des raisons pour lesquelles les entreprises recherchent « un peu plus que par le passé » ces profils.

« Ils ouvrent à la différence »

Poussés par l’obligation légale d’employer 6 % de travailleurs handicapés dans les entreprises de plus de vingt salariés, les employeurs, qui ont souvent du mal à atteindre cet objectif, « draguent » en effet de plus en plus ces jeunes. « On recherche des bac + 2, bac + 3 ou 5, et le monde du handicap ne propose pas beaucoup ces profils », concède Magali Fabre, directrice diversité chez CGI, multinationale de conseil en technologies de l’information habituée à accueillir des autistes. « Outre leurs compétences professionnelles, ces jeunes questionnent les normes de l’entreprise, les habitudes des uns ou des autres, ils ouvrent à la différence. C’est précieux dans une équipe », ajoute-t-elle.

Ainsi, pour les entreprises, embaucher un jeune porteur de TSA permet donc de promouvoir une culture d’entreprise vertueuse, tout en misant sur la richesse de certaines compétences neurologiques propres aux autistes. Alors que les neurotypiques ont une pensée « globale » ou « conceptuelle » qui les fait appréhender les situations dans leur ensemble avant d’en repérer les détails, « les autistes se focalisent d’abord sur les détails, qu’ils perçoivent beaucoup mieux que nous, pour ensuite envisager l’ensemble », analyse Christel Cayet, responsable mission handicap chez Capgemini Engineering, société de conseil en ingénierie qui recrute régulièrement des Asperger. Cette compétence est « évidemment bienvenue, en informatique notamment, où les TSA peuvent par exemple repérer en quelques minutes une erreur dans du code, là où d’autres collègues y passent un temps fou », illustre-t-elle.

Dans les sensibilisations qu’elle fait auprès des équipes avant l’arrivée d’un jeune porteur de trouble autistique, Christel Cayet s’attache à faire tomber rapidement le cliché de l’autiste « petit génie en informatique » : « Il y a autant de petits génies chez les autistes que dans la population générale. Et tous les “aspies” n’ont pas envie de faire de l’informatique. »

Image déformée

La précision mérite d’être apportée, car, si la rigueur, le souci du détail, les capacités de mémorisation et de concentration des autistes s’acclimatent assez bien dans le secteur de l’informatique, les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur montrent une relative diversité dans les filières choisies par les étudiants porteurs de TSA : lettres, sciences humaines, droit, sciences « dures », etc.

Ce stéréotype sur les « aspie » et l’informatique colle pourtant à la peau et à l’horizon professionnel des jeunes autistes. « Parfois, ces derniers l’intègrent malgré eux, ce qui peut créer des désenchantements au moment de la découverte de ces métiers », explique Julien Meseangeau, responsable du master Ecosim à la Sorbonne Nouvelle, adapté aux porteurs d’autisme. Une image déformée « alimentée par le cinéma et les fictions qui associent souvent “autisme”, “génie” et “crack” en informatique ». N’y sont pas pour rien non plus les entreprises de la tech américaine qui embauchent, à grand renfort de communication, des autistes dans leur équipe pour « disrupter » leur fonctionnement et répondre à un fort besoin de main-d’œuvre.

Cette vision globalisante n’est pas totalement éloignée de celle qui avait incité en 2019 Grenoble Ecole de management à lancer une formation en data sciences spécifiquement destinée aux AspergerAlors que la deuxième promotion sortira en 2023, l’école indique vouloir « marquer une pause » dans les recrutements d’élèves autistes pour faire évoluer ou arrêter cette formation « malgré son succès », explique Karim Benameur, le directeur du programme. En cause : un questionnement sur la philosophie initiale « plus protectrice qu’inclusive » de ce cursus qui réunit des autistes entre eux seulement, contrairement à la logique du dispositif universitaire Aspie-Friendly. « On doit aussi se demander ce qu’on peut faire pour tous les jeunes Asperger qui n’ont pas d’appétences pour les métiers de l’informatique. Ils ne doivent pas se spécialiser dans ce secteur par défaut », poursuit Karim BenameurFrançois, le jeune ingénieur en recherche d’emploi, le dit d’une autre manière : « Les personnes ayant le syndrome d’Asperger ont droit, elles aussi, de pouvoir choisir leur vie et leur secteur professionnel. »


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