Publiée 16 avril 2022
TRIBUNE
Tribune. On observe, depuis plusieurs années, un nombre croissant de ruptures de production et de pénuries de médicaments essentiels. Ces produits pour lesquels il n’y a pas d’alternative de substitution possible sont dénommés « médicaments d’intérêt thérapeutique majeur » (MITM). Leur production avait été transférée à l’étranger, le plus souvent en Extrême-Orient, ce qui incite maintenant à une relocalisation hexagonale permettant de pallier ces problèmes. C’est dans ce cadre que le ministère de l’économie et des finances a annoncé, mi-février, le financement de seize projets présentés par des industriels nationaux.
Parmi ces projets, celui de Servier, qu’il était prévu de subventionner à hauteur de 800 000 euros, concernait la production de cinq médicaments ne répondant pourtant pas aux critères de MITM (plusieurs de ces produits étaient inefficaces, et même dangereux). La très mauvaise réputation de Servier – liée au scandale du Mediator, mais aussi à une condamnation à 228 millions d’euros d’amende par la justice européenne pour obstruction à l’arrivée sur le marché des génériques d’un de ses produits et à l’absence depuis des années de production de toute innovation thérapeutique intéressante – a été responsable d’une rapide levée de boucliers.
Si, heureusement, le gouvernement a finalement décidé d’annuler cette subvention de 800 000 euros, la ministre déléguée chargée de l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, a semblé regretter la chose en précisant que le projet d’investissement présenté par Servier « répondait bien au cahier des charges de l’appel à projets “Relocalisation”. »
Il convient donc de se poser la question du bien-fondé de ce cahier des charges, et plus globalement de ce qui devrait être relocalisé et de la méthode à employer.
Désintérêt industriel
Que relocaliser ? Lorsque le gouvernement dit qu’il convient que la France retrouve sa « souveraineté pharmaceutique », il semble envisager la production locale à la fois d’innovations thérapeutiques récentes et de médicaments anciens passés dans le domaine public. Or, les médicaments récents sont la propriété de laboratoires pharmaceutiques, le plus souvent étrangers, avec une licence toujours valide, et leur lieu de production dépend du bon vouloir de leur détenteur. Il faut en outre noter que ces innovations thérapeutiques, parce qu’en règle générale très lucratives, ne sont pas l’objet de pénuries.
En revanche, les médicaments anciens, qui sont « génériquables », présentent une marge bénéficiaire moins élevée, ce qui explique que l’industrie pharmaceutique s’en désintéresse et délocalise la production des principes actifs à l’étranger et sous-traite la production du produit fini par des structures de façonnage indépendantes. Ce sont ces médicaments anciens, représentant encore l’essentiel de l’éventail thérapeutique, qui, du fait d’une production complexe et désordonnée, sont l’objet de ruptures d’approvisionnement. La production se faisant dans une économie à flux tendu, la moindre rupture d’approvisionnement a pour conséquence une pénurie dont pâtissent les malades. Au bout de mois de pénurie, ces médicaments ne réapparaissent souvent qu’après une envolée de leurs prix. Ce sont ces médicaments, anciens mais indispensables (anticancéreux, antibiotiques, corticoïdes, vaccins…), dont on peut et doit relocaliser la production.
Coordonner la production
Comment et avec qui relocaliser ? Il est possible d’utiliser le savoir-faire déjà présent sur le territoire national. Il y a sur place des laboratoires de « chimie fine » qui ont toutes les compétences pour produire des principes actifs, ce qu’ils faisaient avant les délocalisations, il y a une quinzaine d’années. Il y a également de nombreux façonniers qui travaillent déjà comme sous-traitants des laboratoires pharmaceutiques. En revanche, il serait paradoxal de donner à l’industrie pharmaceutique la maîtrise d’œuvre de la relocalisation, alors qu’elle a été responsable de ces délocalisations délétères uniquement pour des raisons de profitabilité et qu’elle pourrait en saisir l’occasion pour de nouvelles augmentations indues des prix.
La responsabilité pourrait en revenir à un « établissement français du médicament ». Cet établissement public utiliserait les compétences de chimie et de façonnage locales dans le cadre d’un partenariat public-privé. Aux Etats-Unis, devant la multiplication des pénuries associées à une dérive des prix, plusieurs centaines d’établissements de santé, ne faisant aucune confiance à l’industrie pharmaceutique, jugée responsables de cette situation, ont créé, en 2018, un établissement de ce type, Civica. Cette structure coordonne la production de médicaments génériques qui sont mis sur le marché à prix coûtant pour les établissements de santé qui la financent. Des établissements de ce type, à but non lucratif, devraient voir le jour dans plusieurs pays d’Europe, suivant un modèle que la France pourrait mettre en place rapidement.
Alain Astier, professeur honoraire de pharmacologie de l’hôpital Henri-Mondor (Créteil), membre de l’Académie nationale de pharmacie ; François Chast, président honoraire de l’Académie nationale de pharmacie ; André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière et auteur du « Manifeste pour la santé 2022 » (Odile Jacob, 2021) ; Jean-Paul Vernant, professeur émérite d’hématologie à la Pitié-Salpêtrière et vice-président de la Ligue contre le cancer
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