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Romain Duris, Bérénice Bejo et Simone Hazanavicius dans le film “Coupez !”. © Lisa Ritaine/pan-europeenne.com
Mardi soir, pour l’ouverture de la 75e édition du festival de Cannes, était projeté le nouveau film de Michel Hazanavicius. Porté par les acteurs Romain Duris, Bérénice Bejo et Finnegan Oldfield, Coupez ! est également sorti en salle mercredi 18 mai. Après The Artist (2011), The Search (2014) et Le Redoutable (2017), le cinéaste revient donc avec une comédie sous forme de pastiche d’une série Z. Dans cette comédie potache inspirée d’un film amateur japonais de fin d’études (Ne coupez pas ! de Shin’ichirô Ueda), de véritables zombies viennent perturber un tournage de film… sur les zombies. Une mise en abîme du cinéma par lui-même à travers la figure du zombie, qui interroge nos propres peurs.
Les zombies ou le trouble dans le réel
Tout commence avec un plan-séquence de ce qui a tout l’apparence d’être un nanar. Le scénario se veut simple et efficace : un tournage de film d’horreur est perturbé par l’apparition soudaine de véritables morts-vivants. Seul le piètre réalisateur Rémi (Romain Duris) semble voir un intérêt à la chose – pour sa propre carrière de cinéaste ! Adepte du pastiche du cinéma au cinéma (La Classe américaine, The Artist, la série de films OSS 117…), Michel Hazanavicius détourne les codes des films de zombie pour nous offrir une comédie divertissante sur fond de mise en abîme du cinéma. Si le film est particulièrement mordant, c’est qu’il nous prend à partie sur notre goût pour l’horreur au cinéma. Surtout, par ce procédé de regard sur lui-même, il révèle un élément fondamental du fantastique, auquel se rattache l’épouvante : le trouble dans le réel.
D’après le sémiologue, critique et essayiste Tzvetan Todorov, le fantastique se définit par l’introduction de l’illogique dans la logique du réel : « Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’évènement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination, et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’évènement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. » (Introduction à la littérature fantastique, 1970)
À la différence du merveilleux (qu’il soit hyperbolique, exotique ou instrumental), le fantastique, auquel se rattache l’horreur, brouille les frontières du réel : « Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel. »Tout le film, qui prend la forme d’un triptyque astucieux (le film en lui-même, sa préparation puis ses coulisses), s’amuse de ce trouble chez le spectateur où il est baladé par une histoire rocambolesque de bout en bout.
Les zombies ou la revanche des anciens vivants
Pourquoi les films de zombies nous font-ils peur ? Peut-être est-ce, au-delà de leur aspect repoussant et de leur dangerosité, parce qu’ils entretiennent un rapport intime avec notre propre finitude. Le célèbre texte L’Inquiétante étrangeté (1919) de Freud peut faire écho à la figure du zombie. Il écrit en effet qu’« étant donné que la quasi-totalité d’entre nous pense encore sur ce point comme les sauvages, il n’est pas étonnant que la peur primitive du mort soit encore chez nous si puissante, et qu’elle soit prête à se manifester dès qu’une chose quelconque vient au-devant d’elle ». Le zombie, en tant qu’ancien être vivant qui reviendrait à la surface de la terre pour y perturber le cours naturel des choses, est la manifestation de notre propre mortalité. Comme la mort, le zombie menace tout être vivant : dès qu’il s’attaque à une proie, cette dernière devient elle-même zombie.
Cette « inquiétante étrangeté » n’est pas nouvelle et viendrait d’un fantasme archaïque où le mort hante le vivant pour l’y ramener. Pour rappel, la figure du zombie est née avec l’univers de la sorcellerie vaudou d’Haïti et des Antilles. En créole haïtien, « zonbi » signifie « esprit » ou « revenant ». C’est une personne vivante à laquelle le sorcier fait ingurgiter une drogue hypnotique (le « coup poudre », à base de tétrodotoxine), qu’il enterre ensuite pendant 24 heures, avant de le déterrer pour faire croire à ses pouvoirs de résurrection et le réduire en esclavage. En ce sens, le zombie constitue aussi une figure de déshumanisation : dans Coupez !, le personnage de Ken (Finnegan Oldfield) s’exclame : « Les zombies n’ont pas de volonté […]Les zombies, c’est la déshumanisation et ça terrifie le spectateur ! »
Les zombies ou la catharsis de la catastrophe
Inscrit au plus profond de la psyché humaine, le zombie est aussi une figure mythologique contemporaine qui charrie une certaine idée du temps présent. Dans L’Anti-Œdipe (1972), Gilles Deleuze et Félix Guattari écrivent que « le seul mythe moderne est celui du zombie ». Rien que dans la culture populaire et audiovisuelle, les films de zombies sont légions (la série The Walking Dead, les longs métrages World War Z ou The Dead Don’t Die… pour ne citer que ces productions récentes). Pourquoi un tel attrait pour les zombies ? Sans doute les zombies nous ramènent-ils à nos propres angoisses contemporaines. Que l’on pense à la crise sociale ou écologique que le monde traverse actuellement, les zombies représentent de manière générique, et donc universelle, cette menace qui plane sur l’humanité : une apocalypse. Rémi, le réalisateur du faux film-dans-le-film, encourage d’ailleurs son acteur en lui disant : « T’es une merde post-apocalyptique ! »
Le zombie a ceci de particulier et de puissant à la fois : il condense notre inquiétude métaphysique face à la mort mais également nos tourments quant aux diverses crises que nous traversons. Sur ce fond de terreur de fin du monde, et par des procédés faciles allant de l’humour scatophile au comique de répétition en passant par un détournement des codes du gore, Michel Hazanavicius nous fait rire et passer un moment agréable tout en surfant sur nos propres craintes. Ne serait-ce qu’en cela, Coupez ! est une gageure réussie.
Coupez !, de Michel Hazanavicius, avec Romain Duris, Bérénice Bejo, Simone Hazanavicius, Finnegan Oldfield, est actuellement en salle.
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