par Eric Favereau publié le 19 avril 2022
Mais qu’est-il donc arrivé à Dominique Simonnot, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) ? D’ordinaire, quand l’instance contrôle un lieu – en particulier un hôpital psychiatrique –, et qu’elle rend publiques ses conclusions, le ton est souvent grave : non-respect des libertés, contention banalisée, pratiques d’isolement qui se multiplient. De manière inédite, c’est le contraire qui se produit. «Le CGLPL a visité le pôle de psychiatrie du centre hospitalier de Chinon (Indre-et-Loire) du 28 février au 4 mars 2022. Les contrôleurs ont relevé une prise en charge des patients de grande qualité et particulièrement respectueuse de leurs droits fondamentaux : maintien d’une liberté d’aller et venir maximale, forte implication des soignants, nombreuses activités, architecture des locaux parfaitement adaptée, etc. Il n’y a jamais de contention et les placements à l’isolement y sont exceptionnels.» Mieux encore : «Cet établissement est l’un des seuls contrôlés par le CGLPL qui parvient à concilier l’ouverture des unités, l’absence de contention et un recours à l’isolement aussi faible», lit-on dans ce rapport du 12 avril.
Bref, une oasis, alors que l’on n’arrête pas de décrire une psychiatrie publique en lambeaux. A Chinon, cela marche. Sauf que les contrôleurs ne s’arrêtent pas là, et vont au-delà du rôle qui leur est traditionnellement dévolu. Ils s’interrogent sur l’avenir du service de Chinon. «Les contrôleurs ont été informés d’un projet de restructuration du pôle, prévoyant des suppressions et remplacements de postes. L’impact de cette réorganisation n’a pas du tout été évalué en termes de maintien de l’accès aux soins et du respect des droits fondamentaux des patients. Du fait de ce projet, cette offre de soins, exemplaire à bien des égards, risque de fortement se dégrader.»
«Réforme inacceptable»
Preuve de leur inquiétude, ils ajoutent : «Dès l’issue de sa visite, le CGLPL a saisi le ministre des Solidarités et de la Santé (Olivier Véran) pour en appeler à sa vigilance sur la nécessité de préserver le fonctionnement du pôle de psychiatrie du centre hospitalier de Chinon et pour l’encourager à mettre en valeur cet établissement qui peut servir de référence pour la diffusion des bonnes pratiques.» Dans cette lettre au ministre de la Santé, la contrôleure rappelle combien ce service fonctionne bien, avec «une absence de suroccupation des lits», «une recherche systématique du consentement» et «d’alternative à l’isolement respectueuse de la dignité des atteints». Le taux d’isolement est ainsi de 1,5 % de la file active des malades qui y séjournent, alors que la moyenne nationale dépasse les 22 %. Bref, les «pratiques vertueuses» en cours à Chinon permettent «une grande qualité de la prise en charge».
Or, la direction de l’hôpital veut tout changer, mettant en avant la sacro-sainte stratégie de mutualisation des soins avec d’autres services de l’hôpital qui, eux, ne vont pas très bien. Ainsi, la réforme envisagée appelle à «un recours aux aides soignantes plus qu’aux infirmières». Pourtant, le pôle psychiatrique n’accuse aucun déficit, «il y a même un excédent de 500 000 euros», note Dominique Simonnot. Qui tacle «une réforme inacceptable» ne se fondant «que sur des considérations budgétaires». En fait, une fois encore, l’argent de la psychiatrie pourrait servir de réserve financière pour les autres services de soins de l’hôpital de Chinon, déficitaires quant à eux. Classique.
La réponse du ministre n’a pas tardé, et elle est aussi très classique. Olivier Véran argue que «la méthodologie de révision des maquettes a été présentée lors d’une réunion de lancement», évoquant un «repositionnement global des compétences paramédicales et éducatives», et insistant sur le déficit de l’établissement. Si le CGLPL devait revenir sur place dans quelque temps, il est à craindre que ce service de psychiatrie ait été remis au pas.
«Soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie»
L’histoire est significative. D’abord, elle montre qu’une pratique digne et respectueuse des droits des patients est possible, à rebours des situations dramatiques souvent évoquées – récemment, dans Libération, du côté de Lens. Elle fait aussi écho à un documentaire qui sort cette semaine au cinéma, les Heures Heureuses (1),retraçant l’histoire de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère), notamment lors de la Seconde Guerre mondiale. Sous le régime de Vichy, les malades mentaux mouraient de faim, sauf à Saint-Alban.
Ce documentaire, réalisé par Martine Deyres, reprend des films de l’époque, tournés en particulier par François Tosquelles, psychiatre catalan emblématique, qui a travaillé plus de vingt ans dans ce lieu. Là, dans cet asile planté au milieu d’un village isolé du Massif central, soignants, religieuses et malades ont travaillé ensemble, essayant simplement de résister, puis de vivre. A contre-courant, les médecins, autour de Tosquelles, ont entraîné toute une communauté dans l’élaboration d’une nouvelle conception de la psychiatrie et de l’accueil de la folie. L’hôpital de Saint-Alban donnera naissance au mouvement de psychothérapie institutionnelle qui révolutionnera la psychiatrie après-guerre. Dans les images de ce documentaire, on voit des malades faire la fête, travailler dans des ateliers ou cultiver dans les fermes voisines. Les soignants sont là, à leurs côtés, travaillant sans violence mais avec hospitalité. «Soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie», lâche à la caméra le docteur Jean Oury, qui a passé des années à Saint-Alban. Une jolie phrase qu’aurait pu utiliser Dominique Simonnot dans sa lettre à Olivier Véran.
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