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jeudi 19 mai 2022

Covid-19 «Mon métier me manque» : quel avenir pour les soignants non vaccinés suspendus?

par Paul Arnould  publié le 19 mai 2022 

Huit mois après l’obligation vaccinale imposée à certaines professions, quelque 15 000 soignants réfractaires sont toujours dans l’attente de retrouver leur poste. Après avoir annoncé l’allégement des restrictions sanitaires, le gouvernement pourrait rapidement se saisir du sujet, houleux, qui avait alimenté les controverses à la rentrée dernière. 

Reviendront-ils ? Depuis quelques semaines, l’exécutif laisse planer le doute quant à la réinsertion des soignants non vaccinés, suspendus depuis le 15 septembre 2021. Cinq jours après sa réélection, Emmanuel Macron laissait la porte entrouverte à l’occasion d’un déplacement sur un marché de la commune de Barbazan-Debat dans les Hautes-Pyrénées : «Si ça continue de baisser [les cas de contamination par le coronavirus, ndlr] ces prochaines semaines, on ira dans cette direction.»

Pour le chef de l’Etat, la condition sine qua non à ce retour suppose la fin d’une «phase aiguë de l’épidémie». Depuis, les restrictions sanitaires se sont encore allégées. Lundi, l’obligation des masques dans les transports en commun a été levée. Face à la pénurie de personnel dans les services hospitaliers que regrettent la majorité des professionnels de santé, quid des non-vaccinés ? Faut-il les réintégrer, en ont-ils seulement envie ? Qui sont les soignants concernés ?

«L’espoir fait vivre», lancent certains professionnels, sur le carreau depuis leur refus de l’injection contre le Covid«Vous pensez vraiment que notre cher président va nous réintégrer, lui qui a fermé de plus en plus de lits chaque année ?» lâche une infirmière non vaccinée actuellement en congé maternité. «Mon métier me manque, avoue Bérénice (1), une autre infirmière dans un hôpital du nord de la France. J’ai eu de la chance d’avoir de l’argent de côté et de pouvoir vivre depuis ma suspension, mais je me demande si je ne vais pas finalement me faire vacciner.»

«J’ai retiré ma plaque, dit au revoir à mes patients»

Pour Jean-François Timsit, chef du service réanimation médicale et infectieuse à l’hôpital Bichat à Paris, le nombre de personnes sorties du système de santé est «anecdotique» et ne concerne qu’un ou deux soignants dans sa section. Il concède néanmoins que la question doit être abordée : «C’est une phase de la maladie très différente, même en étant triplement vacciné, comme moi, beaucoup n’ont pas échappé à la vague omicron. Il est peut-être temps de réfléchir à un système différent où on accepterait le retour de ces soignants.» Le ministère de la Santé évaluait en octobre à 0,6% le nombre de professionnels suspendus, soit environ 15 000 personnes. Depuis, le gouvernement estimait que deux tiers des soignants non vaccinés avaient franchi le pas de la vaccination. Difficile pourtant de connaître avec certitude le nombre exact de suspensions, car l’obligation vaccinale concerne un certain nombre de secteurs, parfois bien distincts des services hospitaliers.

C’est le cas d’Hélène (1), la cinquantaine, encore psychologue libérale il y a sept mois. Ne supportant plus d’être cataloguée complotiste, s’exprimer est devenu vital pour elle. «Ce n’est pas parce qu’on n’est pas vacciné qu’on ne peut pas être précautionneux et concerné, affirme-t-elle. Je ne pensais pas que cette obligation concernerait la psychologie libérale. En dix jours, j’ai retiré ma plaque, dit au revoir à des patients que je suivais pour certains depuis des années. C’est très brutal.»

Hélène assume son choix et assure avoir pris rendez-vous pour l’injection avant de se désister, au dernier moment : «Le matin je n’ai pas pu. J’ai une histoire difficile avec les effets indésirables des médicaments. C’était plus fort que moi, vous n’imaginez pas la puissance de ce qui nous empêche de faire quelque chose. Je me suis mise à pleurer, comprenant que je ne pourrais pas y aller.»Travaillant à son compte, Hélène s’est auto suspendue et a demandé à l’ARS (Agence régionale de santé) de lui envoyer son interdiction d’exercer. Elle a vite cherché un autre travail qu’elle a trouvé dans un rayon de supermarché. Aujourd’hui, elle avoue regarder «trois fois par jour sur internet les informations sur la réinsertion des soignants».

Comme Hélène, Françoise ne fait pas partie des soignants non vaccinés à qui l’on pense en premier lieu. Technicienne de l’intervention sociale et familiale, elle accompagne des familles, personnes âgées et handicapées ou en situation d’exclusion. L’association dont elle dépend exerce une partie de son activité dans des établissements médico-sociaux et se trouve donc régie par l’obligation vaccinale. Refusant l’injection car, selon elle, le manque de recul est évident sur ces «vaccins miracles», elle déplore cette position d’attente : «En mai je vais connaître ma deuxième suspension. J’ai contracté le Covid en janvier et j’ai pu retravailler quatre mois avec le certificat de rétablissement. Mais je ne peux pas vivre dans l’attente toute ma vie.»

Des plaintes au pénal

Pour faire entendre leur voix, des soignants ont même décidé de porter plainte au pénal. A Besançon (Doubs), ces dossiers sont entre les mains de maîtres Anne-Sylvie Grimbert et Fabien Stucklé. «Tous les jours nous recevons l’appel de personnes qui n’ont pas l’impression de commettre quelque chose de répréhensible, confie l’avocate. Les gens tombent des nues. Ils n’ont pas le droit à l’allocation chômage, certains n’ont pas accès au RSA et beaucoup ont fait comme l’avait dit monsieur Macron : traverser la rue pour trouver du boulot.»

Par-delà l’aspect financier, d’autres soignants racontent être écœurés par leur milieu. Jeune diplômée dans un service psychiatrique du Lot-et-Garonne, la pression de sa hiérarchie et de certains collègues à se faire vacciner ont poussé Louise à démissionner pour se reconvertir. Thierry, un soignant dans un foyer d’accueil médicalisé de la Côte-d’Or, est sur la même ligne : «J’ai été dégoûté de mon travail. Je n’y retournerai plus, je ne me vois plus travailler avec des personnes qui n’ont fait que me juger.»

L’évolution positive de l’épidémie entraînant la levée progressive des restrictions sanitaires a éclipsé le débat qui faisait rage à la rentrée 2021 entre les soignants non vaccinés – et largement minoritaires – et les autres, vaccinés par choix, obligation ou pour le bien commun, et qui depuis affrontent avec difficulté la situation saturée des hôpitaux. Le Dr Jérôme Marty, président du syndicat de l’Union française pour une médecine libre, est contre une possible réinsertion des soignants non vaccinés. «On ne peut pas accepter qu’ils exercent en faisant fi des recommandations de bonnes pratiques de leurs propres académies : Haute Autorité de santé, Académie [nationale] de médecine. […] Dans le cadre hospitalier, l’exercice est collectif et chacun ne peut pas avoir sa propre religion du soin.»

Ambiance pénible

Damien Barraud, réanimateur en première ligne contre l’épidémie foudroyante dans le Grand-Est, très touché lors des premières vagues, différencie «les gens qui ont eu peur» et les «antivax convaincus : les plus réfractaires à tout». Le médecin anesthésiste «n’a pas particulièrement envie de travailler avec des gens qui préfèrent croire Francis Lalanne et Fabrice Di Vizio [plutôt que lui]»et précise que les difficultés des hôpitaux n’ont rien à voir avec les soignants suspendus : «Les services ne rouvriront pas si ces personnes sont réintégrées. L’hôpital allait mal avant le Covid et on le paye aujourd’hui.»

Plutôt favorable à la réinsertion des non-vaccinés en cas de sérologie positive par le passé, le Pr Jean-François Timsit s’attend aussi à une ambiance pénible en cas de retour à l’hôpital du personnel suspendu. «Il y aura des tensions, confie-t-il. Et que fera-t-on si la quatrième dose s’impose en septembre ou octobre prochain ? On peut espérer que la maladie ne devienne qu’un gros rhume et que l’immunité de masse nous protège collectivement, mais il ne faut pas faire n’importe quoi.» Regrettant le choix «très individualiste et antisocial» de ces soignants, il appelle quand même à réfléchir pour «réduire les catégories socioprofessionnelles concernées par l’obligation vaccinale». La Haute Autorité de santé doit, dans les prochains jours, se saisir de la question, en attendant d’être reprise par le futur ou la future ministre de la Santé du nouveau gouvernement.

(1) Le prénom a été changé.


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