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Parvis des droits de l’homme (esplanade du Trocadéro), Paris, le 2 novembre 2008. À l’occasion de la Toussaint 2008, Une membre de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) participe à un rassemblement lors de la première “journée mondiale” pour la légalisation de l’euthanasie. © Boris Horvat/AFP
L’aide à mourir revient dans le débat public à travers une décision de justice qui interroge. Début mai, le tribunal judiciaire d’Angers a relaxé un vétérinaire mis en cause pour avoir prescrit des médicaments à un ami gravement malade afin qu’il se suicide. Les juges ont estimé qu’il y avait « état de nécessité », qu’il s’agissait d’éviter d’inutiles et inéluctables souffrances. C’est la première fois que cet argument est retenu dans un tel cas et il pourrait bien faire évoluer la législation. L’« aide à mourir », sous la forme de l’euthanasie ou du suicide assisté, va-t-elle bientôt être reconnue, après des décennies de débats accrochés ? Analyse.
- La personne qui a bénéficié du produit euthanasiant était atteinte de la maladie de Charcot, une pathologie neurodégénérative qui paralyse progressivement l’ensemble du corps, condamnant le malade à une mort certaine en une poignée d’années. L’aide au suicide n’étant pas une infraction pénale, une information judiciaire a d’abord été ouverte pour « tentative d’assassinat » et « assassinat », piste finalement abandonnée puisque le vétérinaire n’a pas lui-même injecté les produits. L’incitation au suicide n’a pas été retenue non plus car l’enquête a établi que le malade avait mûri seul la décision de mettre fin à ses jours et que c’est lui qui, à plusieurs reprises, a demandé au médecin les ordonnances. Le vétérinaire a finalement été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour « faux et usage de faux », c’est-à-dire pour avoir prescrit illégalement des médicaments.
- Après une dizaine de minutes de délibéré et contre l’avis du ministère public, le tribunal a relaxé le médecin. L’argument retenu est « l’état de nécessité », à savoir « une situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n’a d’autre ressource que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale », selon les mots de Me Antoine Barret, avocat de la défense. Il s’est référé à l’article 122-7 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. » Dans les conclusions écrites, l’avocat du vétérinaire précise que les ordonnances produites « ont eu pour unique but de faire échapper (le malade) au danger auquel ce dernier était exposé, de subir des souffrances d’une intensité particulièrement cruelle, ayant un caractère à la fois imminent et inéluctable ».
- Le principe de nécessité répond donc à une éthique conséquentialiste, qui vise à évaluer la valeur d’un acte en considérant ses conséquences. Un acte apparemment mauvais, comme le fait de briser une vitre, peut devenir bon s’il permet de sauver des vies ou des biens en cas d’incendie par exemple. En droit, ce principe remonte à une décision de 1898 rendue par Paul Magnaud, président du tribunal de Château-Thierry (Aisne), en faveur de Louise Ménard, mise en cause pour avoir volé du pain afin de nourrir sa mère et son enfant. La notion inventée par le « bon juge Magnaud » – comme l’appelait Clemenceau – est entrée dans le code pénal un siècle plus tard. Ainsi, en 2002, la cour d’appel de Papeete (Tahiti) avait relaxé un paraplégique qui faisait pousser son cannabis afin de soulager ses douleurs quand ses médicaments lui abimaient les reins. En 2019, le tribunal judiciaire de Lyon avait relaxé des militants qui avaient décroché le portrait du chef de l’État à la mairie pour protester contre l’inaction du gouvernement contre la catastrophe écologique. Mais la cour d’appel avait cassé la relaxe, estimant qu’il ne s’agissait pas d’une action de dernier recours.
- Résumons. Pour invoquer le principe de nécessité, il faut que l’intérêt sauvegardé soit supérieur à l’intérêt sacrifié et que l’acte délictueux se fasse en dernier recours et de façon proportionnée. Tout est affaire de calcul. Dans le cas d’une personne atteinte de la maladie de Charcot, il est assez facile de s’entendre sur le fait que le suicide est une façon d’éviter d’immenses souffrances, inéluctables et inutiles. En effet, ici, accepter de souffrir ne pourrait en aucun cas se faire au nom d’un bien futur puisque cette maladie est incurable. Aider quelqu’un à mourir en usant de moyens illégaux serait, dans ce cas, excusable. Sauf que le calcul n’est pas toujours aussi simple. Imaginons une personne atteinte d’une dépression. La justice pourrait-elle relaxer un médecin qui lui a prescrit des médicaments pour l’aider à mourir et ainsi éviter les cruelles et inévitables souffrances liées à la dépression ? Comment savoir si l’on peut considérer cette aide comme étant un dernier recours proportionné ? Qui peut dire que telle dépression est sans espoir de guérison et pas telle autre ?
- En droit, l’éthique conséquentialiste est difficile à tenir car elle implique qu’un mal présent est permis au nom d’une certitude – celle d’un bien futur plus grand. Or, cette certitude est le plus souvent loin d’être évidente à acquérir. Même dans le cas de maladies très graves, il existe toujours des cas de rémissions spectaculaires. Or, face à la perspective de s’en sortir, si infime soit-elle, aider illégalement quelqu’un à se donner la mort n’est-il pas un acte nécessairement disproportionné ? C’est pour cette raison que le parquet a fait appel. Si cette décision du tribunal d’Angers est amenée à faire jurisprudence dans des cas d’aides à mourir, il faut que le pouvoir judiciaire consolide, par une juridiction supérieure, cette idée paradoxale qu’un « acte nécessaire à la sauvegarde de la personne » peut, dans certains cas, être celui de faciliter le décès de cette personne. Car c’est aussi de la sorte que l’on sauve sa dignité.
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