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mardi 19 avril 2022

Dans l’intimité de quatre fumeurs de cannabis : « Ce système à la Uber, ça a changé ma vie. En tant que meuf, tu n’as pas peur de faire une mauvaise rencontre »

Par  Publié le 23 avril 2022

Plus de 1 million de Français fument régulièrement du cannabis. Un plaisir certes interdit, mais de moins en moins perçu comme transgressif.

La France est le pays où la consommation de cette plante récréative est la plus élevée en Europe. Quatre fumeurs, forcément anonymes, expliquent comment ils se procurent facilement de la résine ou de l’herbe, une habitude souvent contractée dès l’adolescence.

« Je range l’herbe dans des pots de Nescafé, c’est un peu mes conserves ! »

« Ce système à la Uber, ça a changé ma vie. En tant que meuf, tu n’as pas peur de faire une mauvaise rencontre »

« Le problème, aujourd’hui, c’est que shit et beuh sont très forts. T’es en total trip »

« J’avais une mauvaise idée de moi-même, l’impression de rater ma vie »

« Je range l’herbe dans des pots de Nescafé, c’est un peu mes conserves ! »

« J’ai 65 ans et j’ai fumé mes premiers joints quand j’étais ado. Je ne suis pas un gros fumeur, c’est purement récréatif pour moi. Ça me détend, ça libère un peu l’esprit et, comme j’exerce une profession intellectuelle, ça m’aide dans mon travail.

Il y a une vingtaine d’années, j’avais acheté de l’herbe par un circuit classique, à un type que je connaissais. Il y avait quelques graines dans le sachet, je me suis dit “tiens, je vais essayer de les faire pousser”. C’est hyperfacile, ça m’a fait penser aux lentilles qu’on faisait germer quand on était gamin. Je les ai placées dans du coton, puis en pot, et, comme j’ai la chance d’avoir un jardin à la campagne, je les ai mises en terre après les gelées de printemps. Sur Internet, on trouve tout ce qu’il faut savoir.

« J’ai arrêté quand mes enfants étaient ados. J’ai repris et, aujourd’hui, il arrive qu’on s’en roule un le soir avec des amis ou avec les enfants »

J’ai mon rituel, je commande mes graines le jour de mon anniversaire, en mars. Ça coûte infiniment moins cher de cultiver son herbe soi-même : il faut compter entre 5 et 10 euros la graine, un peu de terreau, et voilà ! Quatre ou cinq pieds, ça me fait largement l’année. Je les plante à des endroits stratégiques de mon jardin, pour que les voisins ne les voient pas. Je récolte fin octobre, puis je les fais sécher pendant une semaine, je coupe les feuilles et ne garde que les têtes. Je les range dans des pots de Nescafé, c’est un peu mes conserves !

A un moment, j’en avais marre et j’ai arrêté quand mes enfants étaient ados. J’ai repris et, aujourd’hui, il arrive qu’on s’en roule un le soir avec des amis ou avec les enfants, un peu comme quand mes parents sortaient la bouteille de cognac. J’ai peut-être une vague dépendance psychologique… Ma femme est archi-contre, elle trouve que c’est un truc de gamin. Mais moi ça me donne peut-être le sentiment de ne pas devenir un monsieur raisonnable de plus de 60 ans. »

« Ce système à la Uber, ça a changé ma vie. En tant que meuf, tu n’as pas peur de faire une mauvaise rencontre »

« J’ai 42 ans et j’ai commencé à 14-15 ans, avec des copines du collège, mais j’ai vraiment tiré sur un joint à la fac et, là, on s’est mis à fumer beaucoup. Depuis je n’ai jamais arrêté, sauf quand j’ai été enceinte. Ma mère m’a dit qu’elle préférait que je fume des joints plutôt que je prenne des antidépresseurs.

Je ne ressens aucune culpabilité, je trouve que fumer des clopes est plus culpabilisant, car la nicotine c’est vraiment pas bon. Et ce n’est pas mon problème si ça fait vivre toute une petite mafia. Il y a environ un million de fumeurs réguliers en France, ça fait un million de hors-la-loi ? C’est la loi qui est mal faite. Je suis pour que l’Etat vende, dans des boutiques, car je veux connaître le taux de THC, un truc impossible aujourd’hui. C’est difficile de trouver des produits avec un taux de THC léger.

Quand j’habitais dans l’est de la France, c’est toujours des potes qui me vendaient de l’herbe. En tant que meuf, je ne me voyais pas du tout aller dans des endroits qui craignent. Ensuite, j’ai fait des « go fast » à Maastricht, aux Pays-Bas. On avait plus de 30 ans, pas des têtes de fumeurs, on s’habillait bien, on prenait la voiture des parents et on s’arrêtait dans tous les coffee shops de la ville pour acheter 5 grammes par personne, le maximum autorisé. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, la législation néerlandaise a changé.

« Je ressens toujours une bonne décharge d’endorphines dès la première taffe et souvent je ricane devant des vidéos sur YouTube »

A Paris, où je travaille aujourd’hui dans la presse, je suis d’abord allée rue Piat, dans le quartier de Belleville. Côté ambiance, c’était moyen moins… Le type prenait un malin plaisir à me dire “t’as qu’à le planquer dans ton soutif”. C’était glauque, dégradant. Maintenant j’ai trouvé un dealeur qui me fournit une beuh légère. J’utilise le même système de livraison depuis quatre ans environ, tous les quatre mois. C’est une voisine qui m’a filé le plan.

J’envoie un message sur le nom habituel d’un réseau pour “du sapin et du chocolat”, puis je reçois toujours le même genre de réponses : “Je suis dispo, envoie-moi l’adresse”. On se met d’accord pour une livraison deux heures plus tard. Normalement, une berline noire passe en bas de chez toi, on fait le tour du quartier dans la voiture, le temps de boucler la transaction. Ce système à la Uber, ça a changé ma vie. En tant que meuf, tu n’as pas peur de faire une mauvaise rencontre, ils te filent même parfois un petit bonus, voire un cadeau.

Pendant le confinement, je ne maîtrisais plus ma consommation, je ne pouvais plus m’en passer. J’ai vu un addictologue et j’ai repris le contrôle, plus que trois joints par semaine. Quand tu arrêtes les joints, tu te remets à rêver. La beuh a quelque chose de très orgasmique pour moi, très euphorisant. Je ressens toujours une bonne décharge d’endorphines dès la première taffe et souvent je ricane devant des vidéos sur YouTube. C’est mon petit kif. »

« Le problème aujourd’hui, c’est que shit et beuh sont très forts. T’es en total trip »

« J’ai 18 ans et j’ai fumé mon premier joint à la fin de la troisième, dans une soirée en région parisienne. C’était de la beuh, on sait d’où ça vient, c’est plus “sécure” que le shit, souvent coupé. Ensuite, au lycée, on allait fumer dans la forêt avec des potes. Avec une copine, on a commencé à acheter doucement à un mec de seconde, des 20 balles, 2 grammes et quelques, ça nous durait longtemps. Quand j’avais 15 ans et que j’achetais du papier à rouler dans des bureaux de tabac, on ne m’a jamais demandé mes papiers ! Pareil pour les bangs [des pipes à eau] ou les grinders [des moulins à tabac]. C’est pas légal, mais bon, voilà…

En première, on s’est mis à vendre et à fumer plus souvent. Elle avait une voiture sans permis, c’est courant dans le Sud, où j’avais déménagé. Quand elle allait chez le dealeur, il voulait la serrer, il lui en filait toujours un peu plus.

En terminale, je me suis mis à fumer chez moi. J’habitais près d’une station balnéaire, il y a toujours des dealeurs qui viennent en vacances. Ils vont au charbon à Marseille, ils achètent des plaques et ils revendent ici. Tu te débrouilles pour avoir leur Snap, ils te demandent toujours qui t’a filé leur contact. Ils font des stories où ils montrent ce qu’ils ont. Parfois on allait toucher chez la sœur de ma pote, elle faisait pousser de la beuh dans sa coloc. C’était pas cher et on savait d’où ça venait.

« Je crois que je sais gérer, j’ai déjà fait des tas de trucs en étant défoncé »

D’autres fois, je suis allé me fournir à Marseille. Tout le monde connaît les adresses, comme celle qu’on voit dans le film Bac nord. C’est “hypersécure” comme endroit, comme s’il y avait un épicier en bas d’un immeuble. Il y a un mec derrière une vitre, qui vend de la coke, de la beuh ou du shit. Le pote qui m’accompagnait m’a rassuré : on ne craint rien dans une cité comme ça. Si tu te fais emmerder, tu leur expliques ce qu’il s’est passé et ils te retrouvent ton tel si tu te l’es fait piquer, sinon c’est mauvais pour leur business.

Ce n’est pas une addiction, mais quand même… Quand je fume, je fume tous les jours. Ça coûte trop cher ! Mais ça me détend. Je fais ça à la fin de la journée, quand j’ai fait tout ce que j’avais à faire, en regardant une vidéo ou un film, ou en écoutant de la musique. Je crois que je sais gérer, j’ai déjà fait des tas de trucs en étant défoncé, des contrôles par exemple, et ça s’est toujours bien passé. Mais en ce moment j’essaie d’arrêter, parce que j’ai envie de changer d’ambiance. C’est quand même un frein, quand tu fumes, tout va bien, tu n’as pas de pression, pas le stress de te dire “il faut que je fasse quelque chose de ma vie” et, du coup, tu bosses un peu moins.

Le problème aujourd’hui, c’est que shit et beuh sont très forts. T’es en total trip et t’es très bien mais t’es défoncé et tu ne fais rien dans ton canapé. C’est relou. C’est mal vu, mais c’est plutôt une bonne drogue, la bédave. Tout le monde a son addiction, la mienne c’est ça. Si j’ai une vie de famille, c’est un truc que je réduirai vraiment. En attendant, cet été, je pense que je vais vendre du shit, un truc très déconseillé je sais, mais j’ai envie de faire l’expérience, pour sentir l’adrénaline. »

« J’avais une mauvaise idée de moi-même, l’impression de rater ma vie »

« J’ai 27 ans et j’ai commencé à fumer quand j’avais 14 ans. D’abord des cigarettes, puis de l’herbe, un an plus tard. La première fois, j’ai fait un bad trip. Je me suis évanoui et j’ai fini à l’infirmerie du lycée, la deuxième fois aussi. Mais je me suis accroché, j’aimais bien le goût et l’effet que ça me faisait avant que ça me couche. Après ça, j’ai fumé quatre joints par jour pendant dix ans, et même un peu plus les soirs de fête.

Pour moi, ça a toujours été un truc festif, convivial, quelque chose qu’on partage. Ça t’aide à t’évader, tu as moins la mainmise sur le contrôle de tes émotions. Ça attise aussi la curiosité : par exemple, quand je lisais des mangas, je ressentais les dessins différemment.

Mes parents l’ont découvert au bout de deux ans et, après, ça a été la guerre à la maison. J’ai eu des menaces, des ultimatums et des sanctions. J’ai eu cinq ans de rébellion totale, je n’avais aucune envie d’arrêter et je leur mentais ouvertement. J’ai fini par avoir des problèmes de conscience, je culpabilisais à force de les rouler dans la farine.

« Quand tu fumes seul, tu as l’impression d’être un marginal. Faire tourner, c’est différent, c’est comme un jeu »

Physiquement, c’était pas la folie. A force de fumer tous les jours, tu es plus vite fatigué, tout devient un effort, alors que, normalement, je suis du genre hyperactif. Ça me rendait de plus en plus casanier et, vers 20 ans, quand les études commencent à s’intensifier, certains de mes potes sont passés à autre chose et je me retrouvais parfois à fumer tout seul. Et, quand tu fumes seul, tu as l’impression d’être un marginal. Faire tourner, c’est différent, c’est comme un jeu.

Le déclic est arrivé vers 25 ans. Je me disais que c’était plus possible de fumer comme ça, qu’il fallait que je me trouve un job. Je mentais à ma copine, je culpabilisais. Je comprenais que je commençais à devenir quelqu’un d’autre en fumant autant et j’en avais marre d’avoir la tête dans le gaz le matin en me réveillant. J’avais une mauvaise idée de moi-même, l’impression de rater ma vie. Comme la plupart des gens qui fument, je suis allé à Amsterdam. Là-bas, tu fumes de la beuh contrôlée, vérifiée, “naturelle”. Et quand tu rentres chez toi, en région parisienne, tu te rends compte que, avec ce que tu consommes ici, il y a quelque chose qui ne va pas.

Quand j’ai voulu arrêter, ça n’a pas été facile. J’ai trouvé un job, je suis “community manager”, j’ai fait des voyages, commencé à voir un autre cercle d’amis, pour avoir sous les yeux un autre exemple de style de vie. Avec eux, on boit des coups. On remplace une tare par une autre, l’alcool. »

Des personnalités témoignent de leur rapport au cannabis

Lio, chanteuse (59 ans) : « Mes enfants fument, et c’est de ma faute. Parce qu’ils m’ont vue fumer avec beaucoup de décontraction. Je fumais peu, mais je fumais devant eux. Je m’en veux, ça, c’est clair et net. »

Jok’Air, rappeur (30 ans) : « Quelqu’un qui fume du cannabis et qui habite dans le 16e, il n’a pas les mêmes soucis que quelqu’un qui fume du cannabis et qui habite à Grigny. »

Mathieu Kassovitz, acteur, réalisateur (54 ans) : « Notre pays est le plus gros consommateur en Europe. Je pense que c’est complètement absurde de ne pas en parler. On aurait dû être le premier pays d’Europe à s’ouvrir au cannabis. »

Ces citations sont extraites de Me, Myself & High, de Camille Diao et Christophe Payet (Nique – Les Editions, 254 p.), qui interroge une quinzaine de personnalités sur leur rapport au cannabis.


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