par Katia Dansoko Touré publié le 18 mai 2022
Mardi, le Conseil des ministres espagnol a validé un avant-projet de loi, rédigé par le ministère de l’Egalité, qui prévoit que les femmes actives auront la possibilité de prendre un congé sans durée limitée en cas de dysménorrhée, autrement dit, en cas de règles douloureuses. Il s’agira d’une autorisation d’absence spécifique, signée par le médecin traitant, à présenter à son entreprise. «Nous allons être le premier pays d’Europe à instaurer un arrêt maladie temporaire financé intégralement par l’État pour des règles douloureuses et invalidantes», s’est félicitée la ministre de l’Egalité, Irene Montero. Et d’ajouter : «Les règles ne seront plus taboues. C’en est fini d’aller au travail en se gavant de comprimés et de cacher notre douleur.» Irene Moreno est l’une des chefs de file du parti de gauche radicale Podemos, partenaire du parti socialiste du Premier ministre, Pedro Sánchez, au sein du gouvernement de coalition. Cette mesure sur le congé menstruel faisait partie du programme progressiste de Sánchez.
Le texte de cinquante pages prévoit également la suppression totale de la TVA pour les produits d’hygiène féminine, le renforcement de l’accès à l’IVG dans les hôpitaux publics mais aussi la possibilité, pour les mineurs, d’avorter sans l’autorisation de leurs parents, dès l’âge de 16 ans. «Voilà que l’Espagne se place à l’avant-garde des pays occidentaux en matière de santé menstruelle», se réjouit la journaliste María G. Zornoza sur le site d’infos espagnol Público.Faut-il encore que la mesure soit adoptée par le Parlement – où les députés socialistes et de gauche radicale restent minoritaires.
A la discrétion des entreprises
Le congé menstruel a déjà été instauré dans plusieurs pays (et plus ou moins bien respecté par les employeurs) : au Japon, précurseur, dès 1947, avec le «congé physiologique» – même si les Japonaises sont rares à faire usage de ce droit soumis à l’arbitrage des entreprises –, en Corée du Sud et en Zambie (un jour par mois), en Indonésie (un ou deux jours par mois), à Taïwan (trois jours par an).
En Italie, en mars 2017, un projet de loi pour autoriser les salariées à prendre trois jours de congés payés par mois en cas de fortes douleurs, avait été déposé par quatre élues du Parti démocrate avant que le Parlement ne vote contre et que le texte ne tombe dans l’oubli. «Notre projet de loi n’a plus été discuté. C’est peut-être le moment de réessayer ici aussi. C’est pourquoi j’ai l’intention de déposer un nouveau texte actualisé dès que possible. Et puis, entre-temps, le Parlement est allé un peu plus loin en légiférant sur l’endométriose et d’autres maladies invalidantes», a commenté la sénatrice libérale Daniela Sbrollini, l’une des premières signataires du texte, dans le Marie-Claire italien mardi.
En France, le droit à un congé menstruel n’est, pour l’heure, pas garanti par la loi. Lorsqu’il est instauré, c’est à la discrétion des entreprises. Par exemple, depuis janvier 2021, à Montpellier, les salariées de la société coopérative la Collective souffrant de règles douloureuses peuvent poser un jour. Et cela, sans avoir à se justifier. A Toulouse, au sein de la start-up Louis qui fabrique du mobilier écoresponsable pour bureaux, il est proposé aux salariées de prendre un jour de congé menstruel, qui peut aussi être décliné en jour de télétravail, une fois par mois.
Risque de stigmatisation
Des initiatives que connaît bien l’association Règles élémentaires, qui lutte contre la précarité menstruelle. Elle a déjà été sollicitée, sur la question de la santé menstruelle, par ces deux entreprises : «Sur le fond, nous souhaitons que la santé menstruelle soit prise en charge au sein des entreprises et que ces dernières se montrent proactives et positives sur cette question. Les règles ont des conséquences directes dans la vie des femmes : il y a les douleurs mais aussi des pathologies handicapantes comme l’endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques», explique la directrice de la communication et de la sensibilisation de l’association, Laury Gaube.
Mais le principe d’un congé menstruel ne fait pas l’unanimité au sein de l’association. Laury Gaube : «On se demande si le congé menstruel est la solution la plus adaptée. Si cette loi est définitivement adoptée en Espagne, on pourra se pencher sur ses résultats concrets mais aussi sur ses contraintes et ses limites. Car une telle mesure pourrait entraîner des discriminations à l’embauche des femmes.» Interrogée par France Info au début du mois de mai, la porte-parole d’Osez le féminisme, Fabienne El-Khoury, jugeait aussi que le congé menstruel était «une fausse bonne idée» et qu’il pourrait conduire à la stigmatisation des femmes au travail.
Un sondage Ifop de mars 2021, mené auprès d’un échantillon de 1 009 Françaises âgées de 15 à 49 ans, dévoilait que 68 % d’entre elles étaient favorables au congé menstruel. En Espagne, la Première vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Economie, la socialiste Nadia Calviño, avait promis, le 12 mai dernier, dans les colonnes d’El País : «Jamais ce gouvernement ne va adopter une mesure qui stigmatise les femmes».
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