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mercredi 20 avril 2022

Manque de soignants: sauver l’hôpital public, «ça commence par une revalorisation du travail de nuit»

par Nathalie Raulin  publié le 19 avril 2022 

Rassemblés ce mardi devant l’hôpital Saint-Louis à Paris, soignants et anciens patients du service d’immunopathologie clinique alertent sur le risque de fermeture dès le 1er juin, faute d’infirmiers de nuit.

Aucun des deux derniers candidats à la présidentielle n’est venu. Invités par courrier à venir ce mardi «présenter leurs propositions»aux soignants inquiets face au risque de fermeture «à court terme»du service d‘immunopathologie clinique de l’hôpital Saint-Louis (10e arrondissement) à Paris, ni Emmanuel Macron ni Marine Le Pen n’ont donné suite. Pas de quoi néanmoins décourager la mobilisation.

Devant les grilles de l’ancienne entrée de l’établissement, ils sont quelque deux cents blouses blanches et anciens malades, bien décidés à faire savoir malgré tout leur «consternation» et leur «incompréhension» que l’existence de ce service réputé dans le traitement de certains cancers et maladies rares, soit menacée, faute d’infirmiers de nuit en nombre suffisant«Les gens ne comprennent pas toujours ce que l’on veut dire quand on parle de la mort programmée de l’hôpital public. Ce qui nous arrive en est un exemple concret», confie un membre de l’équipe soignante.

Travailler de nuit, «une grosse responsabilité payée des clopinettes»

Pour cause, à compter du 1er juin, le service ne peut plus remplir son tableau de garde de nuit. Sur les douze infirmiers requis, il n’en reste que deux. L’équipe de jour qui, jusque-là, accepte de se répartir les gardes nocturnes sur la base du volontariat, ne veut plus en entendre parler. «Depuis l’été dernier, on bricole, admet la docteure Claire Fieschi, cheffe adjointe du service d’immunopathologie. Tout le monde pensait alors que la situation était transitoire, qu’on allait avoir de nouvelles embauches. Mais rien n’est venu. Aujourd’hui, on a épuisé toutes les bonnes volontés.»

Infirmière dans le service d’immunologie depuis cinq ans, Johanna confirme : «On a voulu aider. On a pallié le manque d’effectifs de nuit pendant presque un an. Mais on ne voit pas le bout du tunnel. Pour juin, il n’y a plus de volontaires.» En poste depuis deux ans, sa collègue Elise abonde : «Travailler de nuit, c’est pénible. Ça vous prive de toute vie sociale et suppose de pouvoir dormir le jour. C’est aussi beaucoup plus angoissant car la nuit, il n’y a pas de médecins dans le service, juste un hématologue et un interne pour tout l’hôpital. Quand vos patients sont lourds et parfois instables, c’est une grosse responsabilité payée des clopinettes : 9,63 euros brut [de l’heure] pour la nuit, autant dire rien.»

Les cadres des paramédicaux ont toutefois prévenu : à moins de trouver des volontaires pour faire les nuits, le service va devoir fermer en juin, la sécurité des patients ne pouvant plus être assurée. D’astreinte au lendemain de l’annonce, la docteure Marion Malphettes retrouve son équipe en état de choc «mutique et larme à l’œil» : «Je me sens coupable de ne pas avoir pris conscience plus tôt du rythme infernal qu’on leur avait imposé», soupire l’hématologue. «Mais l’équipe médicale avait aussi le nez dans le guidon. Quand elles ont compris qu’il n’y avait aucune embauche prévue pour la nuit, les infirmières ont lâché prise. Malgré leur attachement au service, elles se sont dits qu’il ne leur restait plus qu’à trouver un travail ailleurs…»

Face au désastre annoncé, l’hématologue décide de «faire un truc»pour «sauver son unité», et peut-être même son hôpital, trois autres services – l’hématologie-greffe de moelle, les leucémies aiguës et les lymphomes étant aussi en danger, également faute d’infirmiers de nuit. Mi-avril, l’appel à la mobilisation des soignants de Saint-Louis est relayé abondamment sur les réseaux sociaux.

«Un service qui ferme ne rouvre pas»

Dans cet entre-deux-tours de la présidentielle, un tel tapage, symptomatique du malaise de l’hôpital public, inquiète en haut lieu. Jeudi 14 avril, à l’issue d’une réunion de crise tardive, l’exécutif presse le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) Martin Hirsch d’éteindre l’incendie au plus vite. Dès le lendemain, la direction du groupe hospitalier fait savoir par communiqué que «contrairement aux informations qui circulent, la fermeture de ce service d’excellence n’est pas envisagée».La situation devrait «sensiblement» s’améliorer à l’automne grâce à des recrutements «déjà assurés», assure-t-elle, promettant que d’ici là, un «plan transitoire» reposant sur des paramédicaux suppléants, des intérims de longue durée et les infirmières volontaires permettront de garder le service ouvert.

Mardi, dans une lettre aux soignants, le ministre de la Santé Olivier Véran insistait lui aussi sur la volonté du gouvernement de maintenir le service ouvert. «Evidemment qu’ils ne veulent pas nous fermer !» lance le chef du service d’immunopathologie, Eric Oksenhendler, à la petite foule réunie mardi devant Saint-Louis. «La décision, ce ne sont pas eux qui vont la prendre, c’est nous, les médecins. On ne peut pas continuer à accueillir des patients si on n’est pas en mesure d’assurer leur sécurité !»

Or à en croire les médecins, rien n’est réglé. «A ce jour, et en dépit des efforts de la direction de l’AP-HP, le planning des gardes de nuit est toujours aussi vide à partir du 1er juin, regrette docteure Fieschi.Il n’y a pas d’embauche en vue et pas de postulants.» Tout au plus, la praticienne espère un sursis : «La direction a promis mardi des incitations financières aux infirmiers acceptant d’assurer des gardes de nuit. Cela pourra peut-être nous permettre de tenir jusqu’en octobre, et la sortie des écoles d’infirmiers. Mais s’il n’y a alors pas d’embauche, cela ne fait que repousser l’échéance fatale.» Docteure Malphettes enfonce le clou : «On le sait, un service qui ferme ne rouvre pas.» Et la même d’insister: «Le manque de moyens étouffe l’hôpital. Il faut lui redonner son attractivité si l’on veut retenir les paramédicaux et arrêter avec les fermetures de lits et de services. Ca commence par une revalorisation du travail de nuit. Il faut remettre ce débat au cœur de la présidentielle.»


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